Sud-Liban. La guerre israélienne contre l’environnement
Outre les pertes humaines et matérielles, les bombardements israéliens incessants sur le sud du Liban provoquent un désastre écologique qui aggrave la pénurie d’eau et l’insécurité alimentaire des populations locales.
Sur le terrain agricole de Walid (nom modifié) à Zawtar El Gharbiyeh, dans le gouvernorat de Nabatieh (sud du Liban), on peut encore apercevoir un profond cratère laissé par l’impact d’un missile israélien. Sa maison, qui se trouvait sur une colline au-dessus du champ, a été détruite. Walid n’est pas le seul agriculteur libanais à avoir subi les conséquences de la guerre entre Israël et le Hezbollah, qui a éclaté après que le groupe chiite a décidé d’ouvrir un « front de soutien » à la suite de l’opération « Déluge d’Al-Aqsa » lancée par le Hamas le 7 octobre 2023.
Ali (nom modifié), qui vit dans le village voisin de Harouf, a vendu ses vaches immédiatement après le 7 octobre. « Je savais que quelque chose allait se passer ici aussi », explique-t-il. La situation s’est aggravée avec l’escalade de septembre 2024, qui a provoqué le déplacement de 1,2 million de personnes au Liban. « Pendant la guerre, presque tout le monde est parti, poursuit-il. Je suis resté pour protéger ma maison et mes terres. » Hussein Mostafa, un autre agriculteur de Zawtar, se souvient d’avoir vu son père pleurer seulement deux fois dans sa vie :
La première fois, lorsque mon oncle est devenu un martyr, et la deuxième fois quand nous sommes revenus au village après la guerre et qu’il a vu que ses moutons et ses chèvres étaient morts.
Catastrophe agricole
Le secteur agricole représente environ 8 % du produit intérieur brut (PIB) national et 80 % de celui du Sud-Liban, où l’on cultive principalement du tabac et des oliviers, mais aussi des bananes, des agrumes et des avocats. En mars 2025, la Banque mondiale a estimé que les dommages environnementaux causés par la dernière guerre dans le pays s’élevaient à environ 221 millions de dollars (190 millions d’euros), tandis que les pertes agricoles, causées par la destruction des récoltes et du bétail et le déplacement des agriculteurs, dépassaient le milliard de dollars.
Dans un rapport publié en juillet 2025, le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) a calculé que les attaques israéliennes ont endommagé ou détruit 2 192 hectares, dont 1 917 hectares de forêt et 275 hectares de terres agricoles. Environ 134 hectares d’oliviers, 48 d’agrumes, 44 de bananiers et 15 d’autres arbres fruitiers ont été perdus. En avril 2024, l’ancien président du Conseil des ministres du Liban, Najib Miqati, avait affirmé que le sud du Liban était devenu une « zone de catastrophe agricole »1.
Les attaques n’ont pas affecté seulement les cultures. Elles ont endommagé également les infrastructures, notamment celles liées à l’eau, comme le démontre le PNUD :
Outre les dégâts causés au réseau de l’Autorité du fleuve Litani2, les infrastructures d’irrigation des villages frontaliers ont été endommagées par des attaques aériennes intensives, des bombardements et des opérations terrestres.
Attaques incessantes
Mais les zones les plus proches de la « Ligne bleue »3 ne sont pas les seules concernées. Le système d’irrigation des terres de Walid a également été détruit. Pour ne le reconstruire que partiellement, raconte-t-il : « j’ai dû payer 800 dollars [680 euros] de ma poche ».
« Les attaques ont endommagé l’installation solaire qui alimentait le puits du village. Il est toujours inutilisable », déclare le chef de la municipalité de Zawtar, Abdel Az-Zein Rashid Fakih. Il explique que les habitants sont désormais contraints d’acheter l’eau qu’ils consomment et qu’ils utilisent pour irriguer leurs champs.
Ce problème touche plusieurs régions du sud du Liban. À Tyr, par exemple, la principale installation de distribution de l’eau a été gravement endommagée le 18 novembre 2024. De nombreux habitants n’ont plus accès à l’eau courante depuis leur retour chez eux. Les raids israéliens ont frappé un système d’infrastructures déjà fragile, dans un pays comme le Liban qui lutte depuis des années pour faire face aux conséquences de la crise climatique et de l’effondrement économique de 2019.
Malgré le cessez-le-feu du 27 novembre 2024, Israël n’a jamais cessé d’attaquer le sud — quasi quotidiennement — et la région orientale de la Beqaa. Il a également frappé cinq fois la banlieue sud de Beyrouth. L’armée israélienne continue également d’occuper cinq positions au-delà de la Ligne bleue. En octobre 2025, une étude géospatiale de la Force intérimaire des Nations unies au Liban (Finul)4 a confirmé qu’Israël avait également construit un mur de séparation à l’intérieur du territoire libanais, au sud-ouest de Yaroun, rendant plus de 4 000 m² inaccessibles à la population. La Finul dénonce cette édification comme une violation de l’accord et de la résolution 1701 de l’ONU. En raison de la persistance de l’agression israélienne, environ 82 000 Libanais sont toujours déplacés.
Utilisation de munitions au phosphore blanc
Roberto Renino, président de la branche italienne de l’ONG libanaise Amel, qui s’engage en faveur des communautés vulnérables, explique :
C’est la troisième année que le travail des agriculteurs est totalement ou partiellement bloqué en raison des délais des semailles, des récoltes et de la taille, car le conflit et le fait d’avoir dû quitter leurs terres ont bouleversé le cycle traditionnel de leur mode de cultiver.
En collaboration avec l’organisation à but non lucratif Source international, Amel a mis en place le projet Turabna afin de contrôler les sols dans le sud du Liban et vérifier les effets des bombardements israéliens sur les terrains agricoles. Ces analyses sont essentielles, notamment pour évaluer l’impact à long terme et l’éventuelle contamination des champs.
Roberto Renino poursuit :
Les institutions libanaises ont déjà effectué des tests sur les produits agricoles et ont décrété qu’il n’y avait aucun risque pour la santé, mais il est également important de savoir si le fait de vivre, de manger, de cultiver et de respirer sur ces terres est nocif ou non, et si certaines substances peuvent affecter le secteur agroalimentaire ou le biome du sud du Liban.
Lors de la dernière guerre, l’armée israélienne a utilisé des munitions au phosphore blanc au Liban (et dans la bande de Gaza), comme elle l’avait d’ailleurs déjà fait par le passé. Il s’agit d’une substance hautement inflammable qui ne peut être utilisée contre des cibles civiles. Human rights watch (HRW) a confirmé l’utilisation de munitions au phosphore blanc par les forces israéliennes dans au moins dix-sept communes du sud du Liban depuis octobre 2023, dont cinq où des munitions explosives aériennes ont été utilisées illégalement sur des zones résidentielles densément peuplées5.
Insécurité alimentaire
Selon une étude publiée en novembre 2023 par l’Université américaine de Beyrouth, l’exposition au phosphore blanc peut réduire la productivité des terres agricoles, en plus de nuire aux écosystèmes forestiers et à la biodiversité6. Depuis le début des hostilités, les incendies se sont multipliés dans les forêts libanaises. Certains d’entre eux ont été déclenchés par des munitions lancées par les forces israéliennes. Entre le 3 novembre 2023 et le 17 avril 2025, le Liban a déposé huit plaintes auprès du Conseil de sécurité des Nations unies condamnant l’utilisation du phosphore blanc par Tel-Aviv pour brûler délibérément des bois et des zones forestières.
« Avant la guerre, Zawtar dépendait fortement de l’agriculture qui était notre principale source de revenus », explique le chef de la municipalité. Les habitants de ce village, comme ceux de nombreux autres villages du sud du Liban, ont vu leur source de revenus disparaître et certains d’entre eux ont dû trouver une nouvelle activité ou ont été contraints de demander de l’aide à leur famille. En mai 2025, environ 1,17 million de personnes au Liban ont connu des niveaux élevés d’insécurité alimentaire, selon l’échelle IPC (Integrated food security phase classification), avec une incidence particulièrement élevée dans les régions de Baalbek, Hermel, Baabda, Bint Jbeil, Marjayoun, Nabatieh, Tyr et Akkar.
Destruction massive et délibérée des terres agricoles
Le chef de la municipalité de Zawtar affirme qu’il coordonne ses efforts avec le ministère de l’agriculture pour garantir un soutien aux agriculteurs, mais ces derniers souhaiteraient une intervention plus décisive de la part des institutions. Les habitants de Zawtar ont reçu l’aide de certains villages voisins et les agriculteurs louent parfois des machines qu’ils partagent. Mais selon les agriculteurs, il s’agit là de solutions d’urgence qui ne permettent pas de répondre aux besoins du village. « Nous avons besoin de tracteurs, de pompes à eau, d’outils et d’engrais, et nous devons réparer le puits », expliquent-ils. « Le ministère [de l’agriculture] doit intervenir et nous indemniser pour les dommages causés par la guerre », insiste Kamal Ezzeddine, l’un des agriculteurs les plus âgés rencontrés à Zawtar.
« J’ai personnellement vu une énorme quantité de machines détruites », confirme Renino. Il s’agirait d’après lui d’une « stratégie visant à empêcher la reconstruction et le retour des agriculteurs sur leurs terres ». À cet égard, Amnesty International a souligné dans un rapport publié en août 2025 que « la destruction massive et délibérée de biens civils et de terres agricoles par l’armée israélienne dans le sud du Liban doit faire l’objet d’une enquête pour crime de guerre »7.
Selon le Haut-commissariat des Nations unies aux droits de l’homme (HCDH), au moins 57 civils ont été tués par l’armée israélienne alors qu’ils tentaient de rejoindre leurs villages du sud du Liban au cours des 60 premiers jours du cessez-le-feu. D’autres attaques contre des agriculteurs et des destructions de terres agricoles ont également été signalées par la suite, notamment pendant la période de la récolte des olives.
Selon la Finul, dans certains cas, les agriculteurs sont obligés de s’enregistrer auprès de la municipalité et d’attendre l’autorisation des forces israéliennes avant de pouvoir se rendre sur leurs terres pour travailler. L’autorisation peut être refusée sans aucune explication ou à cause des « raisons de sécurité » non précisées. « Je n’appartiens à aucun parti, je ne suis pas engagé en politique. Je veux seulement cultiver ma terre », plaide Walid, pendant qu’il marche parmi les arbres de son champ, au milieu des broussailles brûlées et de quelques débris de guerre qui recouvrent le terrain.
1« Mikati seeks to declare south Lebanon an ’agricultural disaster zone’. », L’Orient Le Jour, 4 avril 2024.
2NDLR. Institution publique, l’Autorité du fleuve Litani (LRA) est chargée de gérer et développer les ressources en eau et en énergie du fleuve Litani.
3NDLR. Ligne tracée par les Nations unies en 2000 et séparant le Liban, la Syrie et Israël.
4NDLR. La Finul a été établie en mars 1978 par le Conseil de sécurité pour confirmer le retrait des troupes israéliennes du sud du Liban, rétablir la paix et la sécurité internationales et aider le gouvernement libanais à rétablir son autorité effective dans la région.
5« Lebanon : Israel’s White Phosphorous Use Risks Civilian Harm », Human rights watch, 5 juin 2024.
6Antoine Kallab, Leila Rossa Mouawad, « The Socio-Environmental Impact of White Phosphorous Ammunition in South Lebanon : Analysis and Risk Mitigation Strategies. Nature Conservation Center », novembre 2023.
7« Israel’s extensive destruction of Southern Lebanon », Amnesty International, 26 août 2025.
Vous avez aimé cet article ? Association à but non lucratif, Orient XXI est un journal indépendant, en accès libre et sans publicité. Seul son lectorat lui permet d’exister. L’information de qualité a un coût, soutenez-nous (dons défiscalisables).
Les articles présentés sur notre site sont soumis au droit d’auteur. Si vous souhaitez reproduire ou traduire un article d’Orient XXI, merci de nous contacter préalablement pour obtenir l’autorisation de(s) auteur.e.s.


