La guerre au Yémen 1962-1970

Au lendemain de la nationalisation de la compagnie du canal de Suez en 1956, Gamal Abdel Nasser jouit d’un immense prestige dans tout le monde arabe. Le nassérisme se réclame du panarabisme, à savoir la prédominance de l’arabité sur les différences identités religieuses et communautaires. Après l’échec retentissant de l’éphémère République arabe unie (1958-1961) avec la Syrie (à laquelle va se joindre le Yémen), le Raïs égyptien espère voir triompher le modèle républicain moderniste contre les monarchies conservatrices. Après un coup d’État républicain à Sanaa, il va s’engager aux côtés de la jeune République.

De la fin de l’imamat au coup d’État

Depuis 890, le Yémen du Nord est gouverné par un imamat zaydite. Cette communauté chiite ne partage pas les mêmes références théologiques et spirituelles que la majorité des chiites dans le monde. Contrairement aux chiites duodécimains, les zaydites ne reconnaissent pas 12 imams, mais 5 et n’attendent pas l’arrivée du Mahdi (l’imam caché). Cette opposition les rapproche plus de certains rites sunnites. Majoritairement montagnarde, la population zaydite agit selon des codes et des traditions tribales.

Au début des années 1960, le Yémen du Sud est toujours dominé par les Britanniques qui disposeront à Aden de leur principale base à l’est de Suez, jusqu’à l’indépendance en 1967. Le Yémen du Nord est quant à lui confronté aux ingérences politiques et économiques. L’Arabie saoudite est en pleine expansion économique et étend son influence régionale par le biais de son soft power religieux, mais aussi tribal. Quant à l’Égypte de Nasser, réformiste et non confessionnelle, elle se voit en leader du monde arabe. La forte personnalité de l’imam Ahmad Ben Yahya permet un relatif équilibre des alliances. Durant son règne, le Yémen intègre le projet nassérien de la République arabe unie.

Or, à sa mort le 18 septembre 1962, un coup d’État est fomenté par des jeunes officiers soutenus par l’Égypte. La République arabe du Yémen du Nord est créée alors que les partisans de l’imam Badr (fils du défunt Ahmad) aidés par l’Arabie saoudite décident de le réinstaller sur le trône.

Une confrontation entre Le Caire et Riyad

En 1962, la radio égyptienne diffuse au Yémen, sur Radio Le Caire, des messages à destination de la population pour l’inciter à rejoindre le projet panarabe. De leur côté, les Saoudiens s’inquiètent de la propagation des idées nassériennes à leurs frontières. Ils décident de s’allier aux royalistes zaydites, pourtant de confession chiite, tandis que les chafiis (branche sunnite) reçoivent l’aide du Caire. Très vite, Nasser envoie des troupes pour appuyer le jeune régime.

Pour les Britanniques, l’humiliation de la nationalisation de la Compagnie du canal de Suez en 1956 par Nasser est encore présente dans les esprits. Ils essayent donc de stopper la contagion révolutionnaire au Yémen du Sud où Nasser finance également la lutte de libération nationale.

De surcroît, les dissensions internes aux deux camps accentuent la crise. Plusieurs initiatives de paix en 1963 et en 1965 échouent en raison des désaccords entre républicains et royalistes. Les deux partis sont soumis aux directives de leurs parrains régionaux.

De l’enlisement à la fin du conflit

Nasser envoie jusqu’à 60 000 soldats au Yémen. La mainmise de l’Égypte sur le pays est forte. Mais l’humiliation de la défaite de la guerre de juin 1967 contre Israël contraint le leader égyptien à changer ses plans. Petit à petit, il se désengage de la scène yéménite, après que l’armée égyptienne y a perdu près de 30 000 hommes. Ce départ insuffle un espoir aux royalistes qui encerclent Sanaa en 1967.

Certes, le retrait des troupes britanniques au Yémen du Sud et l’indépendance de ce territoire la même année renforcent le soutien des Yéménites du Sud, dont certains sont d’obédience marxiste, aux Républicains du Nord. Mais le prolongement de la guerre — avec la participation de mercenaires israéliens, français et britanniques aux côtés des royalistes — et le siège de Sanaa imposent la nécessité d’un compromis. Des combats sporadiques ont lieu jusqu’en 1970, mais la jeune République survit. Les royalistes finissent par être réintégrés au pouvoir avec le soutien des Saoudiens.

L’unification du Yémen du Nord et du Sud en 1990 et la marginalisation économique et politique de la communauté zaydite depuis la fin de l’imamat en 1962 engendrent des conflits internes avec le pouvoir central dans les années 2000. Récemment, cette communauté s’est restructurée pour s’opposer politiquement et militairement au gouvernement et à ses alliés du Golfe. Soucieux de récupérer leurs prérogatives d’antan, les houthistes, du nom de la famille zaydite chiite qui a conduit la rébellion, reçoivent désormais l’aide de l’Iran.

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