États-Unis. Israël au cœur des divisions de MAGA

La victoire de Donald Trump a été possible par sa capacité à unir sur son nom trois courants de la politique étatsunienne : la mouvance évangélique, les néoconservateurs et les nationalistes protectionnistes. Mais s’ils se reconnaissent dans le même homme, ils ne partagent pas les mêmes objectifs, notamment sur le plan international, comme l’illustrent leurs prises de position divergentes sur l’Iran et le Proche-Orient.

Homme en costume noir, portant une casquette rouge, effectuant un salut.
West Point, dans l’État de New York, le 24 mai 2025. Le président étatsunien Donald Trump lors de la cérémonie de remise des diplômes de l’Académie militaire américaine 2025.
Photo officielle de la Maison Blanche / Daniel Torok / Flickr

Le 18 juin 2025, six jours après les premiers bombardements israéliens de sites d’enrichissement nucléaire iraniens, menés avec l’aide logistique de l’armée étatsunienne, Steve Bannon, une des grandes figures publiques de la sphère MAGA (Make America Great Again, « Restaurer la grandeur de l’Amérique »), qui regroupe les partisans de Donald Trump, dénonce publiquement la politique de son président en des termes peu amènes. « Le peuple américain vous dit qu’il faut sortir du Proche-Orient. Nous ne voulons plus de guerres interminables »1. Trois jours plus tard, il réitère, rappelant à Trump qu’il a été réélu sur un programme dont « un des fondements » était de « mettre fin aux guerres sans fin » des États-Unis. Bannon n’est pas n’importe qui. Il a été le premier conseiller stratégique de Trump après son élection en 2016. Et il s’exprime sur un sujet de première importance — quelle est la stratégie de politique étrangère des États-Unis, dans le cas présent au Proche-Orient ? Enfin, son attaque pointe les divergences internes à MAGA, donc les fragilités de Trump.

Le président étatsunien, depuis son retour au pouvoir en janvier 2025, peut déjà se targuer de beaucoup plus de succès (de son point de vue) qu’après sa première élection. Mais il affronte aussi des difficultés multiformes. Ses mesures tarifaires dans le commerce international sont beaucoup critiquées. Et il multiplie les changements de cap. Ainsi, il a récemment annulé sa promesse d’interdire l’entrée de 600 000 étudiants chinois aux États-Unis durant les deux ans à venir. Sur Fox News, la chaîne à sa dévotion, la présentatrice Laura Ingraham s’étrangle : « C’est à n’y rien comprendre ! Six cent mille places échappent aux jeunes américains. » Quant à sa politique étrangère, elle est souvent erratique. Il a échoué à faire plier le premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou et le président russe Vladimir Poutine. Au contraire, chaque fois qu’il a cru pouvoir clamer un succès, une concession sur Gaza comme sur l’Ukraine, les deux hommes n’en ont fait qu’à leur tête.

Trois piliers

L’apparition de dissensions internes à la sphère MAGA n’est pas due qu’à la nature versatile du chef. Elle tient aussi à la composition de sa base, qu’il se doit de câliner. Or elle est constituée de tendances diverses, et parfois divergentes.

L’alliance qui a ramené Trump au pouvoir est fondée sur trois piliers. Le premier est trumpiste par pur intérêt opportuniste : il s’agit de la très puissante mouvance politique évangélique. Comment un mouvement qui professe la crainte de Dieu et le respect absolu de l’héritage du Christ peut-il massivement vénérer un homme, Trump, qui ne professe aucun autre culte que celui de Mammon2, qui a fauté en divorçant deux fois et qui se vante d’« attraper les femmes par la chatte »  ? L’explication est analogue à celle de la montée en puissance du messianisme en Israël. Les rabbins les plus fanatiques y expliquent que le sionisme, né comme un mouvement laïc, en érigeant un État mécréant, n’a contribué qu’à accélérer, sans en être conscient, l’arrivée prochaine du Messie. Une partie massive du bloc évangélique étatsunien adhère aujourd’hui à une vision qui fait du « Grand Israël » et du rétablissement du « royaume de David » le prélude obligatoire au retour du Christ sur terre.

Le second pilier du trumpisme est constitué d’une partie de la mouvance néo-conservatrice qui connut son apogée sous la présidence de George W. Bush (2001-2009), lequel lui octroya une place politique de premier plan dans son administration. Un jeune politicien israélo-étatsunien dénommé Benyamin Nétanyahou avait très tôt adhéré au néoconservatisme. Il y a joué un rôle prépondérant, notamment en théorisant « la guerre contre le terrorisme ». Ces partisans développent une vision expansionniste de la promotion de la démocratie dans le monde, au bénéfice prioritaire de la « destinée exceptionnelle » des États-Unis, qui sont nés pour diriger la planète. Et cette mission ne sera menée à bien que par la projection de la puissance étatsunienne sur le reste du monde, si nécessaire par la force armée.

Le troisième est celui des nationalistes, et particulièrement des nationalistes protectionnistes, ceux qui, durant les deux guerres mondiales du XXe siècle, par exemple, ont mis très longtemps à s’y engager. Cette mouvance considère qu’il ne faut entrer en guerre que si les intérêts directs des États-Unis sont immédiatement menacés. Cette droite n’est pas que protectionniste au plan international, elle est aussi puissamment « nativiste », selon le terme étatsunien. « Natif », à ses yeux, ne désigne pas les Amérindiens. Non, les « natifs » sont ceux qui, en conquérant le territoire des États-Unis, s’y sont imposés comme leurs fondateurs. En conséquence, les nationalistes protectionnistes sont aussi férocement hostiles aux immigrés et, de tout temps, aux citoyens qui ne sont pas blancs, qu’ils soient méditerranéens ou asiatiques (le « péril jaune » est né aux États-Unis à la fin du XIXe siècle). Au nom du « nativisme », le célèbre aviateur étatsunien Charles Lindbergh fut en 1941 un des initiateurs d’un courant nommé… « America First », l’Amérique d’abord, un slogan que Trump n’a pas repris à son compte par mégarde.

Une alliance puissante mais divisée

Ces trois piliers forment une alliance puissante. Elle a permis à Trump, à deux reprises, d’accéder à la présidence, et à ne pas s’effondrer politiquement lorsqu’en 2020 il fut battu par Joe Biden. Ils disposent de « passerelles » qui tentent de les coaliser. La principale est la frange dite NatCon (nationaux conservateurs) qui tente de réunir ces trois piliers sous le drapeau du primat de la culture « judéo-chrétienne », dont l’idéologue est l’israélo-étatsunien Yoram Hazony. Chacune des trois tendances est entrée dans l’alliance pour faire progresser sa propre emprise sur la Maison Blanche. Trump doit donc satisfaire un électorat idéologiquement composite, dont le socle est composé de fractions qui partagent des idées et des priorités différentes, voire, parfois, carrément antagoniques. Son talent consiste à leur donner des gages et à éviter que les frictions internes ne dégénèrent. Des trois, les évangéliques sont les plus nombreux ; les néoconservateurs, longtemps affaiblis, connaissent un regain de forme. Les nationalistes protectionnistes forment un groupe un peu moins important, mais qui se perçoit comme la « vraie » incarnation de MAGA. Trump ne peut pas les ignorer s’il veut préserver sa majorité. Surtout, cette mouvance politique est celle qui lui est la plus chère, parce qu’elle est celle dans laquelle il a été politiquement éduqué, et dont la pensée lui est la plus proche.

Le vent de révolte des cercles nationalistes dans MAGA a bondi en mai 2025 lorsque l’éventualité d’une attaque israélienne imminente contre l’Iran est revenue en tête de l’actualité. Les nationalistes s’y opposaient, dénonçant le risque d’une guerre en Iran entrainant les États-Unis dans un bourbier pire que ceux rencontrés en Afghanistan puis en Irak. L’enjeu iranien ravivait aussi l’hostilité de certains cercles MAGA à la relation entretenue par Washington avec Tel-Aviv. Ainsi, le 29 mai, le représentant républicain du Kentucky à la Chambre, Thomas Massie, clamait que « la guerre d’Israël à Gaza est si déséquilibrée qu’il n’y a aucun argument rationnel pour que les contribuables américains paient pour cela »3.

« Plus de guerres stupides et sans fin »

D’autres voix appelaient à la cessation des fournitures gratuites d’armes à Israël, rappelant répétitivement le slogan de campagne de Trump : « Plus de guerres stupides et sans fin. » Ceux-là n’avaient pas de mots trop durs pour Lindsay Graham, le sénateur de Caroline du Sud, porte-parole de la fraction néoconservatrice, qui martelait sur Fox News : « Il faut être à fond pour aider Israël à éliminer la menace nucléaire. S’il faut fournir des bombes, fournissons-les. Et s’il faut voler à leurs côtés, faisons-le ». Mais le matin avant les bombardements, Tal Axelrod, analyste du journal en ligne Axios, citait les propos de certains leaders d’opinion nationalistes pronostiquant un possible « schisme profond  » au sein de MAGA4. Il citait Jack Posobiec, un podcasteur d’extrême droite très influent, assurant qu’« une frappe directe contre l’Iran diviserait de façon désastreuse la coalition Trump »5.

Les frappes israéliennes ont eu lieu et n’ont donné suite à aucun schisme dans MAGA. Mais les propos tenus par une flopée de nationalistes ont montré combien les tensions sont fortes au sein de la sphère trumpiste. Des influenceurs politiques de premier plan comme Steve Bannon, Tucker Carlson, Matt Gaetz, Joe Rogan et d’autres ont poursuivi leur travail de sape. Le premier tançait, en particulier, le risque que constituait Nétanyahou pour les États-Unis, lui lançant, le 19 juin : « Bon Dieu, pour qui vous prenez-vous pour vouloir entraîner l’Amérique dans une guerre avec l’Iran ?6. Après avoir évoqué la poursuite des frappes israéliennes visant un « changement de régime » en Iran, Bannon ajoutait, à l’attention de Trump : « Le peuple américain vous dit massivement que nous voulons sortir du Proche-Orient. Nous ne voulons plus de guerres éternelles. »

Fin juin, le rejet des « guerres sans fin » menées par Netanyahou amenait pour la première fois une élue républicaine à prononcer le « mot qui commence par G ». Le 28 juillet, Marjorie Taylor-Greene, représentante de Géorgie et porte-parole en vue de MAGA, devenait la première républicaine à qualifier les actes perpétrés à Gaza par Israël de « génocide ». « Bien sûr, disait-elle, nous sommes opposés au terrorisme radical islamiste, mais nous sommes aussi opposés au génocide »7. Son parti ne l’a ni exclue ni réprimandée, et elle ne s’est pas rétractée. Le lendemain, Donald Trump évoquait une « vraie famine » à Gaza.

Le désenchantement de MAGA envers Israël

Depuis, les critiques de MAGA envers la Maison Blanche se sont progressivement résorbées, au vu de la brièveté de l’attaque israélienne et de sa dimension plus modeste que ce que Nétanyahou et Trump avaient initialement proclamé. Mais la crise interne au camp trumpiste a laissé des traces qui pourraient être le prélude d’une crise plus ample demain. Entre nationalistes isolationnistes et néo-conservateurs, les relations sont plus que fraîches. Début août, The Economist titrait en une sur « Le désenchantement de MAGA envers Israël »8. L’hebdomadaire anglo-étatsunien accompagnait son article d’un graphique exposant l’évolution de ses sondages depuis le 7 octobre 2023 sur le rapport aux Israéliens et aux Palestiniens dans la société étatsunienne. Ils montrent non seulement un recul progressif du soutien de l’opinion démocrate à Israël, c’était déjà connu. Mais ils montrent aussi que l’opinion républicaine est entrée dans un processus de distanciation critique vis-à-vis de Tel-Aviv, y compris parmi les « conservateurs » et « très conservateurs » — c’est-à-dire la droite et l’extrême droite, l’électorat le plus acquis à Trump.

Le podcasteur Jack Posobiec évoque l’apparition d’une « fracture générationnelle » dans MAGA. Chez les moins de 40 ans, dit-il, le rapport à Israël va « du scepticisme à la volonté de couper tout lien ». D’autres observateurs indiquent que la « hasbara », la communication de l’État d’Israël niant non seulement tout génocide, mais même toute famine à Gaza, apparaît de moins en moins crédible à l’opinion étatsunienne. Quant aux médias les plus impliqués dans le soutien à Donald Trump, ils sont eux aussi divisés. Enfin, de même qu’elle est hostile à la poursuite de la fourniture d’armes à l’Ukraine, la mouvance nationaliste isolationniste est aussi devenue publiquement hostile à l’aide militaire gigantesque de Washington à Tel-Aviv. Elle reste très minoritaire sur ce point, mais sa voix influence désormais d’autres cercles conservateurs.

Mais bien qu’en recul, l’alliance des mouvances évangélique et néoconservatrice sur le dossier israélo-palestinien reste clairement dominante dans MAGA. Un exemple : l’activiste Charlie Kirk, très hostile à une attaque israélienne contre l’Iran, déclara une fois qu’elle fut lancée : « Dans de tels moments, j’ai une confiance totale et entière dans le président Trump »9. De même, Laura Loomer, une activiste proche de Trump mais hostile aux engagements armés étatsuniens, déclara soudainement : « L’Amérique d’abord, c’est ce que dit le président Trump ».10 Pour la plupart de ses fidèles, la parole du Guide est insurpassable.

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1Joseph Cameron, «  Bannon warns Trump against heavy US involvement in Iran  », The Christian Science Monitor, 18 juin 2025.

2Mammon désigne la richesse ou le gain, souvent mal acquis. Dans les Évangiles le terme personnifie l’argent qui asservit le monde.

3«  Republican Says US Should End All Military Aid to Israel  », Newsweek, 29 mai 2025.

4Tal Axelrod, «  MAGA warns Trump of ‘massive schism’  », Axios, 12 juin 2025.

5Ibidem.

6«  ’Who in the hell are you  ?” Bannon blasts Netanyahu for dragging US toward potential war with Iran  », Reuters – TRT Global, 20 juin 2025.

7Robert Jimison et Annie Karni, «  Greene Calls Gaza Crisis a ‘Genocide,’ Hinting at Rift on the Right Over Israel  », The New York Times, 29 juillet 2025.

8«  MAGA’s disenchantment with Israël  », The Economist, 5 août 2025.

9Huo Jingnan, «  Pro Trump media figure split over the U.S. role in the israeli-iran conflict  », National Public Radio (NPR), 18 juin 2025.

10Ibidem.

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