Le « MusicHall » s’acclimate au monde arabe

Si l’ancien music-hall, avec ses dîners-spectacles luxueux dans d’immenses salles où dominaient le velours rouge et les dorures kitsch a quasiment disparu des nuits londoniennes ou parisiennes depuis les années 1950, il a repris récemment du service à Beyrouth et à Dubaï en passant par Djeddah. Avec succès.

Le MusicHall de Dubaï
themusichall.com

Sur la rive arabe du golfe Persique, les impressionnants gratte-ciels de Dubaï scintillent à la tombée du jour. C’est ici, dans la seconde ville des Émirats arabes unis que le MusicHall, fleuron de la nightlife libanaise a ouvert ses portes en 2013, en plein cœur du prestigieux hôtel Jumeirah Zabeel Saray. Situé sur l’emblématique archipel artificiel en forme de palmier, Palm Jumeirah, l’hôtel couvert de marbre multicolore dans un pur style ottoman accueille tous les week-end le « gratin » de Dubaï, dans un ballet incessant de chauffeurs et de voitures de luxe.

Derrière ce projet, l’artiste un brin extravagant et homme d’affaires libano-grec Michel Eléftériadès, déjà à la tête de deux MusicHall très réputés à Beyrouth, dans son Liban natal. Plus récemment et surprenant encore, c’est à Djeddah en Arabie saoudite qu’un MusicHall a été inauguré à l’été 2019, en faisant le premier établissement de nuit du royaume.

Une recette qui marche

Si le raccourci est parfois fait, le MusicHall n’a pourtant rien d’une boîte de nuit conventionnelle et c’est ce qui fait son succès. « Je n’ai jamais aimé les discothèques, j’ai donc voulu créer un lieu qui soit une fusion de plusieurs mondes qui, en temps normal, ne se rencontrent pas : les festivals de musique, le théâtre et ce qu’on appelle ‟boîte de nuit” », explique Michel Eléftériadès.

Dès l’ouverture des portes, le ton est donné. Sur fond d’une musique jazz, les premiers clients s’installent tranquillement sur les banquettes recouvertes d’un velours cramoisi, guidés par des hôtesses au service et à l’amabilité dignes des meilleurs restaurants étoilés. Au programme, une quinzaine de numéros différents sur scène, chacun d’une dizaine de minutes, le tout accompagné d’un dîner à la carte concocté par des chefs soigneusement sélectionnés. Pour le patron de la salle de spectacles, il s’agit avant tout de pouvoir s’amuser en écoutant des musiques du monde : « Pour paraphraser Dostoïevski, je dirais que la culture sauvera le monde ! »

MusicHall Dubai — Bande-annonce officielle — YouTube

Un projet fruit d’une expérience unique, tirée d’un parcours peu commun :

La bonne gestion du MusicHall est le résultat d’un cumul d’expériences. D’abord mon enfance, où en tant que fils de restaurateur j’ai essayé tous les métiers de cette industrie indispensable à la partie « dîner » du concept. J’ai appris la partie spectacle en exerçant plusieurs métiers de la scène, dont tourneur pour de grands noms tels que Gilbert Bécaud et George Moustaki, qui était un ami. Il y a aussi eu la danse, du Lido à la compagnie Béjart en passant par le Bolchoï russe. Mon passage dans l’industrie du disque en tant que patron d’un label Warner Music mais aussi compositeur et producteur de musique ont parfait ma connaissance de la musique, du son et la psychologie des artistes. Enfin mon passé de meneur d’hommes à la fin de la guerre civile libanaise1 m’a appris la discipline et le leadership. Des atouts de taille pour un entrepreneur. Combinez tout cela et vous aurez la recette d’un MusicHall qui fonctionne parfaitement, des fourneaux jusqu’à la scène.

Sur les planches, l’effet est garanti : musique et décors russe, gitan, proche-oriental, latino-américain ou grec, le public assiste à un véritable tour du monde musical, qui ravit tour à tour les multiples nationalités présentes dans la salle. Au MusicHall, il n’est pas rare de voir de fiers compatriotes se lever et danser au rythme d’un chant typique de leur pays, de surcroît à Dubaï où la population compte 90 % d’expatriés selon les Nations unies : « Chaque public aime retrouver à un moment dans la soirée des rythmes qui viennent de chez lui. C’est pour cette raison entre autres que je choisis les airs les plus familiers ».

Un public cosmopolite dans une région « tourmentée »

De Beyrouth à Dubaï en passant par Djeddah, les soirées du MusicHalls’enchaînent et ne se ressemblent pas, drainant un public à son image, toujours plus large et international. Sur The Palm Jumeirah, à l’heure où l’établissement s’apprête à célébrer ses sept ans, tapis rouge pour l’occasion, Michel Eléftériadès revient sur les raisons qui l’ont poussé à décliner son concept à l’étranger :

J’ai décidé d’exporter le projet à Dubaï parce que c’est un excellent marché pour la nightlife, et avec Beyrouth l’un des rares dans cette région tourmentée du monde. La clientèle ici est aussi très cosmopolite, donc cela convenait parfaitement à la programmation du MusicHall.

Ce soir-là, entre les travées de tables et banquettes pleines à craquer, des Égyptiens, des Tunisiens, des Allemands, des Indiens, des Russes, des Brésiliens se déhanchent sur les shows qui se succèdent : interprète russe, reprise de Franck Sinatra, guitaristes espagnols, star de la chanson syrienne … Et pour le final, un Freddy Mercury plus vrai que nature interprétant avec brio les titres phares de Queen tels que « We will rock you » ou « We are the champions ». Un peu plus tôt, un ténor italien tout droit venu de Sicile enflammait la salle, invitant même une jeune femme à danser la tarantelle sur scène sous les applaudissements nourris du public ! Les Libanais de Dubaï sont aussi de la partie bien sûr, bien que moins nombreux qu’auparavant : « Ils ne forment pas une majorité dans le public, même si au début ils ont été une sacrée force motrice. Aujourd’hui ils nous aident à faire connaître la marque un peu partout via les réseaux sociaux ».

Alors que le rideau se referme et laisse place au DJ entre deux récitals, un jeune Libanais s’approche pour féliciter et remercier Michel Eléftériadès. Non loin de là, les deux bars jumeaux en marbre brun qui surplombent l’hémicycle réapprovisionnent les noctambules en mojitos, spritz et autres créations alcoolisées.

Si Dubaï est une réussite, ce n’est pas la première destination où le MusicHall a posé ses valises. Peu de temps auparavant, c’était à Londres et Paris, respectivement pour le lancement des Jeux olympiques d’été 2012 et lors d’un dîner de gala pour l’Expo 2020-Dubaï au Palais Brongniart que la salle de spectacle s’est délocalisée. « Lors de ces déplacements, il y a eu un écho très positif qui a confirmé que nous attirions un très large public. Il y avait des Chinois, des Français, des Britanniques … Tous ont été conquis par le concept ». Ouvrir à Paris un jour ? « Pourquoi pas ! j’ai déjà entamé des discussions avec quelques responsables sur place, dont la présidente de la région Ile-de-France Valérie Pécresse ».

À la conquête de l’Arabie saoudite

A 48 ans, l’entrepreneur à poigne n’en a pas fini avec la folie des grandeurs. Après Beyrouth, Dubaï, l’Europe ou l’Égypte (où le MusicHall se délocalise un soir au pied des Pyramides), c’est un tout autre public qu’il est allé chercher, cette fois-ci plus loin, plus inopiné. En Arabie saoudite, les portes du royaume sont impénétrables, et pourtant, sur la rive orientale de la mer Rouge, c’est à Djeddah que le cabaret a élu domicile, en plein cœur de la King Abdullah Economic City (KAEC).

Lancé par les autorités saoudiennes dans le cadre de la Jeddah Season, elle-même fruit d’un vaste projet d’ouverture du royaume qui fait la part belle au tourisme international, le projet plaît dès le départ à l’homme d’affaires toujours en quête de nouveaux pâturages : « D’un point de vue intellectuel c’est beaucoup plus intéressant d’ouvrir un MusicHall en Arabie saoudite qu’à Mikonos ou Ibiza ». Le défi était de taille. Car comment concilier divertissement et rigorisme religieux, dans le pays ultra-conservateur qu’est l’Arabie saoudite ? « Le MusicHall était la meilleure transition entre le culturel et le divertissement. En tant que premier établissement de nuit dans l’histoire du royaume, il était impératif d’avoir cette touche culturelle qui permet au pays de s’ouvrir peu à peu et pas brutalement ».

La saison estivale de 2019 aura donc été chaude, Djeddah se transformant le temps de quelques semaines en épicentre des nuits saoudiennes. Dans l’amphithéâtre rouge et or flambant neuf de la KAEC, le public est mixte, les femmes en abayas assistent au spectacle d’une chanteuse afro-américaine qui interpréte Tina Turner et les musiciens s’en donnent à cœur joie, ravis de faire partie de l’aventure face à un tout nouveau public.

La « Lebanese touch »

Depuis la paisible corniche de The Palm Jumeirah, le marasme économique du Liban et d’autres pays de la région semble bien loin. Au pays du Cèdre, alors que l’industrie hôtelière est stagnante et dernièrement mise en péril par une crise économique chaotique, de nombreux entrepreneurs libanais s’exportent à l’étranger. Et selon Michel Eléftériadès, si la plupart d’entre eux font fortune en Afrique de l’Ouest, dans le Golfe, au Canada ou ailleurs encore, c’est grâce à une « lebanese touch » toute particulière :

Peut-être que la seule chose qui nous reste de la célèbre métaphore ‟Liban, Suisse du Proche-Orient” est un savoir- faire unique dans le domaine de l’hôtellerie. Cela se reflète dans les positions managériales qu’arrivent à décrocher les Libanais un peu partout dans le monde et surtout dans la région, au Koweït, en Arabie saoudite ... Il faut ajouter à cet héritage l’innovation et la débrouillardise, mais aussi la résilience qu’ont développée tous les Libanais […]. Ces réflexes de survie sont devenus des atouts inégalables qui leur permettent d’affronter le sourire aux lèvres des problèmes qui seraient insurmontables pour d’autres.

1NDLR. — Issu de l’extrême gauche libanaise, Michel Eléftériadès fonde en 1991, puis dirige les Mouvements unis de résistance (MUR), groupe armé clandestin combattant pour la libération du Liban.

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