Organisation de l’État islamique

France. L’épineux dossier du retour des djihadistes

L’exécutif français affiche toujours une fin de non-recevoir quant aux demandes de rapatriement des djihadistes, de leurs femmes ou de leurs enfants. Désormais, Emmanuel Macron est visé à titre personnel par les démarches judiciaires des familles de combattants.

Camp d’Al-Hol
Cynthia Lee/CICR

En juin 2014, la ville irakienne de Mossoul tombait, après Rakka, entre les mains de l’organisation de l’État islamique (OEI). Plus de 40 000 combattants étrangers, venus de plus de 100 pays, ont alors rejoint ses rangs, selon les chiffres de l’ONU.

En France, le gouvernement a dénombré 1700 Français partis s’enrôler dans l’organisation depuis cette date. Les autorités du pays et une large partie de la classe politique considèrent qu’ils ont déclaré la guerre à la France, d’autant plus que la Syrie et l’Irak ont été la base arrière de certains attentats qui se sont déroulés sur le sol français, comme ceux du 13 novembre 2015 à Paris ou du 14 juillet 2016 à Nice.

Paris a consacré beaucoup de moyens pour empêcher d’autres combattants de rejoindre l’OEI. Elle a également augmenté l’arsenal de ses lois antiterroristes, à l’instar de la loi « renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme » du 18 octobre 2017. Mais depuis la reprise de Mossoulen juillet de la même année, puis celle de Rakka en septembre, la France rechigne à traiter sérieusement le dossier du retour de ses ressortissants djihadistes qui avaient été capturés par les Forces démocratiques syriennes (FDS) - forces combattantes dominées par les Kurdes - et placés dans des camps de rétention.

Ni les demandes insistantes des Forces démocratiques syriennes (FDS ) ni les tentatives des familles des djihadistes n’ont réussi à accélérer ce processus. Ces derniers — et surtout les femmes accompagnées de leurs enfants — demandent pourtant à rentrer chez eux et à être jugés en France. Mais Paris tient à ce qu’ils comparaissent en justice là où les crimes ont été commis, et en particulier en Irak, en raison des accords sécuritaires et juridiques qui lient les deux pays.

Condamnations à mort

En février 2020, le président Emmanuel Macron a réaffirmé cette position et nié l’existence d’un quelconque programme organisant le retour des djihadistes, résumant le rôle de son pays à un examen au cas par cas et à une aide consulaire pour ceux entre les mains des autorités irakiennes, qui en ont jugé et condamné certains. La France qui a aboli la peine de mort en 1981 a contesté la nature de ces condamnations, mais assuré que la justice irakienne était souveraine dans ses décisions. Le 24 mai 2019, après la condamnation à mort de 9 Français pour appartenance à l’OEI, le Quai d’Orsay a simplement déclaré que l’ambassade de France à Bagdad avait pris, dans le cadre de la protection consulaire qu’elle doit assurer à ses ressortissants, toutes les mesures nécessaires pour rappeler aux autorités irakiennes la position de la France qui s’oppose à la peine capitale.

Après ces condamnations, Paris a été la cible de plusieurs critiques, à l’intérieur comme à l’étranger. Ainsi, la rapporteure spéciale de l’ONU Agnès Callamard - devenue ce mois-ci secrétaire générale d’Amnesty International - a évoqué, dans un courrier adressé à la France en août 2019, « plusieurs violations du droit international » en demandant des éclaircissements sur son rôle dans le transfert des djihadistes condamnés à mort de la Syrie vers l’Irak. De son côté, le Comité contre la torture des Nations unies a incité Paris à prendre toutes les mesures nécessaires pour protéger ses ressortissants et empêcher leur exécution. En France, un collectif de 45 avocats avait signé une tribune en juin 2019 parlant du « déshonneur » qui serait celui de la France si elle rendait possible ces condamnations, en rappelant que la Constitution française ne souffre aucune dérogation en la matière, pas même pour terrorisme.

Une même intransigeance avec les enfants

Dans ce contexte, les collectifs des familles de djihadistes et les associations de droits humains se sont concentrés sur le rapatriement des femmes et des enfants. Mais là aussi, l’Élysée semble à peine moins intransigeant en faisant du cas par cas et en donnant la priorité aux orphelins.

En tout, ce sont 120 femmes et 300 enfants qui sont toujours détenus dans les camps des FDS dans des conditions difficiles. Le coordonnateur résident des Nations unies en Syrie Imran Reza s’est inquiété des conditions humanitaires dans le camp d’Al-Hol, peuplé à 80 % de femmes et d’enfants, après que 8 enfants sont morts en une semaine, en août 2020, des suites de problèmes de santé dus à une mauvaise alimentation et au diabète. Il a également rappelé que la pandémie de la Covid-19 a fragilisé davantage la situation des prisonniers en réduisant les services minimums. Depuis l’élection d’Emmanuel Macron, 35 enfants seulement sont revenus en France : 17 en 2017, 11 en 2020 et 7 en janvier 2021.

Les familles des djihadistes se mobilisent avec le soutien de quelques députés et avocats afin de sensibiliser l’Assemblée nationale à ce sujet. L’association Collectif des familles unies a ainsi reçu le soutien de 67 élus, dont Pierre Morel-À-L’Huissier (Union des démocrates et indépendants, UDI) et le sénateur communiste Pierre Laurent. Dans son communiqué du 13 janvier, l’association a salué le rapatriement de 7 enfants qui étaient détenus dans les camps des FDS en y voyant la preuve que la France peut faire revenir « qui elle veut quand elle veut ».

Les femmes devront « attendre »

Afin de faire entendre leur voix et d’accélérer le traitement de leur dossier, des dizaines de Françaises détenues chez les FDS ont entamé une grève de la faim fin février 2021. Interrogé sur ce sujet sur France Info le 26 mars 2021, le ministre des affaires étrangères Jean-Yves Le Drian a réaffirmé que la priorité était d’abord de rapatrier les orphelins et les enfants de moins de 10 ans, à condition d’obtenir l’accord de leurs mères, et en coordination avec les autorités locales. Quant aux femmes prisonnières, qu’elles aient ou non pris part aux combats, elles devront « attendre ».

Ce discours marque un changement dans la position officielle de la France depuis 2016 vis-à-vis des femmes qui sont parties rejoindre l’OEI, lié à l’évolution du rôle joué par ces dernières au sein de l’organisation. En effet, leur activité qui consistait au début à s’occuper des enfants et à « remplir leur devoir conjugal » a petit à petit évolué pour s’étendre au recrutement et même au combat. C’est notamment ce que souligne le rapport de juin 2019 de l’agence européenne de coopération entre les polices criminelles Europol, en plus de leur rôle dans l’organisation des attentats terroristes en Occident.

Un enjeu électoral

Si les autorités françaises sont si peu enclines à rapatrier les djihadistes, c’est principalement à cause de l’enjeu politique et électoral que ce dossier représente. Déjà en janvier 2019, la droite s’était insurgée contre l’annonce du rapatriement de 130 djihadistes qui seraient « arrêtés et jugés » selon le ministre de l’intérieur de l’époque, Christophe Castaner. À l’Assemblée nationale, la députée des Républicains (LR) Valérie Boyer a alors plaidé en faveur de leur comparution « en Irak ou en Syrie, là où ils sont actuellement », qualifiant leurs actes de « crime contre l’humanité » et de « crimes de génocide ». De son côté, le Rassemblement national (RN) a appelé à déchoir de leur nationalité française les djihadistes binationaux. Pis encore, le député LR Pierre-Henri Dumont a même proposé sur la chaîne LCP « l’élimination ciblée de ces personnes » comme alternative à la proposition du gouvernement et du parti présidentiel qui appelait également au rapatriement des djihadistes pour qu’ils soient jugés et emprisonnés en France.

Autre raison du virage de l’exécutif français : selon un sondage publié par le journal Le Figaro du 28 février 2019, 82 % des Français sont favorables à ce que les djihadistes soient jugés et condamnés en Syrie ou en Irak. Des chiffres qui pèsent plus que jamais, à un an de la prochaine échéance présidentielle.

Critiques et poursuites judiciaires

Face à cette situation, les familles des combattants ont décidé de se tourner vers la justice. En mai 2019, les grands-parents de deux enfants français détenus avec leur mère dans un camp en Syrie ont saisi la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) pour obtenir la condamnation de la France qui refuse de les rapatrier.

Le 30 mars 2021, trois avocats de familles de djihadistes ont demandé devant la Cour pénale internationale (CPI) l’ouverture d’une enquête pour crimes de guerre visant Emmanuel Macron. Les avocats de la famille jugent que le chef de l’État est soit « auteur » soit « complice » de détention illégale dans des conditions inhumaines, puisqu’il refuse de rapatrier les femmes et les enfants détenus par les FDS. Ils soulignent également que les forces kurdes n’ont pas les moyens de juger ces femmes.

Après le retour

Plusieurs conditions encadrent la prise en charge des mineurs à leur retour de « zone d’opérations de groupements terroristes ». En plus du suivi médical et psychologique, le parquet est informé de leur retour et le juge pour mineurs assure leur suivi.

La réintégration de ces enfants passe par les structures éducatives et les familles d’accueil. Ils peuvent néanmoins être confiés à leurs familles après vérification de l’absence de tout signe de radicalisation par l’assistance sociale.

Le 20 novembre 2020, et à l’occasion de la journée internationale des droits de l’enfant, le président du conseil départemental de la Seine–Saint-Denis Stéphane Roussel a publié un appel pour interpeller le gouvernement sur les conditions de prise en charge des enfants revenus de Syrie et d’Irak, et dont son département a accueilli le plus grand nombre. Ce département de la banlieue nord de Paris a en effet accueilli 94 enfants depuis 2016, et il continue à prendre en charge 74 d’entre eux. Le coût de leur prise en charge a atteint pour la seule année 2019 3 millions d’euros, sans que le département ne reçoive aucune aide de la part du gouvernement. Roussel a également dit avoir envoyé plusieurs lettres à l’exécutif qui sont restées sans réponse.

Vers un tribunal pénal international ?

Devant le piétinement qui caractérise la position européenne et surtout française sur ce dossier et le poids qu’il représente pour les FDS, plusieurs pays européens — dont la Suède — ont émis la possibilité de créer un tribunal pénal international sur le sujet, à l’instar des tribunaux sur l’Ex-Yougoslavie ou le Rwanda. Une option également envisagée par la garde des Sceaux française Nicole Belloubet en 2019, qui avait proposé la création d’un tribunal basé en Irak pour juger les combattants étrangers. Cette option est également soutenue par les FDS.

Mais l’administration Trump et celle de Biden se sont toutes deux opposées à cette option. Selon Jassem Mohamed, directeur du Centre européen d’études sur la lutte contre le terrorisme et le renseignement, les États-Unis considèrent que le rapatriement des djihadistes européens reste la solution la plus efficace, car en restant en Syrie ou en Irak, ils risquent d’être « recyclés » dans de nouveaux conflits.

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