« Jihad Academy » ou la Syrie comme un terrain de jeu

Entretien avec Nicolas Hénin · Dans un entretien réalisé pendant le Salon du livre francophone de Beyrouth (24 octobre-1er novembre 2015), le journaliste Nicolas Hénin, auteur de Jihad Academy, revient sur l’enchaînement tragique des événements qui a conduit à la situation actuelle et à l’émergence de l’organisation de l’État islamique dont il a été l’otage en Syrie entre juin 2013 et avril 2014.

Entretien avec Nicolas Hénin, Salon du livre de Beyrouth, octobre 2015 — YouTube
© Chloé Domat, 2015

Journaliste indépendant, Nicolas Hénin a couvert le terrain irakien depuis l’invasion américaine et la crise syrienne dès ses débuts en 2011. Son ouvrage est largement nourri de son expérience personnelle et des nombreux entretiens qu’il a réalisés pendant cette période. Jihad Academy (Fayard, 2015) s’articule autour de dix chapitres, chacun tentant de déconstruire une idée reçue sur ce conflit, du « marketing de la laïcité » par le régime syrien à la « prophétie apocalyptique de l’État islamique ».

Au moment où les diplomaties des grandes puissances font de l’organisation de l’État islamique (OEI) l’ennemi numéro un à combattre, notamment via la coalition aérienne menée par les États-Unis depuis plus d’un an, Nicolas Hénin soutient que « le régime syrien a engendré l’État islamique. Il ne le combat pas. L’État islamique ne combat pas le régime syrien » (p. 33). Cette situation est largement due à la passivité du monde face à la révolution syrienne, « la radicalisation de la révolution syrienne est le résultat de notre inaction » (p. 79).

Aux sociétés occidentales qui s’inquiètent du départ de nombreux djihadistes vers la Syrie et l’Irak, l’auteur répond dans un chapitre intitulé « Qui tue qui ? Mais, surtout, combien ? » Son propos se résume en quelques lignes : « L’Occident est obsédé par le risque sécuritaire incarné par les djihadistes. Mais ce sont les populations locales qui en sont les premières victimes. Et les principaux terroristes sont les forces du régime » (p. 105).

Loin d’être favorable à l’intervention armée en Syrie et en Irak, le journaliste français met en garde contre « la prophétie apocalyptique de l’État islamique (pour qui) l’intervention internationale est une campagne de recrutement » (p. 171). L’important aujourd’hui serait de retrouver la confiance des populations locales : « la priorité doit être la protection des civils. Penser local. Ne pas oublier l’économie. Réformer la gouvernance » (p. 197) sans oublier les déçus du djihad pour qui l’auteur propose d’imaginer une « porte de sortie » (p. 211).

Écrit avant les attentats de Charlie Hebdo et, bien entendu, avant ceux du vendredi 13 novembre 2015 à Paris et Saint Denis, ce témoignage clair et didactique est plus que jamais d’actualité.

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