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Série

Égypte. La bataille toujours recommencée des femmes divorcées

La série Faten Amal Harbi, du nom de son personnage principal, diffusée durant le ramadan sur les chaînes arabes CBC et Dubaï, aborde le divorce en Égypte. Elle témoigne de la condition des femmes dans ce pays et dénonce un code de statut personnel prisonnier d’une lecture conservatrice des textes religieux. Elle a provoqué un débat houleux dans la presse et sur les réseaux sociaux.

L'image présente une scène dramatique avec quatre personnages. Au centre, une femme est assise, entourée de deux jeunes filles qui semblent chercher protection. La femme a une expression préoccupée, tandis que l'homme derrière elle, vêtu d'une veste en cuir, dégage une présence protectrice et intense. L'éclairage crée un contraste marqué, accentuant l'atmosphère tendue et émotive de la scène. Les éléments de l'environnement, comme les bancs, suggèrent un cadre intérieur, peut-être une église ou un endroit similaire, renforçant le caractère sérieux de la situation.

Le premier épisode de la série Faten Amal Harbi s’ouvre sur un groupe de femmes en pleins préparatifs pour célébrer… le divorce de l’une d’elles. En robe blanche, cette dernière — interprétée par la célèbre comédienne égyptienne Nelly Karim — s’impatiente. Cela fait déjà cinq fois que le divorce est reporté, et son mari se désiste toujours à la dernière minute. Quand il arrive enfin, le notaire, en habit religieux, est déjà là. Il demande au couple s’il n’a pas besoin de temps pour réfléchir, à quoi la femme répond promptement : « Nous sommes mariés depuis dix ans, et cela fait neuf ans que j’y pense. » Cette décision est la conséquence d’un cumul de problèmes, de désaccords et de maltraitances au sein du couple, que les téléspectateurs découvrent à travers des flashbacks, notamment ceux qui ouvrent chaque épisode.

Rendre compte d’une sombre réalité

Faten Amal Harbi — « Touna » pour ses proches — est loin du cliché de la femme fraîchement divorcée qui se lamente sur son sort et appréhende avec angoisse son nouveau statut. Bien au contraire, cette modeste employée du cadastre au salaire mensuel de 4 000 livres égyptiennes (l’équivalent de 200 euros) aspire à une vie tranquille avec ses deux filles. Elle les emmène régulièrement à leurs entraînements de natation, rêve qu’elles deviennent des championnes et prend soin du chaton et de l’oiseau que les deux petites ont recueillis. Mais très vite, elle est prise dans un engrenage infernal. Son ex-mari, campé par Chérif Salama, a recours à toute sorte de stratagèmes pour la harceler dans le but de déjouer ses plans, la contraignant à des procès-fleuves coûteux et à l’issue incertaine. Faten se retrouve sans le sou et sans domicile fixe, hébergée avec ses filles dans une maison d’accueil pour femmes en difficulté. Elle se bat pour conserver la garde de ses enfants, toucher la pension alimentaire, réclamer son droit au logement conjugal d’où son ex-époux l’a expulsée.

Le style de la série est direct, une volonté que le réalisateur Mohamed Al-Adl assume dans les différentes interviews accordées à la presse :

Nous avons fait exprès d’être aussi directs, car notre objectif est de communiquer notre message le plus clairement possible. (…) J’ai insisté aussi pour ne pas tourner dans des décors de studio, mais dans de vrais appartements à Choubra [un quartier de la classe moyenne au nord du Caire], par souci de réalisme. (…) Si l’atmosphère est jugée parfois trop sombre, sachez que ce qu’on a vu dans les tribunaux pendant le repérage est beaucoup plus sinistre.

Dans ses entretiens, Al-Adl affirme également que les droits des femmes sont limités par le code du statut personnel, et qu’il espère avec son œuvre réussir à balayer les préjugés sociaux à l’encontre des femmes divorcées. En Égypte, cette branche du droit est la seule qui soit encore organisée selon une interprétation du texte religieux. Chaque communauté religieuse a son propre code du statut personnel qui ne peut s’appliquer qu’à ses membres.

Ingéniosité et courage

Malgré les situations déchirantes que l’œuvre met en scène, les femmes nous frappent par leur ingéniosité, leur vigueur et leur humour. Pourtant, chacune a son lot de problèmes à gérer. La chanson du générique traduit leur situation :

Je ne suis pas fragile, j’ai ma place dans la vie
Je n’accepte pas d’être une comparse de théâtre
Je peux blesser autant qu’on me blesse
Je n’en fais qu’à ma tête, ma décision est une épée

Touna n’est pas en reste et devient rapidement une héroïne, un modèle à suivre. Les autres femmes que le personnage croise dans les couloirs du tribunal familial du Caire la filment en train de vociférer devant le juge : « Je veux intenter un procès contre le code du statut personnel, car il est injuste ! »

Alors que plusieurs d’entre elles diffusent ces vidéos, retiennent ces phrases assassines et lui font des procurations officielles pour parler en leur nom, d’autres lui reprochent une tendance à l’individualisme et lui demandent de fermer les yeux sur les incartades de son ex-conjoint, au nom du bien-être des enfants.

La série décrit bien ainsi la guerre des images qui explose dans tous les sens. Journalistes, avocats et prédicateurs religieux souhaitent devenir un « trending topic » — un sujet « tendance » sur les réseaux sociaux, en générant un nombre conséquent de commentaires. Les cheikhs aux allures plus modernes cartonnent sur ces plateformes et se muent en influenceurs. Un effet qui a débordé l’écran pour éclabousser également la réalité égyptienne.

Même Al-Azhar s’y met

L’un des objectifs de ce feuilleton est de changer la perception de la femme divorcée dans la société et de montrer l’évolution d’un couple au sein de l’institution du mariage. Une chose est sûre, il a provoqué un débat houleux qui anime les conversations des Égyptiens au quotidien.

La toile s’est en effet embrasée depuis le début du mois du ramadan (début avril) sous le hashtag « Nous sommes toutes Faten Amal Harbi ». Sur Facebook, une maquilleuse professionnelle propose des cours gratuits aux femmes divorcées, afin de les aider à s’en sortir. Quant aux hommes, ils ont l’air perdus devant ce phénomène d’empowerment féminin1. Loin de digérer les évènements de la série, nombre d’entre eux mobilisent leur toute-puissance de mâles dominants soudain mise en cause. Dans la houle des émotions, l’avocat septuagénaire Samir Sabri, réputé pour avoir intenté des procès pendant plus de 40 ans contre divers artistes et personnalités publiques au nom de la morale, a déclaré vouloir porter plainte contre l’effet subversif du feuilleton. Le conseil de la fatwa (avis religieux) dépendant d’Al-Azhar, la plus haute autorité religieuse du pays, a même publié un communiqué officiel à propos de l’œuvre, mettant en garde contre les tentations de « déformer les concepts religieux et les valeurs éthiques, dans le but d’augmenter l’audience et de déclencher une polémique », accusant l’équipe du feuilleton de montrer une image déformée des oulémas, et rappelant qu’il n’y a pas de clergé en islam.

Même le nom du grand cheikh d’Al-Azhar, souvent critiqué par les théologiens les plus rigoristes, a été mêlé à cette controverse, et a été accusé à son tour d’encourager les idées préconisant l’autonomisation à outrance des femmes.

La plume du pouvoir

L’autre polémique relative à ce feuilleton concerne son auteur, le journaliste et écrivain Ibrahim Issa, qui soulève autant d’interrogations que de protestations. Cet « homme aux bretelles », qui joue au Larry King2 égyptien affiche ses penchants laïcistes tout en ayant de bonnes connaissances du domaine religieux. Avec plusieurs cordes à son arc, il est assez proche des hautes sphères du pouvoir, et traduit sur certains sujets la volonté de ce dernier de renouveler le discours religieux. De quoi lui attirer les foudres des uns et des autres, car on a tendance à juger ses positions trop « libérales » comme étant des ballons d’essai lancés par le pouvoir pour sonder l’opinion du public. En d’autres termes, la série télévisée écrite par Issa et coproduite par le groupe privé Al-Adl et la société United Media Services (créée en 2016 par l’État pour investir le champ audiovisuel) vise à tâter le terrain ou à engager un débat pour des raisons sociopolitiques.

Le scénariste lance par ailleurs, au fil des dialogues entre les personnages, des quolibets aux hommes de religion. Ainsi dans une scène, un des vieux cheikhs enturbannés dit à son disciple modéré : « Sois le bienvenu sur notre plateforme de fatwas, nous acceptons les avis contraires, cela permet d’être plus suivis sur la toile. Mais au moment décisif, nous devrons tous adopter une position ferme. » L’auteur insinue à maintes reprises que tous les « fondamentalistes » partagent la même matrice salafiste. Selon lui, les jeunes prédicateurs — qui réalisent dans le feuilleton des vidéos dans des endroits branchés comme les salles de sport —, ressemblent beaucoup aux premiers Frères musulmans qui tenaient autrefois leurs réunions dans les cafés, pour attirer les gens.

Ibrahim Issa multiplie ainsi des discours trop directs et tombe souvent dans le mélodrame bon marché. Le jeu naturel de Nelly Karim n’empêche pas que l’ensemble de l’œuvre dégage une dramatisation naïve, partageant les personnages en « bons » et « méchants ». Il tire sur les registres des émotions et des sentiments d’empathie, sans aller plus loin dans une réflexion profonde sur la nature du système patriarcal dominant et la schizophrénie sociale chronique. Dans le gouvernement actuel, les femmes occupent 8 portefeuilles ministériels et plus de 160 sièges au Parlement. Cela n’empêche pas certaines voix de s’élever de temps en temps pour les traiter de « mineures » et les priver de toute capacité ou responsabilité juridique. Le dialogue entre Faten Amal Harbi et le cheikh à qui elle demande une fatwa concernant la garde de ses enfants est un exemple de ce phénomène. Au théologien qui met en doute ses droits, l’héroïne répond : « Je ne vous demande pas votre interprétation, mais les paroles de Dieu ! »

Une fois de plus, la question du statut personnel devient le champ de bataille entre conservateurs et modernistes. Ceci a toujours été le cas depuis ses premières dispositions dans les années 1920. Promulguer une nouvelle loi relative au statut personnel a été de tout temps une tâche difficile pour les juristes et parlementaires égyptiens, qui ont toujours dû faire face à l’orthodoxie des oulémas, gardiens de l’ordre religieux, et aux représentants d’un islamisme rampant. À titre d’exemple, la loi du 26 janvier 2000 adoptée par le Parlement sous Hosni Moubarak et visant à simplifier cette procédure judiciaire qui remonte à une époque lointaine est restée dix ans dans les tiroirs. Le débat autour était plus souvent d’ordre théologique que juridique. Car le statut personnel est devenu au fil des ans un enjeu stratégique, considérablement instrumentalisé. Il permet également de mesurer l’impact culturel du religieux qui continue d’être mobilisé par différentes parties à des fins sociales ou politiques, et ce avec des arguments aussi bien documentés que contradictoires.

1Processus par le biais duquel les femmes acquièrent davantage de pouvoir, leur permettant d’agir sur leurs conditions sociales, économiques et politiques en vue d’atteindre une égalité des sexes.

2Célèbre journaliste et présentateur américain, considéré comme l’un des plus grands interviewers des temps modernes.

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