La République arabe unie (1958-1961), un rêve fracassé

Trois mois après la nationalisation de la compagnie du canal de Suez par le président égyptien Gamal Abdel Nasser le 26 juillet 1956, sa faible armée doit faire face à l’agression tripartite israélienne, française et anglaise qui cherche à le renverser. L’URSS et les États-Unis font pression pour stopper les hostilités, tandis que les opinions arabes se mobilisent en faveur du Raïs et des actions de sabotage des oléoducs — et la fermeture du canal de Suez — provoquent des pénuries en Occident.

À défaut d’une victoire militaire, c’est une victoire politique et psychologique retentissante pour Nasser. Auréolé de sa victoire, il est sacralisé du Caire à Bagdad en passant par Beyrouth et Damas. Son charisme galvanise les foules et impose l’idée que l’unité arabe est la voie pour l’indépendance et le développement.

Les frontières de la nation arabe

Sous l’influence du penseur chrétien orthodoxe et fondateur du parti Baas (nationaliste arabe) Michel Aflak, Damas choisit de se rapprocher du Caire. Pour la Syrie, le tropisme nassérien n’est pas un choix par défaut, mais reflète une réelle volonté de stabilité et d’unification. En effet, depuis son indépendance en 1946, le pays a connu quatre coups d’État et la démission d’un président. De plus, une partie des élites craint la montée du Parti communiste et se tourne vers Nasser.

Dès 1956, le général Abdel Hakim Amer, un des proches de Nasser, devient le commandant en chef des armées syrienne et égyptienne. Cette imbrication s’inscrit dans une volonté de mener le combat contre l’impérialisme et Israël. Pour Nasser, c’est un moyen d’imposer ses vues au Proche-Orient. Le Raïs pose ses conditions : dépolitisation de l’armée syrienne, dissolution de toutes les formations politiques au profit d’un parti unique, et transposition du système politique et économique égyptien en Syrie. Après avoir tergiversé, le président syrien Choukri Al-Kouatli signe l’accord d’unité : la République arabe unie (RAU) voit le jour le 1er février 1958. Elle est composée d’une région nord (la Syrie) et d’une région sud (l’Égypte). Le Yémen du Nord est également rattaché à la République, mais son statut reste secondaire.

La région traverse une période de troubles. Le Liban plonge dans une guerre civile entre les partisans de la nouvelle RAU et ceux du président pro-occidental Camille Chamoun. L’intervention américaine met fin aux affrontements et empêche le Liban de rallier la jeune RAU. De son côté, l’Irak pro-américain tente vainement une union avec la Jordanie en 1958 pour contrebalancer les projets nassériens, mais le coup d’État nationaliste amène au pouvoir le 14 juillet une junte qui n’est pas sans rappeler celle du Caire. Bagdad semble prête à rejoindre la RAU. Mais c’est sans compter l’opposition du nouveau dirigeant Abdel Karim Kassem, qui se voit aussi en leader du monde arabe, et du puissant Parti communiste, particulièrement implanté chez les chiites et les Kurdes, qui se méfie d’un modèle subordonné au Caire (la RAU avait interdit le Parti communiste syrien).

Un immense espoir déçu

« Les Arabes se sont mis d’accord pour ne pas se mettre d’accord. » Cette phrase d’Ibn Khaldoun, sociologue arabe du XIVe siècle, résume une partie des difficultés de la RAU. Chaque pays conserve en effet ses particularités, et l’aspiration populaire unitaire a du mal à se retrouver dans un modèle unique.

Très vite, l’effervescence des premiers jours laisse place à la désillusion et aux mésententes au sein de la RAU. L’Égypte monopolise les principales fonctions dirigeantes, y compris en Syrie, alors que les Syriens sont cantonnés à un rôle secondaire. Soumises à des politiques de nationalisation, des franges de la bourgeoisie migrent vers l’Occident ou le Liban. De plus, le poids oppressant des nouvelles réformes, le manque de concertation ravivent les tendances sécessionnistes à Damas. Le 28 septembre 1961, des généraux de l’armée syrienne fomentent un coup d’État et mettent fin à l’éphémère expérience unitaire. L’Égypte gardera le nom de RAU jusqu’en 1971.

Bien que l’expérience ait été brève, la RAU a suscité un immense espoir parmi les peuples du Proche-Orient. Mais Nasser a sous-estimé la complexité de son projet unitaire et les divisions entre les forces politiques arabes. Cinquante ans après sa mort le 28 septembre 1970, et à l’aube d’une nouvelle ère marquée par les divisions et le rapprochement avec Israël plus que par le panarabisme, son discours résonne avec nostalgie.

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