Extrême droite

Israël. Toujours plus à droite, une course à l’abîme

Qui arrêtera le gouvernement liberticide de l’extrême droite nationaliste, coloniale et religieuse mis en place par Benyamin Netanyahou ? Les accords de coalition laissent présager le scénario du pire. Sylvain Cypel, puis Ezra Nahmad brossent le tableau de ce que ce dernier nomme « la descente dans l’abîme » d’Israël.

Benyamin Nétanyahou préside la première réunion du cabinet de son nouveau gouvernement à Jérusalem, le 29 décembre 2022
Ariel Schalit/AFP

Le 30 décembre 2022, au lendemain de la ratification au parlement israélien de la nouvelle coalition gouvernementale, les Nations unies appelaient la Cour internationale de justice (CIJ) à enquêter sur « la violation persistante par Israël du droit du peuple palestinien à l’autodétermination ». « Persistante » est le terme approprié. Car l’Assemblée générale de l’ONU a multiplié les résolutions dénonçant la colonisation et les autres actes illégaux perpétrés dans les territoires occupés par Israël depuis juin 1967. En vain, car les violations du droit n’ont jamais cessé.

Cette dernière résolution de l’AG de l’ONU (86 pour, 26 contre dont les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Allemagne, et 53 abstentions, dont la France) comme les précédentes, restera non contraignante. Trois jours plus tard, Israël annonçait l’expulsion forcée de 1 000 habitants du bourg de Masafer Yatta, en Cisjordanie, pour y établir une « zone de tir » de son armée…

Inquiétudes américaines

Israël vient de se doter d’un gouvernement plus colonial et identitaire que jamais. Jusqu’à quand et jusqu’où ses soutiens, États-Unis et Union européenne (UE), protègeront-ils un tel État ? Les médias américains s’inquiètent. Associated Press (AP) estime que le nouveau gouvernement « place Israël sur la voie d’une collision avec ses plus proches alliés, à commencer par les États-Unis et la communauté juive américaine »1.

Si Joe Biden a félicité Benyamin Nétanyahou tout en réitérant son engagement pour la « solution à deux États », et si son secrétaire d’État Antony Blinken a assuré qu’il « jugera les politiques poursuivies [par ce gouvernement], pas les personnes », la coalition au pouvoir à Tel-Aviv inquiète Washington. Les premiers signaux envoyés par Nétanyahou y ont été mal accueillis. La politique d’Israël devient de plus en plus problématique aux yeux de l’administration américaine, notamment pour une question intérieure : la critique d’Israël ne cesse d’enfler au sein des jeunes démocrates. Et plus de 300 rabbins américains ont déclaré qu’ils cessaient tout contact avec les membres du nouveau gouvernement israélien, dans une prise de distance croissante de la communauté juive américaine. Celle des jeunes juifs au premier chef, qui considèrent que le comportement de l’« État juif » est de plus en plus effroyable. Les mesures annoncées par Nétanyahou ne vont pas les ramener au bercail. « Les Américains juifs s’interrogent : le moment est-il venu de déclarer leur indépendance à l’égard d’Israël ? »2, écrit l’historien américain Eric Alterman.

Le chef du gouvernement israélien a rétabli un poste spécial de « ministre des affaires stratégiques » qui sera le véritable chef de sa politique internationale, le ministère des affaires étrangères étant relégué aux génuflexions diplomatiques. Or le détenteur de ces « affaires stratégiques » n’est autre que Ron Dermer, une homme lige de toujours de Nétanyahou. C’est lui qui avait organisé en 2015, avec la complicité des élus républicains, l’humiliation de Barack Obama au Congrès américain, à propos de la tentative d’accord américaine sur le nucléaire iranien. Dermer a été parmi les zélateurs les plus tapageurs de Trump, il était alors ambassadeur israélien à Washington.

De dangereuses concessions au camp des colons

Pour asseoir son pouvoir au parlement israélien, pour échapper aux poursuites judiciaires dont il fait l’objet, Nétanyahou a multiplié les concessions au « camp des colons ». Il inaugure une première : 55 ans après le début de l’occupation de la Cisjordanie, l’armée israélienne est dépossédée de sa maîtrise absolue des opérations sur la totalité des territoires occupés. Le nouveau ministre des finances, Betzalel Somtrich, de l’extrême droite la plus radicale, aura en main toutes les activités civiles en Cisjordanie — comprendre en premier lieu l’extension de la colonisation. L’armée s’inquiète. Ce faisant, le premier ministre apparaît comme un homme affaibli. Qu’une petite partie de ses alliés religieux coloniaux l’abandonnent et c’en est fait de sa coalition.

Or, les concessions de Nétanyahou laissent présager deux conflits menaçants. Celui d’une résurgence de grande ampleur de la révolte palestinienne, dans les territoires aussi bien qu’à l’intérieur d’Israël. Nétanyahou vient d’annoncer l’extension de la colonisation en Cisjordanie, il promet de futures « annexions », sans fixer de date. Rien de nouveau. Mais saura-t-il contrôler Itamar Ben Gvir, nommé à la tête de la police ? Comment maîtriser un homme qui toute sa carrière a incarné la violence raciste ? Les Palestiniens citoyens israéliens et plus encore ceux résidant à Jérusalem-Est doivent s’attendre au pire. Haaretz rappelle que Ben Gvir, jusqu’à récemment, « faisait l’objet d’un suivi du Shin Bet, au département du terrorisme juif »3. Et comme son alter ego Betzalel Smotrich est responsable des affaires civiles en Cisjordanie, les Palestiniens occupés peuvent craindre une dégradation rapide de leurs conditions de vie et une répression quotidienne plus violente.

Gvir et Smotrich sont liés aux cercles les plus extrémistes des colons juifs de Cisjordanie. Les tiroirs de leurs soutiens regorgent de projets d’expropriation des populations palestiniennes et de saisies de leurs biens (les terres, avant tout). Avec l’arrivée de Ben Gvir et Smotrich aux manettes, le sentiment d’impunité des colons atteint des sommets, faisant craindre une montée du niveau des agressions, pourtant déjà permanentes, contre les Palestiniens (et les Israéliens venus les soutenir). À peine entré en fonction, Ben Gvir s’est précipité sur l’esplanade des Mosquées pour signifier ses intentions.

D’ores et déjà, des membres de l’état-major israélien ont exprimé leurs craintes d’une nouvelle révolte dans la jeunesse palestinienne. Chef d’état-major en fin de mandat, Avi Kochavi a fait savoir ses inquiétudes à Nétanyahou. À la radio, le général Nitzan Alon, ex-commandant militaire de la Cisjordanie (de 2009 à 2012) a été très explicite : « La situation en Judée et Samarie est bien plus difficile aujourd’hui que quand j’y étais », a-t-il expliqué. Confier les manettes à Ben Gvir et Smotrich, « c’est une dinguerie. Ils essaient de semer le chaos dans les Territoires [palestiniens] sans décision formelle, en catimini. Je pense que ce gouvernement tente de nous emmener vers ce scénario »4. En attendant, l’armée a obtenu l’engagement verbal qu’aucune décision ne sera prise sans son accord préalable. Mais avec Nétanyahou, Ben Gvir ou Smotrich, les promesses n’engagent que ceux qui y croient… D’ores et déjà, les deux acolytes ont proposé l’adoption d’une loi imposant à tout membre de l’état-major une période de dix années de latence avant de postuler à un poste politique (actuellement elle est de trois ans). Histoire de tenir à distance les généraux à la retraite.

Menaces sur la démocratie

L’autre menace qui guette en Israël se situe sur le front intérieur. Elle concerne les réformes en profondeur concédées par Nétanyahou. Il s’agit d’abord de l’affaiblissement des prérogatives de la Cour suprême. Ses décisions pourraient être abolies par le Parlement, et les modalités de désignation de ses membres seraient contrôlées par les élus. Cela permettrait de faire quand même voter des textes retoqués par la Cour suprême pour non-conformité avec les « lois fondamentales » (au nombre de 14, et qui font office de Constitution). Ensuite, de l’adoption d’un « Plan pour le droit et la justice afin d’amender le système judiciaire et de renforcer la démocratie israélienne ». Comprendre, disent les adversaires de Nétanyahou, pour faire radicalement reculer la démocratie. Ce plan inclut notamment (liste non exhaustive) :

➞ l’augmentation des subventions publiques aux écoles religieuses et la réduction de leurs matières obligatoires (maths, sciences, anglais, histoire, etc.) au profit de l’enseignement religieux ;
➞ la nomination d’un élu d’extrême droite, Avi Maoz, au poste de contrôleur des manuels scolaires. L’homme est connu pour sa haine des « déviants sexuels » (LGBT) et du combat féministe ;
➞ le droit pour les entreprises, les hôpitaux ou les particuliers de refuser de vendre, louer ou commercer avec des personnes LGBT (une extension du refus déjà pratiqué à l’encontre des « Arabes » de louer ou vendre une résidence) .

Il est également prévu de modifier la « loi du retour » dans un sens très restrictif. Jusqu’ici, l’octroi de la nationalité était ouvert à toute personne justifiant d’un grand-parent juif. La nouvelle proposition met à l’ordre du jour l’application de la loi talmudique (dite « hala’ha »), pour laquelle la judéité se transmet par la seule mère. Avec une telle règle, un gros tiers des juifs originaires d’URSS et une proportion importante des juifs américains perdraient leur judéité aux yeux du Grand Rabbinat… Comme les juifs nés de mères converties par des rabbins dits « réformés », une pratique fréquente aux États-Unis. Ces Américains perdraient illico leur identité juive et la possibilité, s’ils le désirent, de devenir citoyens israéliens. Au bas mot, plusieurs centaines de milliers de juifs, israéliens ou pas, sont concernés. Cela n’émeut pas beaucoup les Palestiniens, privés de tout droit au retour depuis trois quarts de siècle. Mais la majorité des juifs américains y voient un outrage, surtout les jeunes : les sondages montrent qu’ils considèrent souvent Israël comme un État d’apartheid, alors que Ben Gvir a fait son meilleur score au sein de la jeunesse israélienne !

Ces réformes ne seront pas forcément toutes validées au Parlement. Déjà, les maires de grandes agglomérations ont annoncé qu’ils refuseront de coopérer avec Avi Maoz dans le domaine éducatif. Mais pour l’essentiel, Netanyahou dispose d’une majorité confortable. La plupart des analystes israéliens pensent que la société risque de connaître des bouleversements notoires, mettant en cause les droits démocratiques, profitant aux milieux religieux et aux plus corrompus. Deux jours avant la présentation du nouveau gouvernement, le Parlement a voté une loi permettant au rabbin Arieh Dery — un allié électoralement précieux du chef du gouvernement — de détenir un poste ministériel bien qu’il soit poursuivi pour fraude fiscale. Clairement, Netanyahou n’a pas trop à craindre d’un tel parlement à l’avenir.

En Israël, les inquiétudes montent autour de la coercition religieuse et d’une forte érosion de la démocratie. Mais pour le site en ligne +972 Magazine, si « la croisade de l’extrême droite contre le libéralisme laïque provoque une opposition massive en Israël, elle ne peut être séparée de l’orientation anti-palestinienne de l’État »5. Plus la société israélienne bascule dans l’identitarisme forcené, plus ceux qui entrent en résistance prennent conscience du fait que la sortie de crise passe par un combat commun avec les Palestiniens. Quant à la gauche sioniste, qui entend préserver les normes démocratiques tout en acceptant l’idéologie identitaire, elle disparaît progressivement du champ politique, comme l’ont montré les récentes élections.

« L’exceptionnalisme de l’Occident envers Israël doit cesser » 

En novembre 2018, deux élus israéliens d’extrême-droite avaient déposé un projet de loi stipulant qu’un soldat « ne sera pas interrogé en tant que suspect et sera à l’abri de toute poursuite en justice pour un acte commis ou un ordre donné dans l’exercice de ses fonctions ». Autant dire qu’il s’agissait d’intégrer la légalité du crime au code militaire. Ce texte n’a jamais été discuté en séance parlementaire plénière. Mais en octobre 2022, un projet de loi identique a été remis sur sa table, signé par 23 députés. Parmi ceux-ci, 8 sont devenus ministres ou vice-ministres du nouveau gouvernement Nétanyahou.

On en est là. Joe Biden et Antony Blinken attendent de juger sur pièces, tandis que la gauche anticoloniale israélienne en appelle, une fois de plus, aux puissances occidentales pour qu’elles mettent fin à l’impunité systématique accordée au gouvernement israélien. « Alors que les crimes d’apartheid s’aggravent, l’exceptionnalisme de l’Occident envers Israël doit cesser »6, écrit Michael Sfard, l’un des plus importants défenseurs des droits des Palestiniens en Israël. Ce sentiment est partagé par les progressistes israéliens : sans pression urgente et ferme des alliés d’Israël, la société israélienne, engoncée dans son colonialisme triomphant, ne sera pas capable de mettre fin à sa course vers le pire.

Israël ou la fuite en avant vers le pire

Par Ezra Nahmad

L’itinéraire d’Israël, comment le définir et le comprendre ? Sa descente dans l’abîme, têtue, obligée, étalée sur plusieurs décennies, présente une singularité. Prenons d’autres pays voisins comme l’Iran ou la Syrie : il y a là des masses qui luttent pour enrayer la course à la ruine, prêtes à sacrifier leur vie. En Israël, la grande majorité appelle son accomplissement, le reste de la population est atteint d’indifférence ou d’atonie.

Peut-être faut-il s’entendre sur ce qu’est la trajectoire fatale d’Israël. Puissance militaire et technologique, ce pays l’est assurément. Mais sa vie quotidienne, son climat social ou culturel sont aussi noirs que sa technologie militaire ou policière est fulgurante, on dirait qu’ils sont orientés en sens contraire. La puissance militaire et la puissance technologique, étroitement imbriquées, reposent sur le perfectionnement des misères infligées au peuple palestinien. Avec le temps, cette forme barbare du progrès israélien n’a pu aller de l’avant qu’avec le pillage des terres, la répression militaire, la surveillance policière, les saccages. Ce qui fait la fierté d’Israël n’existe que par la systématisation, l’industrialisation et la monétisation marchande des technologies criminelles développées à l’encontre des Palestiniens. L’enfantement de cette vocation étatique est un phénomène aussi étonnant que monstrueux. En usant d’une formule cynique, on pourrait dire que tous les mérites d’Israël devraient revenir en dernier ressort aux Palestiniens, sans qui cet État ne serait sans doute pas ce qu’il est.

Revenons à la santé de ce pays, une question essentielle. L’acharnement violent des colons et de l’armée contre les Palestiniens, les lois raciales s’imposent essentiellement en Cisjordanie, bien que les Arabes d’Israël subissent aussi quantité de lois discriminatoires. Ces crimes, au fil du temps, ont terni la morale, l’intelligence et la culture d’Israël. Et c’est précisément pourquoi ce pays vient de former un gouvernement d’hommes corrompus, racistes, avec des ministres qui appellent ouvertement à l’établissement d’un état théocratique, à la séparation des hommes et des femmes dans les espaces publics, à la ségrégation des homosexuels, au renforcement des lois d’apartheid pour tout ce qui s’écarte d’une forme de judéité de plus en plus paranoïaque.

Le consentement des Israéliens à de tels projets politiques témoigne de leur perte croissante des repères. Le sens de l’humour ou du bonheur, la curiosité ou l’intérêt pour les autres ont déserté la culture israélienne, remplacés par un autisme dépressif, étriqué et victimaire, et des subcultures emplies de superstitions. Une majorité de jeunes soutient, dit-on, les thèses du nouveau gouvernement israélien. Leur participation aux crimes collectifs exercés à l’encontre des Palestiniens au cours de leur service militaire y est pour beaucoup, mais l’endoctrinement commence à l’école dès le plus jeune âge.

Le discours officiel prétend que les crimes exercés en Cisjordanie, une sorte de no man’s land pour les Israéliens, n’atteignent pas le peuple à l’intérieur du pays. Il n’en demeure pas moins que les traumatismes des Israéliens, faits criminels très jeunes, les traumatismes refoulés, tus, mais néanmoins réels témoignent du contraire. Cet ensauvagement est d’autant plus une dégringolade qu’il est appelé, voulu par une grande majorité de citoyens, dans une logique de surenchère qui a cours depuis des décennies, et dans une fuite en avant vers le pire, nourrissant des projets de plus en plus noirs dans des esprits abâtardis.

Un peuple qui s’engage avec des forces de plus en plus brutales à asservir un autre peuple qui vit dans le même espace finit par succomber à ses propres démons pour devenir à son tour un peuple esclave. Ce n’est pas une loi, mais l’accomplissement logique d’une succession de choix. La dérive israélienne s’inscrit dans une dynamique qui ne lui est pas exclusive à l’échelle planétaire, mais qui, ailleurs, est contredite par une masse croissante d’individus et de groupes. En Israël, en revanche, les jeux semblent faits.

1Josef Federman, « As Israel’s Netanyahu returns to office, trouble lie ahead », AP, 29 décembre 2022.

2Eric Alterman, « Is it time to declare independence from Israël ? », Haaretz, 19 décembre 2022.

3Amos Harel, « Netanyahu government legislative tsunami will barrel down on the Defense establishment », Haaretz, 1er janvier 2023.

4Amos Harel, « Israel’s army chiefs drew his red lines, but does Netanyahu have any ? », Haaretz, 27 décembre 2022.

5Meron Rapoport et Ameer Fakhoury, « Why the ‘second Nakba’ government wants to remake the Israeli state », 9 décembre 2022.

6« As crimes of apartheid worsen, the West’s exceptionalism toward Israel must end », Haaretz, 21 décembre 2022.

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