
L’attentat de Pahalgam, dans la vallée de Baisaran, au Jammu-et-Cachemire, qui a tué 25 touristes indiens et un népalais, le 22 avril 2025, a relancé les hostilités entre l’Inde et le Pakistan. Il a été revendiqué par l’organisation islamiste le Front de résistance, lié au groupe djihadiste Lashkar-e-Taiba qui prospère au Pakistan.
Sans surprise, le gouvernement indien voit dans ce massacre la main d’Islamabad, mais n’apporte aucune preuve. De leur côté, les autorités pakistanaises démentent et proposent une « commission d’enquête internationale », mais restent muettes sur les liens entre ces mouvements djihadistes.
L’affrontement pakistano-indien sur la question du Jammu-et-Cachemire n’en est pas à ses premières salves. Dès août 1947, quand l’empire britannique des Indes est démantelé sur une base religieuse, entre l’Inde à majorité hindoue et le Pakistan majoritairement musulman, s’est posée la question du rattachement de l’État princier du Cachemire coincé entre les deux. Cette vaste région montagneuse s’était vu octroyer l’indépendance un an plus tôt. Mais son maharaja était hindou alors que la majorité de la population était musulmane. « L’élite du futur Pakistan considérait que le Jammu-et-Cachemire faisait “naturellement” partie du lot pakistanais », explique Christophe Jaffrelot1. Dès octobre 1947, elle a ouvert les hostilités. Les deux pays se sont affrontés militairement pendant près de deux ans.
Trois guerres, trois confrontations
À l’issue de cette première guerre, le Cachemire est divisé en deux le long d’une ligne de 770 kilomètres, aujourd’hui encore appelée « Ligne de contrôle », faute de frontière dûment reconnue : 37 % du territoire revient au Pakistan, le reste à l’Inde.
Au total, l’ancien territoire est éclaté entre l’Azad Cachemire (le « Cachemire libre ») et le Gilgit-Baltistan, administrés par le Pakistan (soit 86 000 km2 et 6,4 millions d’habitants) ; le Jammu-et-Cachemire géré par l’Inde (92 440 km2 et 12,5 millions d’habitants) ; et l’Aksai Chin conquis par la Chine en 1962 ainsi que la vallée de Shaksgam cédée par le Pakistan. New Delhi, quel que soit le pouvoir en place, revendique avec constance la souveraineté sur l’ensemble ; le Pakistan sur le Jammu-et-Cachemire.

Depuis, New Delhi et Islamabad ont mené deux autres guerres (en 1965 et en 1971). Sans aller jusqu’à un conflit total, ils ont également fait parler la poudre trois fois (en 1999, en 2000-2001, en 2019), tuant des dizaines de milliers de personnes (entre 50 000 et 100 000 morts selon les sources).
Bordé à l’est par la Chine, dont la frontière avec l’Inde n’est toujours pas stabilisée ; à l’ouest par le frère ennemi pakistanais, lié à Pékin dans le cadre des Nouvelles routes de la soie ; au nord par l’Afghanistan à l’avenir incertain, le Cachemire représente en effet un enjeu stratégique. Au cœur de l’Himalaya, il assure aussi les réserves en eau.
Cependant le défi indien est aussi politique. Mis à part une courte période au début des années 2000, New Delhi a fait régner un ordre colonial et autoritaire sur la population cachemirienne musulmane (assassinats, détention arbitraire, discrimination…). Si certains mouvements contre ce régime d’exception militent pour un rattachement au voisin pakistanais, la majorité des opposants luttent pour une autonomie réelle de l’État sinon pour l’indépendance.
Hindouisation accélérée
Depuis août 2019, une chape de plomb supplémentaire s’est abattue sur la population. Le premier ministre Narendra Modi a lancé son plan d’hindouisation à marche forcée, supprimant l’article 370 de la constitution indienne qui garantissait l’autonomie de l’État. Pour assurer son autorité, il coupe le territoire en deux entre le Jammu-et-Cachemire et le Ladakh (moitié bouddhiste tibétain et moitié musulman).
L’article 35A qui interdisait aux non-Cachemiriens d’y acheter des terres est également supprimé — de quoi faciliter les projets immobiliers et touristiques pour transformer l’État en « riviera de l’Asie du Sud » selon l’expression à la mode. Et, progressivement, réduire la part des musulmans au profit des hindous acquis à New Delhi. En attendant, la répression demeure — arrestation d’avocats, de journalistes, détention sans procès, retraits de passeports — faisant le lit des attaques violentes ou djihadistes.
À défaut d’en finir avec cette politique, Narendra Modi va-t-il choisir la fuite en avant dans un nouveau conflit armé avec le Pakistan ? Les escarmouches se multiplient le long de la ligne de contrôle, les troupes s’amassent des deux côtés. Rien ne saurait être exclu.
Vers une guerre de l’eau ?
Mais le plus inquiétant vient, sans doute, de la menace proférée par le premier ministre indien de « couper l’eau de l’Indus ». Depuis l960, un traité signé sous l’égide de la Banque mondiale garantit un accès équitable au fleuve pour tous : l’Inde contrôle trois affluents à l’Est, et le Pakistan les deux affluents plus à l’Ouest. Même dans les crises les plus virulentes entre les deux ennemis, nul n’a touché à ce partage des eaux.
Certes, Modi ne peut stopper le fleuve d’un coup de baguette magique, comme on ferme un robinet. Mais il pourrait se servir de ce prétexte pour accélérer ses projets de barrage visant à sécuriser les ressources énergétiques : plus de deux cents sont prévus ou en cours sur le Gange, le Brahmapoutre ou l’Indus ; déjà ses voisins comme le Bangladesh en souffrent. Il n’est d’ailleurs pas le seul : la Chine voit également les barrages dans l’Himalaya comme solution d’avenir.
Les menaces de Modi sonnent-elles le début d’une guerre de l’eau ?
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1L’Inde contemporaine de 1950 à nos jours, Fayard, 2019.