Henry Laurens dresse tout d’abord un état des lieux de la situation dans laquelle se trouve l’empire ottoman à partir de 1913, de la fin des guerres balkaniques à la perte de la Libye en passant par l’Égypte, l’Anatolie et les provinces arabes. Il explique les raisons de son entrée en guerre aux côtés du Reich allemand et évoque la division des zones d’influence économico-politique de la France, de l’Allemagne et du Royaume-Uni. Puis c’est, en novembre 1914, après l’irruption de l’armée des Indes et la longue marche vers Bagdad, la bataille des Dardanelles et le front du Caucase.
La période qui suit, entre 1916 et 1917, est d’abord celle du mythe du grand soulèvement des musulmans du monde contre les puissances coloniales. Le djihad « made in Germany » suscite en réponse le projet de « califat de l’Occident » de la part des Français et l’appui au soulèvement arabe des Britanniques. Les Français convoitent le Levant tandis que les Britanniques négocient avec le shérif Hussein en préfiguration des accords de Sykes-Picot. En 1917, sur fond de révolution russe et avec l’entrée des Américains dans la guerre, le droit des peuples à l’autodétermination est une nouvelle donne qui modifie l’esprit des négociations. Les Britanniques sont préoccupés par le fait d’empêcher les Français d’entrer en Palestine : c’est le contexte politique qui préfigure la déclaration Balfour.
1918 : le sort de l’Orient se joue sur la Marne et dans le Caucase. Georges Clemenceau vise désormais la « Syrie utile » et l’accès au pétrole, quitte à céder la Palestine et Mossoul à Lloyd George, dans un accord parallèle aux accords officiels de San Remo. Fayçal, le chef de la grande révolte arabe, joue la carte britannique. La notion de « mandat », cette « colonisation à durée déterminée », entre en scène.
Sur le terrain, les troupes britanniques évacuent la Syrie, remplacées par les troupes françaises. Le libéral Clémenceau, qui a négocié avec Fayçal, perd l’élection présidentielle en France. Les positions françaises et britanniques se durcissent. Pendant ce temps, le mouvement national turc, appuyé sur le corps des officiers de l’armée ottomane, monte en puissance. Il aboutira à l’indépendance de la Turquie en 1922 et au kémalisme de l’entre-deux guerres.
On trace des frontières, on définit des capitales : Bagdad, Damas, Beyrouth, Jérusalem. « Les Arabes colorient la carte ». La mémoire des souffrances subies reste enfouie dans l’intimité des familles ; elle n’apparaîtra pas dans l’espace public.
Henry Laurens, dans une dernière partie, distingue la mémoire des sociétés de la mémoire des pouvoirs et du récit qu’ils en font. Pour les uns, un temps de calamités et de catastrophes dont il ne reste quasiment aucune trace. Pour les autres, la construction des mythes nationaux se revendiquant en particulier de la révolte arabe. La mémoire de la guerre est occultée, sauf « celle des martyrs pendus par les Ottomans ». L’historiographie nationaliste arabe est prise entre les récits de la révolte arabe et le problème de la compromission avec les Anglais. « Avec le drame ottoman, toutes les ethnogenèses se sont faites sur base confessionnelle ». Et c’est ainsi que « des groupes religieux sont devenus des nations ».
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