Yasmin Zaher, la Palestine dans la peau

De New York et ses sacs Birkin d’Hermès à la Palestine et ses sacs plastiques piqués sur les barbelés, l’écrivaine palestinienne nous entraine dans un voyage à la recherche de son identité.


Des pieds nus liés à des bottes noires par des cordes. Image en noir et blanc.
Mona Hatoum, Performance Still, 1985–95

Elle est palestinienne et vit à New York, la ville où plusieurs membres de sa famille ont rêvé de construire une nouvelle vie et ont échoué, on ne sait pas bien pourquoi. Elle n’a rien d’une réfugiée et s’habille en Prada, Valentino, Burberry ou Gucci, parce que la mode, c’est sacré, et parce qu’elle est riche à millions. De sa mère, elle a hérité d’un vieux Birkin, le sac iconique d’Hermès, le sésame qui permet d’accéder au cercle des Happy Few.

Mais on ne s’y trompe pas, tout ce luxe n’est qu’un mirage, une insolence. C’est comme un bouclier qui la protège d’un mal intérieur, une sorte d’asymétrie entre le côté droit et le côté gauche de sa personne, un dysfonctionnement qui refait surface par intermittence.

L’art du paraître

À New York, elle ne voit que la crasse dans les rues, les rats morts, les couches sales, les sachets de drogue. De la saleté à n’en plus finir. Alors, elle astique tout dès qu’elle peut, où elle peut. Chez elle bien sûr, mais aussi au collège Franklin, où elle dispense un enseignement très « libre » à des enfants défavorisés : l’art du paraître, vital pour tromper l’ennemi de classe.

La saleté, c’est une obsession totale. Pour la vaincre, elle met en place un protocole de nettoyage corporel exhaustif, véritable rituel de purification. Astiquage féroce, des cheveux jusqu’au bout des doigts de pieds, plusieurs fois par semaine. Traquer à tout prix la saleté, jusque dans les moindres recoins, c’est une hantise permanente.

On se dit que cette femme est cinglée. Mais sachez qu’à l’intérieur de son corps, un shekel se balade depuis des années, ce n’est pas anodin. Une pièce de monnaie israélienne, malencontreusement avalée le jour de la mort de ses parents. Et ce shekel, il a colonisé son corps (comment pourrait-elle s’en débarrasser ?), et complètement modifié sa personnalité.

À Brooklyn, elle a un « meilleur ami », Sasha, une bonne pâte, palestinien lui aussi, très riche, adipeux et piètre amant. C’est quasiment la famille. Et elle a Trench. Chic, identité floue, sans domicile fixe, mais avec un sens aiguisé des affaires. Ensemble, ils vont se livrer à Paris à un trafic très lucratif de sacs Birkin. De ce côté donc, tout va bien. En revanche, Trench refuse obstinément ses avances. On a beau avoir une garde-robe de ouf, on ne trouve pas toujours chaussure à son pied.

« Ni un pays ni le tiers-monde »

Mais tout le génie de ce livre se révèle dans la seconde partie du récit, quand l’héroïne entame une mue. On s’en doutait bien, il fallait en finir avec cette crasse. Une transformation va la conduire loin des gratte-ciels phalliques et du luxe new-yorkais, jusqu’à la source primale : la Palestine, « ni un pays ni le tiers-monde » et où « seule la violence s’exprime ».

On plonge alors dans la Palestine de l’héroïne, des jardins surmontés de barbelés piqués de sacs plastiques, des voix de l’oncle, de la grand-mère, des trousseaux de clés précieusement conservés dans l’espoir d’un retour, des herbes aromatiques, des citronniers et des fruits merveilleux « qui n’ont sans doute même pas de nom en anglais ». Images obsédantes qui hantent la mémoire des Palestiniens depuis la Nakba de 1948.

Avec sa plume intrépide et affûtée comme une lame, Yasmin Zaher crée ici une œuvre dérangeante et audacieuse, dans la droite ligne de la littérature post-moderniste américaine. Elle a entamé l’écriture de ce récit bien avant la guerre de Gaza, exprimant dans les colonnes du Vogue étatsunien une certaine gêne sur sa sortie dans le contexte que nous connaissons.

Publié d’abord aux États-Unis et au Royaume-Uni en 2024 sous le titre The Coin (la pièce [de monnaie], en anglais), Dans ma peau est son premier roman. En 2025, elle a remporté le prestigieux prix britannique Dylan Thomas, décerné aux jeunes auteurs de moins de 39 ans. Née à Jérusalem, diplômée de Yale en ingénierie biomédicale et de la New School en écriture créative, Yasmin Zaher a aussi travaillé au quotidien Haaretz. Elle vit dorénavant à Paris.

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