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Libye. Dans l’enfer des prisons de Mouammar Kadhafi

Un recueil inédit de témoignages d’ex-prisonniers libyens rappelle le terrible système de répression mis en place par Mouammar Kadhafi.

Un homme en uniforme se tient devant une foule en ombres, sur un fond mélancolique.
Mohammad Bin Lamin, Les Captifs, issus de la série «  Des contes du village  », 2021

Dans les prisons de Kadhafi, ouvrage préfacé par le politologue François Burgat, révèle à la fois l’ampleur du système carcéral libyen et la grande variété de l’opposition sous la dictature du « Guide de la révolution » Mouammar Kadhafi. Le livre rassemble un florilège de textes inédits en français, dont la traduction, commencée par Houda Ayoub, professeure d’arabe à L’École normale supérieure disparue en juin 2017, a été poursuivie par ses anciens collègues ou élèves.

Une tuerie longtemps cachée dans la prison d’Abou Salim

Plutôt que de faire une analyse universitaire, le choix de cet effort collectif a été de laisser la parole aux ex-prisonniers, et le résultat est remarquable. Les extraits, parfois très brefs, parfois plus longs jusqu’à inclure des pages d’un roman, rythment une lecture qu’on pourrait qualifier d’agréable si le sujet n’était pas aussi sombre. L’idée du recueil est née à la faveur d’une rencontre en 2014 à Tripoli de François Burgat, bon connaisseur de la Libye, avec une association de prisonniers d’opinion.

Parmi les anciens détenus, Ali Al-Akermi et Abdelfattah Al-Bishti ont survécu au paroxysme de la violence du régime : le massacre de plus de mille détenus de la prison d’Abou Salim, le 28 juin 1996. Les prisonniers, qui demandaient une amélioration de leurs conditions de détention, ont été méthodiquement abattus à l’arme automatique. Une tuerie longtemps cachée. « Pendant plus d’une décennie, les familles laissées dans l’ignorance continuent à apporter des provisions destinées à leurs proches assassinés », écrit Houda Ayoub dans une préface rédigée peu avant sa mort.

Ali Al-Akermi s’est donné pour mission de rassembler les témoignages écrits de ceux qui ont fait l’expérience du système carcéral de Kadhafi. L’anthologie traduit les cinq ouvrages jugés les plus marquants1, publiés entre 2012 et 2014 en Égypte, au Liban ou en Libye. Ils reflètent la diversité du paysage politique de l’opposition sous Kadhafi, richesse occultée qui a du mal à refaire surface aujourd’hui, dans une Libye livrée aux milices.

« À la prison Al-Kuwayfiyya de Benghazi, il y avait des groupes de Frères musulmans, d’autres qui venaient du Parti de la libération, et aussi des communistes, ou plutôt des “gens de gauche” au sens large… », écrit Salah Al-Gubsi. L’expérience de la prison est souvent celle du respect entre militants de tendances éloignées, soulignées par plusieurs des auteurs. Abdelfattah Al-Bishti confie :

Pour moi, l’élément déterminant fut le contact avec les chefs des Frères musulmans, ou plutôt les liens que je pus nouer avec eux… Je devins un fin connaisseur de la pensée islamique… Sans pour autant me rallier à leur cause, ce fut une grande source d’enrichissement pour ma réflexion théorique et ma pensée.

La prison comme révélateur

Comme partout, la prison réduit l’homme à l’essentiel. Al-Bishti décrit un système complexe d’échanges nocturnes clandestins entre cellules de condamnés à perpétuité :

Une fois les porte fermées, la soirée commençait, autour de l’hôte venu de la cellule voisine. Il se mettait à raconter sa vie, depuis son enfance jusqu’à l’arrivée en prison. Certains avaient besoin de toute une nuit pour raconter leur vie, d’autres en terminaient le récit en quelques heures.

La prison révèle aussi, naturellement, la saleté tout aussi humaine des garde-chiourmes, contents de pouvoir humilier et torturer au nom de la révolution. Avec, comme toujours dans ce genre de situation, une tendance à l’imagination. On retiendra cette scène dans la cour surchauffée de la prison d’Al-Barka, à Benghazi, relatée par Salah al-Sanusi. Les prisonniers, certains âgés de près de soixante-dix ans, sont obligés de tourner en rond, au pas de course, dans la cour de l’établissement, en chantant « Vive la révolution ! À bas les partis politiques ! À bas le conservatisme ! » Les hommes « couraient pieds nus sur le sable que d’énormes camions venaient déverser dans la cour, dans le seul but d’aggraver les souffrances des hommes qui s’y enfonçaient jusqu’aux genoux ».

L’absurdité, marque du régime libyen, se manifeste également dans des récits atroces de détenus libérés, puis arrêtés de nouveau juste après les retrouvailles avec leurs familles, parce que Mouammar Kadhafi en avait décidé ainsi. Les prisonniers, morts ou vivants, ont finalement remporté une victoire ; l’arrestation de l’avocat représentant leurs familles, le 15 février 2011 à Benghazi, a déclenché le mouvement populaire qui a abouti au renversement du régime et à la mort du dictateur.

1Umar Al-Kikli, Sijniyyat  Scènes de prison  »), Dar Al-Ferjani, 2012  ; Muhammad Al-Mufti, Waraa jidar al-sinin  Derrière le mur des années, la détention politique à l’ère de Kadhafi  »), éditions du ministère de la culture et de la société civile, 2013  ; Abdelfattah Al-Bishti, Al-Mihna al-malhama  L’épreuve-épopée. Quinze ans dans les prisons de Kadhafi  »), éditions du ministère de la culture et de la société civile, 2013  ; Salah Al-Sanusi, Yawmiyyat zaman al-hashr  Journal du temps du Jugement dernier  »), Dar al-Hilal, 2012  ; Salah Al-Gusbi, Ka’anaki ma’i  Comme si tu étais avec moi. Mémoires d’un prisonnier d’opinion dans les prisons de Kadhafi  »), Dar al-Ruwwad, 2014)

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