Pourquoi l’enseignement de l’arabe en France suscite-t-il la polémique ?

© Hélène Aldeguer, 2018.

Le ministre de l’éducation nationale Jean-Michel Blanquer a proposé de relancer l’apprentissage de la langue arabe en France, ainsi que du russe et du chinois. Sa proposition intervient au moment de la publication, le 8 septembre 2018, d’un rapport de l’Institut Montaigne sur le fondamentalisme islamique, qui voit dans cet enseignement une piste pour lutter contre l’islamisme.

Au-delà du rapport lui-même, la proposition ministérielle a suscité une levée de boucliers de la droite conservatrice et de l’extrême droite. L’ex-ministre de l’éducation Luc Ferry a même dit craindre un « risque de faire entrer l’islamisme dans l’éducation nationale » (Europe 1, 11 septembre 2018).

Où en est l’enseignement de l’arabe en France ?

Le nombre d’élèves apprenant l’arabe littéral en primaire reste marginal : 567 dans toute la France à la rentrée 2017, contre 1483 pour le chinois. Au collège ou au lycée, en deuxième ou en troisième langue vivante, leur nombre a presque doublé en dix ans, mais reste tout de même très minoritaire. Ils étaient 6 512 à la rentrée 2007 et 11 174 en 2017 (13 975 en comptant le département de Mayotte). Sur un peu plus de 3,3 millions de collégiens, 4573 ont choisi d’apprendre l’arabe. Ils sont 6601 sur un peu moins de 2,3 millions de lycéens (chiffres du ministère à la rentrée 2017). Ainsi, seul un enfant sur mille étudie l’arabe à l’école primaire, deux sur mille au collège.

Ils sont moins nombreux que les élèves étudiant le russe et le chinois alors que, selon le ministère de la culture, plus de trois millions de personnes pratiquent quotidiennement l’arabe en France.

Seuls 3 postes ont été créés en 2018 au concours de l’agrégation et 4 au concours du Capes.

La fausse association langue-religion

Le rapport Montaigne, alarmant sur la « fabrique de l’islamisme », préconise de relancer l’arabe à l’école pour lutter contre les dérives communautaires. Dès le départ, le débat est mal engagé. Associer l’enseignement d’une langue à la lutte contre un phénomène de radicalisation aux racines très complexes, c’est accréditer l’amalgame en prétendant le dénoncer. Même s’il part d’une bonne intention, ce texte ne fait qu’envenimer la polémique en renforçant l’association entre la langue et la religion. Il en découle l’idée selon laquelle la langue arabe recèlerait en elle-même des dangers, étant la langue du Coran. Une vision erronée, puisque non seulement le Coran est susceptible d’interprétations diverses, mais la langue elle-même fonctionne sur plusieurs registres.

— Si la langue arabe est en effet celle du Coran, elle a préexisté à l’islam. Elle est aussi celle des chrétiens d’Orient. Elle a été dès l’origine celle de la poésie, puis pendant des siècles un vecteur de transmission de savoirs scientifiques et un instrument de débat philosophique. Elle est aujourd’hui une langue de communication, facilitant l’accès à de nombreux marchés. Ne l’assimiler qu’à une pratique religieuse pour nourrir des fantasmes est donc absurde.

— L’arabe fait partie du patrimoine français. Dès 1587, Henri III créait la première chaire d’arabe au Collège de France, suivant en cela la recommandation du roi François 1er d’introduire en France les langues orientales. Elle est enseignée depuis 1795 à l’Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco). En 1905 est créée l’agrégation d’arabe. En 1999, sous sa forme dialectale, l’arabe a été reconnu « langue de France » avec la signature de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires. La langue arabe nous a légué nos chiffres et des centaines de mots, dont zénith, azimut, algèbre, algorithme... La France se distingue en Europe par une grande tradition d’arabisants de haut vol. C’est un atout qu’il serait regrettable de perdre.

La diversité linguistique est une chance

Ses détracteurs voudraient enfermer, de manière idéologique, tout ce qui est arabe dans un statut d’exception. Les peuples arabes seraient par exemple réfractaires à la démocratie. En réalité, pas plus qu’il n’y a d’exception arabe à la démocratie, il n’y a d’exception arabe sur le plan linguistique. La langue arabe est l’une des six langues officielles des Nations unies, la cinquième la plus parlée au monde, celle d’innombrables chaînes satellitaires de pays non arabophones.

Il y a dans l’insistance à vouloir garder la langue arabe en dehors de la communauté nationale une forme de peur de l’immigré et de sa descendance, cet « ennemi de l’intérieur » issu des anciennes colonies françaises, et qui sert d’exutoire commode aux revers socio-économiques.

Derrière le débat d’idées, on voit se profiler des passions inavouées, de vieilles blessures. Celle d’une guerre d’Algérie non assimilée. Celle de l’orgueil national inconsolable à la perte d’un vaste empire. La francophonie, à l’inverse, quels que soient les débats que suscitent ses objectifs et son organisation, a su plaider en faveur du pluralisme, de la diversité linguistique. Et fort heureusement, les jeunes comprennent de plus en plus que les langues ne peuvent être réduites au rôle de marqueur identitaire et qu’elles sont une clé de réussite, un passeport pour la mobilité.

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