Ce que l’OLP doit vraiment changer

Un point de vue palestinien · Plus d’un mois après la reconnaissance de Jérusalem comme capitale de l’État d’Israël par le président Donald Trump, la réunion du Conseil central de l’OLP, si elle a permis d’exprimer la colère palestinienne, n’a pas débouché sur un changement de politique. Or, il s’agit désormais d’abandonner les anciennes stratégies de négociation pour une nouvelle voie, fondée sur le rassemblement démocratique et sans exclusive de toutes les tendances politiques et sociales palestiniennes au sein d’une OLP à reconstruire.

7 décembre 2017. Manifestation de colère à Ramallah après la déclaration de Donald Trump sur Jérusalem.
stopthewall.org

Le Conseil central de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) s’est tenu près de quarante jours après la décision du président américain Donald Trump de reconnaître Jérusalem comme capitale d’Israël et d’entamer le processus de transfert de l’ambassade américaine de Tel-Aviv vers la ville sainte. ll est allé jusqu’au refus de recevoir le vice-président américain Mike Pence lors de sa visite dans la région et de voir l’administration américaine continuer de jouer le rôle de parrain et d’intermédiaire dans le processus politique.

Malgré tout, les signes ne manquent pas pour montrer qu’il n’existe pas de réelle intention d’imprimer un nouveau cours à la politique palestinienne et qu’on persiste à miser sur la possibilité d’améliorer les anciennes conditions. On peut citer à cet effet l’absence d’un appel à réunion immédiate du Conseil central après la décision de Trump, et le fait que le comité exécutif de l’OLP ne se soit réuni qu’à la veille de la tenue du Conseil central. En outre, la structure dirigeante provisoire de l’OLP, formée après « l’accord du Caire » de 2011 n’a pas non plus été convoquée. Or, elle est censée assumer la direction de l’OLP durant une phase transitoire se terminant par la tenue d’un Conseil national palestinien (CNP) d’unification. Cette structure intègre le comité exécutif de l’OLP, les secrétaires généraux des partis et des factions, parties prenantes ou non au sein de l’OLP, y compris le Fatah, Hamas, le président du Conseil national palestinien (CNP) et des personnalités indépendantes.

Par ailleurs, le Conseil central ne s’est pas tenu hors de Palestine : ni au Liban — où le président du Parlement libanais avait pourtant affiché sa disponibilité — ni au Caire. La réunion qui s’est déroulée à Ramallah n’a pas été connectée avec Gaza et Beyrouth pour permettre la participation des membres du Conseil central interdits d’entrée par les autorités d’occupation. Et il ne s’agit pas seulement des dirigeants des factions intégrées à l’OLP comme Nayef Hawathmeh, le secrétaire général du Front populaire de la libération de Palestine (FPLP) et Ahmed Jibril, secrétaire général du FPLP-CG (FPLP-commandement général). Il y a également Ramadhan Challah, secrétaire général du Djihad islamique et Ismaïl Haniyeh, le chef du bureau politique du Hamas.

« La gifle du siècle »

Ces faits sont révélateurs. La direction palestinienne, et à sa tête le président Mahmoud Abbas, en dépit de sa colère contre la décision américaine, de sa conviction de plus en plus grande que le présumé « processus de paix » est une impasse, que le « deal du siècle » n’est que la « gifle du siècle » (que nous « n’accepterons pas », a insisté Mahmoud Abbas dans son discours à l’ouverture du Conseil central) n’est pas prête à emprunter une autre voie. Sa lecture de la situation locale, arabe, régionale et internationale est erronée. Elle ne parie pas sur le peuple palestinien, sur son attachement à poursuivre la lutte pour ses droits et pour réaliser ses objectifs. Elle ne compte pas sur le large rejet arabe et international de la décision américaine. Les États-Unis se sont retrouvés isolés au Conseil de sécurité comme à l’Assemblée générale des Nations unies. Ils ont suscité un rejet de la part de la Ligue arabe, de l’Organisation de la coopération islamique (OCI) et aussi de l’opinion publique dans le monde.

La direction palestinienne occulte toutes ces prises de position — tout en s’en félicitant par ailleurs matin et soir — et ne cherche pas à construire dessus. Elle ne croit pas à la possibilité de construire une alternative au processus de solution négociée. Sa position s’est ainsi limitée au rejet du parrainage américain des négociations. Elle reste attachée à l’ancien processus tout en réclamant la fin du monopole américain. Elle a tout juste exprimé sa « préférence » que le processus reprenne à travers une conférence internationale et dans un cadre multilatéral sur le modèle des « 5 +1 » qui a abouti à l’accord sur le programme nucléaire iranien.

Le fait qu’Abbas ait laissé la porte entrouverte à la reprise du même processus est conforté par d’autres signes. La direction palestinienne s’est ainsi abstenue d’accorder la priorité à la réalisation de l’unité palestinienne sur une base de lutte, alors que cela apparaît comme une réponse efficace aux dangers inhérents à la mise en œuvre des derniers plans américano-israéliens qui visaient à liquider la cause palestinienne.

Signe également qu’aucune nouvelle voie n’est prise, le consul général américain a été invité à assister à l’ouverture de la réunion du Conseil central. Les liens avec les Américains sont loin d’être rompus, ainsi que le montre le retour du représentant de l’OLP à Washington, au motif qu’il allait s’occuper des relations avec des forces et des mouvements associatifs américains non gouvernementaux.

Des décisions inapplicables

L’analyse des décisions du Conseil central montre qu’elles sont de deux sortes :

➞ des décisions applicables, comme la poursuite de la stratégie d’internationalisation à travers le recours aux institutions internationales pour obtenir des résolutions soutenant le peuple palestinien. Parmi elles, le renouvellement de la demande à ce que l’État de Palestine devienne membre à part entière et adhère à de nouvelles organisations internationales ; la signature de plus d’accords et de traités internationaux ; le recours au Conseil de sécurité et à l’Assemblée générale des Nations unies pour prendre de nouvelles résolutions ou pour l’application de décisions déjà prises en faveur de la cause palestinienne. Il s’agit, pour rappel, de 86 résolutions du Conseil de sécurité et de 750 de l’Assemblée générale de l’ONU, et de plus de 100 résolutions du Haut Commissariat aux droits de l’homme (HCDH). Parmi les décisions pouvant être appliquées, même partiellement, citons aussi la décision de recourir à la Cour internationale de justice (CIJ) et à la Cour pénale internationale (CPI) — encore que l’hésitation reste de mise quant à lui soumettre les crimes israéliens —, la poursuite de la contestation populaire et éventuellement son renforcement sans pour autant aller vers une intifada générale ;

➞ des décisions difficiles ou impossibles à mettre en œuvre sans un changement fondamental dans les politiques et les modes d’action. C’est d’autant plus évident que leur éventuelle mise en application susciterait des réactions israéliennes et américaines comme l’arrêt des aides américaines, le refus du versement des recettes collectées par Israël, la limitation de la liberté de mouvement des responsables palestiniens et des privilèges que leur accorde l’occupation. On peut citer à ce titre la suspension de la reconnaissance d’Israël jusqu’à ce que ce dernier reconnaisse l’État de Palestine, l’arrêt de la coordination sécuritaire, la suspension de l’application de l’accord économique de Paris, la mise en œuvre de l’appel au boycott d’Israël et l’application de sanctions, la saisine de la CPI pour les crimes commis par Israël et en premier lieu la colonisation de peuplement, les assassinats de Palestiniens dont les enfants, les femmes et les personnes âgées….

L’absence d’intention d’appliquer ces décisions se révèle dans les formulations mêmes qui sont susceptibles d’interprétations diverses. Ou bien dans le fait que le timing de leur mise en œuvre est confié au comité exécutif de l’OLP. Leur non-application est de ce fait hautement probable, comme cela a été le cas pour les décisions prises lors de la précédente session du Conseil central en 2015 et qui sont restées sans suite.

Pressions arabes, européennes et... d’Emmanuel Macron

Pourquoi ces décisions ne seront-elles pas appliquées ? Tout d’abord, les conditions d’une nouvelle approche ne sont pas réunies, et en premier lieu la réalisation de l’unité nationale. La question de la réconciliation n’a pas suscité l’intérêt qu’on aurait pu attendre. On a beaucoup insisté sur le processus de prise de contrôle du gouvernement (à Gaza), mais les autres aspects ont été ignorés : accord sur un programme national ; constitution d’un gouvernement d’union nationale sur la base d’un changement des fonctions et des engagements de l’autorité ; reconstitution des institutions de l’OLP afin qu’elle intègre les différentes forces à travers la tenue d’une réunion de la direction palestinienne préparant un conseil national palestinien d’unification ; accord sur les règles du partenariat politique ; organisation d’élections.

Ensuite, des États arabes ont conseillé à la direction palestinienne de ne pas transformer le rejet palestinien de la décision américaine en une guerre ou une hostilité envers les États-Unis, car cela ne profiterait, selon eux, qu’à l’Iran et son axe, lequel s’est réorganisé avec l’évolution de la situation en Syrie et en Irak et a restauré les relations avec le Hamas. Ils ont conseillé également d’attendre de connaître le plan américain, car il pourrait, peut-être, comporter une réponse aux revendications et aux droits palestiniens. Une assertion intenable, car le « plan-gifle » qui commence par l’absorption de Jérusalem ne peut se terminer — en cas de succès — que par la liquidation de la cause palestinienne.

Enfin, Les États européens, notamment la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni, ainsi que la Russie et la Chine ont conseillé à la direction palestinienne de ne pas dénoncer les accords d’Oslo et de rester attachée à la solution des deux États. Selon eux, il n’y a pas d’alternative à une solution négociée et au rôle des États-Unis comme parrain du processus de paix, même si l’appel palestinien à un parrainage multilatéral est important. Mieux, le président français Emmanuel Macron, dont le pays a pris une position remarquée en refusant la reconnaissance américaine de Jérusalem comme capitale d’Israël, mène une médiation pour réduire le fossé entre l’Autorité palestinienne et les États-Unis. Macron a indiqué à Mahmoud Abbas lors de leur rencontre à Paris que la France ne reconnaîtra pas l’État de la Palestine en dehors des négociations, car il s’agirait d’une mesure unilatérale et inappropriée. Le président français a choisi d’ignorer qu’une telle reconnaissance serait conforme à la légalité internationale et que le Parlement français a déjà recommandée en 2014.

La quête vaine de la « solution à deux États »

La reconnaissance de l’État palestinien, surtout si elle s’insère dans le cadre d’un plan français, européen et multilatéral et en application de politiques actives et fermes, pourrait éviter l’effondrement total de la solution des deux États, avec ses conséquences sur la sécurité, la stabilité et la paix dans la région et au-delà. Le processus menant à cette solution à travers les négociations bilatérales et multilatérales et le pari sur les États-Unis et la communauté est pourtant mort bien avant la dernière décision américaine et bien avant l’arrivée de Trump au pouvoir aux États-Unis. La raison est connue : l’alignement historique des administrations américaines derrière Israël qui est traité comme un État au-dessus du droit international. Les États-Unis ont utilisé à 43 reprises leur veto au Conseil de sécurité en faveur d’Israël et ont empêché la prise de décisions internationales sous le chapitre VII de la Charte des Nations unies (« Action en cas de menace contre la paix, de rupture de la paix et d’actes d’agression ») qui leur donne pourtant un aspect contraignant.

Actuellement, l’administration Trump s’est transformée en partenaire actif de la colonisation, passant de la recherche d’un compromis, même inégal et favorable à Israël, à une action pour imposer la solution israélienne par la force en créant des situations de fait sur le terrain. Ainsi que l’a écrit Donald Trump dans un tweet, la question de Jérusalem a été balayée de la table des négociations. Tout comme il entreprend actuellement d’effacer celle des réfugiés en poussant à la dissolution de l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA) ; et en encourageant la réinstallation et le déplacement des réfugiés, comme c’est arrivé en Syrie et au Liban, d’où sont partis des centaines des milliers de réfugiés.

L’abandon palestinien officiel du processus est improbable après un cycle de 24 ans de négociations dans une quête vaine de la solution dite « des deux États ». Un cycle au cours duquel les Palestiniens se sont retrouvés ligotés par les entraves injustes de l’accord d’Oslo, lequel a secrété une direction qui ne croit pas à d’autres choix et qui craint d’en payer le prix. Elle est confortée dans cette attitude par une structure politique, économique, sociale, culturelle et sécuritaire qui a généré de la richesse et de l’influence au bénéfice d’individus et de groupes dont l’intérêt est à présent que cette situation perdure.

Les divisions interpalestiniennes ont, par ailleurs, renforcé cet état de fait, d’autant que le Hamas, le Djihad et les forces opposées à l’accord d’Oslo se sont révélés incapables d’ouvrir une autre voie et d’offrir une alternative.

Les conditions d’une nouvelle voie

Le contrôle unilatéral du pouvoir à Gaza par le Hamas et sa disponibilité à intégrer l’Autorité palestinienne (AP) avant même le changement de son rôle et de ses engagements ont accentué les choses. Cela a contribué à créer le sentiment qu’il s’agit davantage d’une lutte pour le pouvoir que d’un combat contre l’occupation israélienne. Cette prise de contrôle (de Gaza) s’est accompagnée d’un échec de la stratégie de la résistance armée du fait de la béante disproportion des forces ; et désormais la trêve ouverte avec l’occupation conforte le sentiment que la résistance est surtout un moyen au service des luttes internes.

La seule issue pour les Palestiniens réside dans l’abandon des stratégies actuelles (les négociations et la résistance unilatérale) pour s’engager dans un processus historique visant à créer, même si cela prendra du temps, les conditions d’une nouvelle voie. Le but est de réhabiliter la cause palestinienne en tant que question de libération nationale et son programme national : l’égalité pour les Palestiniens de 1948, et le droit au retour et à l’autodétermination, ce qui inclut la réalisation de l’État, de la souveraineté et l’indépendance nationale. Cela passe par un changement dans le rapport de forces basé sur la justesse de la cause palestinienne et sa supériorité morale, sur la disponibilité du peuple palestinien à poursuivre le combat. Il s’agit également de compter sur les peuples arabes et musulmans et les forces qui, dans le monde entier, croient en la justice, à la libération, au progrès et à la paix. Une telle voie impose de donner la priorité à la réunification de la direction et du peuple et de toutes les forces, dans leur diversité, au sein de l’OLP ou en dehors. Une unité sur une base nationale démocratique consensuelle, fondée sur un partenariat réel sans unilatéralisme et sans exclusion, sans l’hégémonie d’un individu ou d’une faction ou de centres de pouvoirs ; sur une base à même de reconstruire les institutions de l’OLP pour rassembler les différentes tendances politiques et sociales palestiniennes qui croient au partenariat.

Cette voie nouvelle peut réussir, même si c’est à terme, car la situation est appelée à se dégrader davantage. S’attacher à améliorer les conditions de l’ancien processus est encore plus difficile, et ce constat confère une légitimité, un crédit et une force pour changer de stratégie. Celle-ci consiste à faire de l’Autorité le noyau pour concrétiser un État libéré des accords d’Oslo, un instrument au service du projet national qui s’occupe essentiellement de la gestion des services et de l’administration et qui transfère ses fonctions politiques à l’OLP. Cette dernière doit diriger la lutte pour protéger la cause palestinienne de la menace de liquidation et pour la réalisation de ses objectifs : droit au retour, liberté, indépendance, égalité.

Cette alternative a malheureusement peu de chance d’être adoptée par la direction et les forces qui ont conduit, volontairement, les Palestiniens dans la situation actuelle. Elle a besoin de changement, de renouvellement, de réformes et de l’émergence d’un large courant national tierce pour casser la bipolarisation conflictuelle entre le Fatah et le Hamas et rétablir l’équilibre souhaitable.

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