La crise mondiale du Covid-19 est à Oman une épreuve pour le nouveau sultan, Haïtham Ben Tarek Ben Taïmour Al-Saïd. Tout le monde scrute sa gestion, alors que le pays est plongé dans une grande incertitude économique. « Il n’y a pas beaucoup de défiance contre le nouveau sultan, qui part avec un gros capital de sympathie. Il est même très apprécié. Les Omanais semblent lui faire confiance. La population sait que la crise liée au Covid-19 n’est pas de sa responsabilité, mais l’addition risque d’être tellement lourde dans les six prochains mois qu’il y aura forcément des moments de césure », analyse un diplomate européen.
Des mesures pour sauver les PME
Depuis l’aggravation de la pandémie, le sultanat s’est montré sérieux et rapide dans ses prises de décision. Dès le 17 mars, le pays a fermé toutes ses mosquées, ses souks et ses sites touristiques et interdit tout rassemblement. Les visas et croisières touristiques ont été annulés. Dans un second temps, toute entrée sur son sol a été interdite, n’autorisant que les Omanais expatriés à rentrer. Les résidents ont eu l’interdiction de quitter le territoire. Toutes les entreprises et institutions privées et publiques non indispensables ont également fermé leurs portes et 70 % des fonctionnaires sont en télétravail.
Ces mesures ont été efficaces pour contenir la pandémie, mais leurs conséquences économiques sont désastreuses pour les petites et moyennes entreprises locales, dont dépendent les revenus de beaucoup d’Omanais. De novembre 2018 à novembre 2019, selon les statistiques gouvernementales, la création de PME a bondi de 15 %. Cinq mille PME ont été créées entre janvier et novembre 2019, le gouvernement ayant facilité le financement et le parrainage de startups par le biais du National Business Center, de Riyada (autorité publique pour le développement des petites et moyennes entreprises) et du Fonds de développement des PME. Le pays en compte aujourd’hui 43 000.
Alors, pour amortir les conséquences économiques sur le secteur privé, le gouvernement a mis en place plusieurs mesures. Tous les remboursements de prêts des PME ont été reportés. Les centres commerciaux tout comme les restaurants ont été exonérés de taxes municipales jusqu’à fin août. Toutes les usines ont par ailleurs été exemptées du paiement de leurs loyers pour une période de trois mois. Ces mesures n’empêcheront pas un ralentissement de l’activité du secteur privé où seulement 20 % de la main d’œuvre est omanaise. « Ces dernières années, le gouvernement poussait les locaux à s’investir dans le secteur privé pour limiter les embauches dans le secteur public et que cela pèse moins sur leur budget », commente le diplomate.
Lourde chute de la rente pétrolière
Prudent, le ministère de l’économie avait planifié son budget public avec un baril à 58 dollars (53 euros). Aujourd’hui, du fait d’une baisse mondiale de la demande en hydrocarbures et d’une guerre des prix déclenchée par la Russie et l’Arabie saoudite, le prix du baril rend ces prévisions caduques. Le gouvernement a dès lors demandé aux ministères de réduire leurs dépenses de 10 %. Invité à la visioconférence du 9 avril marquée par un accord historique sur une réduction de 10 % de la production mondiale, Mohammed Ben Hamad Al-Rumhi, ministre omanais du pétrole, n’a pu que constater les dégâts du crash pétrolier.
Oman va être donc contraint de réduire sa production de 200 000 barils par jour pour les deux prochains mois, en espérant une légère hausse du prix du baril. Mais ce serait insuffisant toutefois, car le sultanat a besoin d’un prix du baril autour de 82 dollars (75 euros) pour équilibrer son budget. « L’économie reste fortement tributaire des revenus pétroliers malgré plus de vingt ans d’efforts pour diversifier et tendre vers une économie non pétrolière », commente Kristian Coates Ulrichsen, chercheur à la Rice University.
« Nous ne sommes pas à l’abri de nouveaux drames au sein de l’OPEP », prévient tout de même Roger Diwan, vice-président d’IHS Markit, entreprise américaine d’information économique, peu optimiste pour les pays pétroliers. « Retrouver un baril à 70 dollars [65 euros] dans quelques mois, c’est utopique. Les prix pétroliers vont suivre la courbe de la lente reprise de la demande qui s’est effondrée depuis la paralysie de l’économie mondiale. Cela se fera sur au moins deux ans avant que les prix remontent réellement ». Le sultanat, dépendant à 75 % de la rente pétrolière, va devoir passer l’année 2020 avec moitié moins de recettes budgétaires. Pire, la Chine, son principal client en hydrocarbures (à hauteur de 90 %), a baissé drastiquement sa demande en pétrole.
Les salaires des 250 000 employés du secteur public risquent ainsi de peser lourd et l’État va manquer de fonds pour assurer leurs paiements. « Ils ne pourront pas économiser des fonds en reportant des chantiers nationaux, car les recettes publiques servent surtout à payer les salaires des fonctionnaires omanais. Ce serait un dangereux pari que de licencier des fonctionnaires, car le nouveau sultan ne peut créer de mécontentement social. Il va être pris dans une équation impossible », estime encore notre interlocuteur diplomate.
Une dette à 100 % du PIB ?
Cinzia Bianco, analyste au Gulf State Analytics, n’est pas plus optimiste : « Les réserves financières d’Oman sont maigres, le ratio dette/PIB est dangereusement élevé et la valeur de ses obligations sur les marchés internationaux a été dépréciée par les agences de notation. Ces données montrent clairement que le budget de l’État et sa croissance économique seront inévitablement affectés par la guerre des prix du pétrole. Dans un premier temps, il est très probable que les conséquences de cette crise toucheront les investissements tournés vers la diversification de l’économie comme le tourisme, la logistique ou l’industrie ». Selon des estimations locales, la dette, à hauteur de 60 % du PIB omanais, pourrait franchir la barre symbolique des 100 % cette année. À l’avenir, Oman pourrait donc se voir moins facilement octroyer de prêts de bailleurs internationaux et le coût du remboursement de sa dette pourrait augmenter chaque année.
À court terme, le sultanat devrait puiser dans ses fonds souverains dont les réserves sont estimées à 23 milliards de dollars (un peu plus de 21 milliards d’euros). « Il va falloir qu’ils trouvent des financements sur les marchés ou qu’ils privatisent leurs dernières sociétés et infrastructures publiques », prévoit le diplomate européen. En décembre 2019, Oman avait déjà lancé une privatisation en vendant 49 % de son principal distributeur d’électricité, OETC, à une société chinoise (State Grid Corporation of China), pour 1 milliard de dollars (920 millions d’euros). La distribution d’eau, la gestion des déchets ou encore le flambant neuf aéroport de Mascate pourraient suivre, tant l’État aura besoin de liquidités.
Hormis le gaz et le pétrole, les recettes étatiques sont en effet dérisoires. La TVA et l’impôt sur le revenu sont inexistants ou, pour la TVA, réduits à quelques produits spécifiques. L’impôt sur le bénéfice des entreprises est faible et les quelques taxes locales et commerciales ont été, pour la plupart, annulées pour le moment.
Un frein à la diversification
Le secteur touristique, manne financière à fort potentiel pour Oman, souffre lui aussi de la pandémie mondiale. Malgré une nette progression depuis le début des années 2000, il ne représente pour l’instant que moins de 3 % du PIB. L’arrêt prématuré de la saison des touristes européens (janvier, février, mars) et la probable annulation du khareef — littéralement « l’automne », période de la mousson venue d’Inde qui adoucit la température du Dhofar —, qui avait attiré l’année dernière 70 000 touristes venus du Golfe, vont contribuer au marasme économique.
La perspective d’une année blanche pour le secteur touristique marque un recul de la diversification de l’économie et va créer du chômage. Guides, salariés des hôtels et de la logistique touristique sont tous à l’arrêt, alors qu’un jeune Omanais sur deux est au chômage. « Une dislocation économique liée à la crise du coronavirus va exacerber les défis du sultanat comme la création d’emplois et la diversification de l’économie. Oman et Bahreïn sont les plus fragiles du [Conseil de coopération du Golfe] CCG face à cette crise. Mais le Bahreïn peut compter sur le soutien politique et économique de l’Arabie saoudite et des Émirats arabes unis. Oman n’a pas cette option et est donc le pays le plus vulnérable du Golfe », analyse Kristian Coates Ulrichsen. Oman, en effet, a toujours refusé de s’aligner sur l’Arabie dans les conflits internes du CCG.
La crise sanitaire contenue
Outre les perspectives économiques et sociales peu réjouissantes, le nouveau pouvoir sera par ailleurs jugé sur sa gestion de la crise sanitaire. Comparé aux autres pays du Golfe, Oman est le moins touché par la pandémie, avec au 28 avril 2 049 contaminations pour 10 décès, bilan très inférieur à ceux de l’Arabie saoudite, des Émirats ou encore du Qatar. Cela s’explique en partie par un flux de va-et-vient entre l’Iran (premier foyer infectieux de la région) moins important que pour les autres pays du Golfe. Sora Al-Rowas, médecin au Royal Hospital de Mascate, loue également les mesures préventives prises par le gouvernement qui « a fait beaucoup d’efforts pour faire respecter les distances sociales et mettre en place des quarantaines » pour les citoyens potentiellement porteurs.
Oman n’a pas instauré de mesures obligatoires de confinement. Les déplacements sont cependant limités et contrôlés par la police. De nombreux checkpoints, dressés par l’armée, limitent les entrées et sorties des quartiers et gouvernorats. Amna Al-Balushi, membre du conseil municipal de Mascate et représentante de Seeb, la plus grande ville du sultanat en banlieue de la capitale, dit avoir été alertée du danger du coronavirus par son gouvernement dès le 24 février. « Nous avons eu une réunion avec des membres du ministère de la santé. Ils nous ont transmis des brochures électroniques sur la sensibilisation de la population aux mesures d’hygiène. Nous les avons ensuite partagées sur nos réseaux sociaux et avons fait de la prévention auprès de nos concitoyens », décrit-elle. Le sultanat a en effet créé, au début de la pandémie, une page internet dédiée au virus et à son développement à Oman. Un logiciel chatboat permet aux citoyens de poser des questions sur le virus.
« Toutes ces mesures se sont avérées efficaces. Aujourd’hui, nous pouvons traiter tous les cas graves qui arrivent. En situation normale, nos hôpitaux tournent à 85, voire 90 % de leurs capacités, donc nous avons un peu de marge », affirme la docteure Sora Al-Rowas. Le principal hôpital du pays où elle exerce dispose de 90 ventilateurs de réanimation et on estime que le pays en possède une petite centaine au total. « C’est loin d’être suffisant. Mais beaucoup de dons d’argent ont été faits au ministère de la santé pour combattre la propagation du coronavirus. Je suis donc sûre qu’une partie de ces dons serviront à acheter plus de ventilateurs », poursuit-elle.
Le 26 mars 2020, pour contribuer à l’effort sanitaire, le sultan Haïtham Ben Tarek a fait un don de 10 millions de rials omanais (24 millions d’euros) sur sa fortune personnelle, geste salué par tout le pays. Mais « notre secteur public hospitalier est bon. Les citoyens ont accès à tous les soins fondamentaux à Oman, gratuitement », commente la docteure omanaise. « Oman a un bon système de santé. De plus, sa population est globalement très jeune. La pandémie ne devrait pas frapper Oman de façon spectaculaire », confirme Cinzia Bianco.
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