Iran. Le coup d’État de 1953 radicalise un nationalisme hostile à l’Occident

En 1953, les services secrets américains et britanniques de la Central Intelligence Agency (CIA) et du Military Intelligence (MI6) mettent en place l’opération AJAX, un coup d’État visant à renverser le premier ministre iranien Mohamed Mossadegh, en réaction à la nationalisation du pétrole iranien. Car depuis 1912, le gouvernement britannique est l’actionnaire majoritaire de l’Anglo-Persian Oil Company, qui jouit d’une concession exclusive pour l’exploitation de l’or noir.

L’enjeu pétrolier

En Iran, la mainmise des pouvoirs occidentaux ne passait pas par la colonisation, bien que le pays ait été brièvement occupé par des troupes anglaises et soviétiques en 1941. Le but de l’opération était de sécuriser les champs de pétrole d’Abadan et de garantir un corridor de ravitaillement vers l’URSS, en pleine seconde guerre mondiale.

En 1941, l’Angleterre avait mis fin au règne de Reza Chah Pahlavi après son rapprochement diplomatique avec l’Allemagne d’Adolf Hitler, et l’avait forcé à démissionner et à s’exiler. Elle l’avait remplacé par une figure plus accommodante, son fils Mohamed Reza, qui partagea son pouvoir avec le Parlement.

À la fin de la seconde guerre mondiale, les États-Unis et l’URSS se disputèrent l’alignement de l’Iran, tandis que les Britanniques continuaient d’exploiter le pétrole iranien. Mais dès 1950, de nombreuses factions politiques iraniennes commencèrent à vouloir se réapproprier ces ressources. Ce désir de souveraineté porta au pouvoir en 1951 le nationaliste Mohamed Mossadegh et son parti, le Front national, qui prônait l’indépendance économique et politique du pays et s’opposait à la tutelle des puissances étrangères. Son objectif : que l’État iranien contrôle désormais l’extraction, le raffinage et la vente du pétrole.

Cette année-là, Mossadegh créa la National Iranian Oil Company afin de remplacer l’Anglo-Persian Oil Company, et fit adopter la loi sur la nationalisation du pétrole. Il fut alors élu « homme de l’année » par Time Magazine, qui le surnomma « le George Washington iranien ». Le Royaume-Uni riposta avec un embargo sur le pétrole iranien dans le but d’isoler Mossadegh et de faire pression sur lui. Cette politique poussa l’Iran au bord de la faillite, mais rendit le premier ministre très populaire pour avoir tenu tête à Londres.

Contre toute ingérence occidentale

L’opération AJAX est organisée dans ce contexte de sanctions économiques, à la demande du Royaume-Uni qui convainc les États-Unis que l’Iran va passer dans le camp soviétique. Cette peur du communisme est renforcée par le poids du Toudeh, le parti communiste iranien, qui devient le parti politique le plus influent dans les années 1950 et dont Mossadegh se rapproche.

Pour éviter toute « contagion » soviétique, la CIA et le MI6 décident de passer à l’action. Le 19 août 1953, Mossadegh est renversé au profit d’un accroissement des pouvoirs de Mohamed Reza Pahlavi. C’est une humiliation pour les Iraniens qui perçoivent de plus en plus le chah comme une marionnette des Occidentaux.

Ce coup d’État suscita un renforcement du nationalisme de plus en plus hostile aux ingérences des pays occidentaux et fit de Mossadegh un symbole de démocratie et de fierté nationale.

En 1979, la révolution iranienne déposait le chah, à l’issue d’une vague massive de manifestations poussées par un fort sentiment anti-impérialiste qui conduisit à l’occupation de l’ambassade américaine à Téhéran. La photo de Mossadegh, mort en 1967, figurait sur de nombreux tracts distribués pendant la contestation. Il faisait aussi la couverture de nombreux petits livrets où il était question de démocratie, d’anti-impérialisme et de modernité. Le clergé chiite finit par prendre le pouvoir et la République islamique entra en confrontation avec les États-Unis, le Royaume-Uni et Israël.

L’un des principaux points de désaccord de l’Iran avec les pays occidentaux réside aujourd’hui dans la poursuite de son programme nucléaire, qui n’est pas sans rappeler le conflit pétrolier des années 1950. Les deux politiques ont en effet pour enjeu la souveraineté du pays, et les sanctions américaines contemporaines font écho à celles imposées à l’époque par le Royaume-Uni, qui avait déjà pour but de faire plier les dirigeants iraniens. Le soutien de la population au régime en réaction à la politique américaine s’en trouve à présent renforcé, comme on l’a vu avec l’assassinat du général Soleimani, et ont provoqué, au moment des élections législatives de 2020, une victoire des conservateurs.

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