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Quand la droite religieuse israélienne part à la découverte de la paix en Irlande du Nord

Quelles leçons tirer des accords qui ont mis fin au long conflit en Irlande du Nord ? Une délégation de la droite religieuse israélienne s’est rendue sur place en février 2017. Les convictions de ses membres en ont-elles été changées ?

Je ne peux pas décrire cette image.
Ofer Zalzberg (à droite) et les chefs religieux juifs israéliens devant le Parlement de Stormont, Belfast, Irlande du Nord, en février 2017.
International Crisis Group/Ofer Zalzberg.

Les blocages du processus de paix israélo-palestinien sont tellement nombreux qu’il est intéressant de remettre en question les postulats diplomatiques habituels et d’examiner les choses sous un angle nouveau. Dans cet esprit, j’ai eu envie d’approcher la communauté sioniste religieuse d’Israël, généralement considérée comme très intransigeante, favorable à un « Grand Israël » sur les bases de la Torah et dont l’expression politique est représentée par exemple par le Foyer juif de Naftali Bennett.

Au contact de cette communauté, j’ai compris progressivement à quel point il était néfaste de l’exclure du processus de construction de la paix si on la veut durable. J’ai entrevu la possibilité de surmonter cette exclusion en organisant pour ses membres un séjour auprès de l’organisation britannique Forward Thinking, qui propose des voyages d’études en Irlande du Nord et en République d’Irlande afin de permettre aux parties à un conflit en cours de rencontrer des groupes que tout oppose dans le nord du pays, ainsi que leurs interlocuteurs à Belfast et Dublin. Après des décennies de violence, l’Irlande du Nord est en effet parvenue à mettre en œuvre un accord de paix.

Les sionistes religieux avaient de nombreuses raisons de trouver cette proposition complètement irréaliste. Premièrement, la plupart des leaders religieux sionistes n’ont jamais traversé les frontières d’Israël, considéré comme terre sacrée. Certains quittent même rarement leur yeshiva (école religieuse), où ils se consacrent exclusivement à l’étude des textes sacrés en hébreu et en araméen. La plupart ne lisent aucune autre langue et quelques-uns sont même très réticents à l’idée de lire les principaux écrits académiques juifs.

Le « Grand Israël » sans les Palestiniens

En Israël et ailleurs, nombreux sont ceux qui considèrent que la communauté religieuse sioniste se compose de « faucons »1, de fondamentalistes. Cette communauté est influente, elle représente environ 15 % de la société et 20 % de la coalition au pouvoir2. La plupart de ses membres — même s’ils ne représentent pas la totalité — sont clairement favorables aux colonies qui ont proliféré en Cisjordanie, appelée par les sionistes des noms bibliques de « Judée » et « Samarie », le cœur de leur terre ancestrale mythique. Le noyau idéologique de cette communauté croit et formule sans détour que la rédemption ne pourra être obtenue que lorsque le peuple d’Israël dirigera la totalité de la « terre d’Israël » selon la Torah. Cette notion d’entité totale ne laisse aucune place à l’État palestinien. Elle remet également en question de nombreuses conceptions libérales de séparation entre l’État et les religions et de protection des droits des minorités. La communauté religieuse est favorable à la colonisation actuelle sur les terres qui appartiennent aux Palestiniens au regard du droit international et, si elle condamne la violence exercée par les colons eux-mêmes, elle entend que l’État hébreu assure leur sécurité.

Cependant, il me semble évident qu’aucun accord de paix ne pourra naitre sans la participation des communautés religieuses quelles qu’elles soient. Jusqu’à ce jour, elles ont été exclues de la construction de la paix qui est essentiellement un projet laïc formulé dans le jargon de la diplomatie et du droit international. Ce projet est d’une grande importance, mais il ne cadre pas avec la vision du monde des communautés religieuses traditionnelles, qui voient les négociations de paix comme une tentative de passer outre leurs préoccupations, mais aussi leurs systèmes judiciaires, juif ou islamique. Aucun processus de paix israélo-palestinien ne saurait aboutir sans qu’un changement ne s’opère dans ce domaine. En effet, les trois systèmes juridiques, juif, musulman ou international étant incompatibles, il faudra qu’ils évoluent vers la plus grande harmonie possible. Si l’on ne trouve pas un moyen de dessiner les contours d’une paix qui émane aussi du schéma de pensée des communautés religieuses et leur permette de l’adapter et de l’adopter, elles continueront à résister aux efforts de paix et à les rendre vains.

« Éviter le bain de sang »

Mes premiers contacts avec la droite religieuse sioniste datent de 2013 et de la rédaction du rapport de l’International Crisis Group3 sur son rôle dans le conflit israélo-palestinien. Pour l’occasion, je demande à un rabbin que je connais bien et qui est ancré dans la communauté religieuse, Doron Danino, de rassembler le groupe destiné à partir en Irlande, car c’est à eux de s’approprier et de mener ce processus. Nous parvenons à réunir deux responsables politiques, le ministre adjoint de la défense Elie Ben Dahan et le vice-président du Parlement Betzalel Smotrich, et six rabbins reconnus, dont un des leaders spirituels les plus influents de la communauté sioniste religieuse, le rabbin Yaacov Ariel. Tous soutiennent le projet de colonisation, certains étant eux-mêmes colons.

Les rabbins sont d’abord réticents : ils n’entendent s’éloigner d’Israël que s’ils estiment cela bénéfique au peuple juif. Deux célèbres rabbins refusent de se joindre au groupe, car ils n’ont aucun doute en leurs croyances et n’ont rien à apprendre des étrangers. D’autres estiment que leurs nouveaux pouvoirs politiques — les religieux font partie de la coalition au pouvoir depuis 2015 — s’accompagnent de nouvelles responsabilités. L’un des rabbins finit par affirmer qu’il ira « parce que nous tentons vraiment de sauver des vies, de sauver des juifs. Nous devrions faire tout notre possible pour éviter le bain de sang. » Cette décision débloque la situation et permet le départ en février 2017.

Je ne suis pas le seul à faire des découvertes : certains des participants n’ont jamais pris l’avion. Ils sont ravis de découvrir Israël sur la carte du monde diffusée par les écrans de l’avion et impressionnés par le petit miracle technologique des tapis à bagages de l’aéroport. Nous commençons par une visite guidée le long des lignes de conflit de Belfast. Ils sont presque heureux de découvrir que l’on peut mettre un terme à la violence tout en restant dans des communautés distinctes, que la paix ne mène pas à une intégration complète et harmonieuse. Ils sont rassurés de voir que l’on peut gérer un conflit sans pour autant arriver à une résolution totale qui serait synonyme d’assimilation. Leur crainte est que la paix encourage les juifs à se marier en dehors de leur communauté, à s’intégrer à une culture non juive et donc à perdre leur identité juive.

À Belfast et à Dublin, nous rencontrons des responsables religieux, politiques, des militants, d’anciens négociateurs, et d’anciens combattants de milices, les signataires de l’Accord du Vendredi saint4 et de celui de Saint-Andrews5. Je me rends rapidement compte que les questions que posent les participants ont toujours un double sens : elles portent sur le conflit en Irlande bien sûr, mais elles font également écho au conflit israélo-palestinien. Nous mettons en parallèle l’utilisation du terme « caractère sacré de la terre » par les Irlandais et celle qu’en font les religieux nationaux juifs.

À Dublin comme à Jérusalem

Les Israéliens projettent peu à peu leur conception religieuse nationale du conflit au Proche-Orient sur le conflit irlandais. Pour certains d’entre eux, Dublin représente Tel-Aviv ou Jérusalem. Selon eux, les Irlandais catholiques sont la population autochtone de l’Irlande, tout comme les juifs sont la population autochtone d’Israël. La terre des juifs s’étend, à leur sens, d’une partie de la Jordanie actuelle jusqu’à la Méditerranée – la terre que Dieu a promise aux juifs au temps d’Abraham. Les juifs d’Israël sont simplement rentrés chez eux, ils ne sont pas des colons. L’Irlande du Nord représente la Cisjordanie. Ce sont peut-être les protestants qui ne devraient pas être là ; ce seraient eux les colons. L’Angleterre serait l’équivalent de l’arrière-pays arabe, des États arabes. L’ironie de tout cela est qu’en Irlande du Nord, les protestants sont davantage pro-israéliens et les catholiques plus propalestiniens.

D’une réunion à l’autre, je vois que ce groupe qui a peu d’expérience internationale et une connaissance limitée d’autres conflits commence à élargir sa réflexion et à remettre en question certains de ses postulats. Par exemple, au cours des 25 dernières années, les négociateurs israéliens et palestiniens ont tenté de trouver un accord qui mette officiellement un terme au conflit et qui abolisse une fois pour toutes les revendications des deux parties. Pour la droite religieuse israélienne, cette position est très problématique et fait partie d’une solution laïque. Ils veulent mettre fin au massacre, mais la paix qu’ils invoquent dans leurs prières va au-delà. Une paix réelle pour eux est liée à la prophétie d’Isaïe selon laquelle les épées seront transformées en socs de charrue quand un temple sera érigé au lieu où se situe la mosquée Al-Aqsa [Isaïe 2 : 4]. Quand ils se rendent compte que le conflit en Irlande du Nord semble avoir été résolu sans expulser personne de son logement et sans qu’aucune des deux parties ne trahisse fondamentalement ses positions, ils trouvent cela très positif.

En d’autres termes, mes compagnons de voyage comprennent ce que représente cet accord pour les Irlandais qui, après des siècles de violence, pensaient que c’était chose impossible. Ils se rendent compte que le « statut final » peut attendre et qu’on peut trouver des compromis et des positions intermédiaires si l’on ne foule pas aux pieds la simple possibilité de la paix pour laquelle ils prient. La droite religieuse nationale, du moins d’après les représentants présents dans le groupe, est divisée sur les objectifs à atteindre. Certains affirment qu’il faut trouver un modus vivendi avec les Palestiniens, sans qu’il faille obtenir une victoire sur eux, mais sans accepter non plus d’abandonner indéfiniment les revendications territoriales. D’autres estiment que les Palestiniens doivent être totalement vaincus, que le seul obstacle est le manque de volonté d’Israël. Ils pensent que la discussion portant sur une solution à deux États, même si elle ne se concrétise jamais, laisse aux Palestiniens l’espoir de voir naitre un jour un État palestinien, et que tout traitement distinct des « implantations » par l’État israélien est terriblement néfaste. Ils déclarent qu’il faut faire comprendre aux Palestiniens qu’il n’y aura pas d’État palestinien et qu’ils doivent accepter de vivre sous l’autorité juive avec des « droits égaux, à l’exception du droit de vote ». Évidemment, il ne s’agit plus de droits égaux, mais c’est ainsi qu’ils le formulent.

Par conséquent, si un changement s’est produit au cours de ce voyage, c’est davantage dans la vision de l’annihilation de l’identité nationale palestinienne. Nous avions quitté Israël avec des idées essentiellement de la droite religieuse. À notre retour, les lignes ont un tout petit peu bougé. Même les participants qui parlent encore de vaincre les Palestiniens sont désormais d’avis qu’il est probablement préférable de reconnaitre une forme d’identité palestinienne pour que les Palestiniens vaincus acceptent la nouvelle réalité. Il est intéressant de noter qu’au sein de l’International Crisis Group nous constatons, dans nos discussions avec le Hamas, la même tendance à accepter ce type de « zone grise » relative à un statut final.

La possibilité d’un compromis

Dans l’avion du retour, le débat est animé. Certains trouvent des similitudes entre les deux conflits, d’autres affirment que « l’Irlande du Nord n’a rien à voir avec Israël. Les gens ont abandonné leur foi, ils sont principalement laïcs, ils ont accepté des compromis inacceptables. » Mais j’entends également un nouveau contre-argument : « Ils ne se tuent pas, ils ne reprennent pas les armes. Et en même temps, ils n’abandonnent pas leurs principales aspirations. Comment cela peut-il s’appliquer politiquement chez nous, à notre retour ? »

Le groupe a également pris confiance. En partant, ils exigeaient la discrétion absolue. À leur retour, ils n’hésitent pas à partager leurs impressions avec le principal journal national religieux dans un article intitulé « La parabole de l’Irlande du Nord ». Tout d’un coup, les rabbins aux longues barbes apparaissent sur tous les médias sociaux, posant devant les murs de la paix en Irlande du Nord. Cela suscite l’intérêt des médias : l’un d’entre eux est interviewé dans l’émission de radio la plus populaire d’Israël, « Reshet Beit », pour évoquer les réflexions suscitées par ce voyage. De l’extérieur, on pourrait penser que les « faucons » religieux sont tous les mêmes, mais au sein de cette communauté, la discussion s’anime très sérieusement autour de la possibilité théologique de parvenir à un compromis, de la disponibilité des mécanismes de facilitation de la paix et du rapprochement des dimensions politiques et religieuses du conflit.

Faisant fi des critiques, les membres du groupe ouvrent un nouvel espace de dialogue entre eux, permettant d’envisager des pistes pour une solution au conflit israélo-palestinien. Un rabbin donne une conférence sur le voyage en Irlande du Nord devant trois cents étudiants de yeshiva, ce qui a également des répercussions au sein des familles. Le caractère très masculin de cette visite a été critiqué, un groupe de femmes reconnues au sein de la communauté religieuse nationale partira donc aussi en Irlande avant la fin de l’année.

Sur WhatsApp, un parti politique de droite interpelle le groupe : « Vous allez voir les Européens pour tirer des enseignements. Ce sont des chrétiens ! Que tentent-ils de faire ? Nous convertir ? » Un des participants répond ce que tous les militants de la paix en Israël disent depuis un siècle : « Il faut faire tout ce qui est en notre pouvoir pour obtenir la paix. »

1NDLR. Qui défendent des positions particulièrement agressives ou musclées dans le conflit.

2Lire le rapport de l’International Crisis Group : Leap of Faith : National Religious and the Palestinian-Israeli Conflict, Middle East Report n° 147, novembre 2013.

3Ibid. Voir une traduction partielle en français : «  Paix au Proche-Orient : comment surmonter l’obstacle des sionistes religieux  », L’Obs, 9 juillet 2014.

4NDLR. L’«  accord du Vendredi saint  », également appelé «  accord de Belfast  » a été signé le 10 avril 1998 par les principales forces politiques d’Irlande du Nord acceptant une solution politique pour mettre fin aux trente années (1969-1998) de troubles sanglants. Il tire son nom de la date de signature, le vendredi précédant Pâques, célébré par tous les chrétiens.

5NDLR. Accord entre les gouvernements du Royaume-Uni, l’Irlande et tous les partis politiques majeurs de l’Irlande du Nord signé le 13 octobre 2006. Il a eu notamment pour résultat la restauration de l’assemblée nord-irlandaise.

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