L’avenir incertain du Fatah de Mahmoud Abbas

Un congrès pour rien ? · Alors que le Fatah a célébré le 1er janvier son 52e anniversaire, son dernier congrès a confirmé l’accaparement de l’organisation par Mahmoud Abbas, leader vieillissant. Mais il n’a pas permis de définir une ligne stratégique face au gouvernement israélien, et les ombres de deux absents — celles de Mohammed Dahlan et de Marwan Barghouti — ont pesé sur les débats.

Kremlin.ru, 18 avril 2016.

Le septième congrès du Fatah s’est ouvert à Ramallah le 29 novembre 2016. Mahmoud Abbas, également président de l’Autorité nationale palestinienne (ANP) et de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), est reconduit le jour même, par acclamation, à la tête du mouvement fondé par Yasser Arafat. Le Conseil révolutionnaire et le comité central du Fatah ne seront élus que quatre jours plus tard.

L’unanimisme de façade autour de la figure vieillissante de Mahmoud Abbas (81 ans) ne saurait cacher les divisions qui minent le Fatah. En refusant d’engager le débat sur ses perspectives stratégiques, la direction politique, « cisjordanienne », très proche de l’ANP, met en péril l’avenir de l’organisation.

Coopération sécuritaire avec Israël

Le congrès du Fatah s’est ouvert dans un contexte difficile pour Mahmoud Abbas. Il fait face à un gouvernement israélien de droite radicale emmené par le Likoud, qui conduit une politique de colonisation extensive. Le soulèvement palestinien d’octobre 2015, dit « intifada des couteaux », qui a commencé dans la partie arabe de Jérusalem, s’est ensuite étendu à l’ensemble de la Cisjordanie. Il n’est pas terminé. Or, en refusant depuis de suspendre la coopération sécuritaire entre les forces de police palestiniennes et Israël, pilier des accords d’Oslo, le président s’est attiré les foudres de l’ensemble des factions palestiniennes. Il continue à faire le pari d’une solution négociée avec Israël, malgré le rejet par Benyamin Nétanyahou de l’Initiative française pour la paix1 (une réunion internationale se tiendra à Paris le 15 janvier en présence de dizaines de ministres des affaires étrangères) qui vise à organiser des négociations multilatérales. Enfin, le dossier de la réconciliation avec le Hamas piétine : le dernier gouvernement d’union nationale a été dissous en juin 2015.

Affaibli, Mahmoud Abbas devait donc montrer qu’il est encore légitime à la tête du Fatah, et même capable de susciter l’unité nationale. Tous les partis politiques palestiniens s’affichaient côte à côte à l’ouverture du congrès. Prudent, Faiz Abou Warda, membre dirigeant du Hamas, rappelle cependant que la présence de sa formation au premier jour de la conférence du Fatah n’a qu’un aspect « protocolaire ». Le Mouvement de la résistance islamique est surtout attentif aux divisions qui déchirent le Fatah, notamment celles entre les tenants de la ligne présidentielle d’un côté et les partisans de Mohammed Dahlan — expulsé du comité central du mouvement en juin 2011 — de l’autre.

Un mouvement de moins en moins « national »

Le septième congrès a été celui d’une mise au pas : celle du Fatah en tant que mouvement « national », c’est-à-dire représentatif des Palestiniens de la bande de Gaza, de Jérusalem-Est, de la Cisjordanie, mais aussi de la diaspora (chatat), notamment des camps de réfugiés palestiniens du Liban, de Jordanie et de Syrie. Le principal enjeu du congrès résidait dans l’élection du Conseil révolutionnaire (80 membres) et du comité central, composé d’un président, de 18 membres élus et de trois membres honoraires permanents (Farouk Qaddoumi, Mohammed Ghunaym et Salim Zanoun). Or, ces nouvelles instances du Fatah consacrent une logique déjà à l’œuvre en août 2009, lors de la sixième conférence du mouvement2 : la direction du Fatah est majoritairement la direction d’un seul territoire, la Cisjordanie, et non la direction des territoires — encore moins celle de l’ensemble d’un peuple dispersé. Elle se confond enfin avec l’appareil de l’ANP.

La Cisjordanie, où siège l’ANP, est ainsi surreprésentée dans les instances dirigeantes du parti, au détriment de la bande de Gaza et des instances du mouvement en Jordanie, au Liban et en Syrie. La section libanaise du Fatah, pourtant considérablement implantée chez les réfugiés du Liban, n’a plus de représentants au sein du comité central, après l’éviction de Sultan Abou Aynan, élu en 2009. La section syrienne rejoint quant à elle le comité central avec Samir Rifaï. Seuls cinq membres du comité central sont originaires de la bande de Gaza, ils n’y résident toutefois pas nécessairement. Le Conseil révolutionnaire, structure large, est également majoritairement « cisjordanien » : dix membres seulement de la bande de Gaza ont été élus, dont quatre résidant en Cisjordanie.

Les prisonniers palestiniens du Fatah ne sont représentés que par Marwan Barghouti, qui demeure sans doute l’homme le plus populaire du mouvement. Les cadres dirigeants du comité central sont pour nombre d’entre eux liés à l’appareil de l’Autorité, ou ont tenu par le passé un rôle important en son sein, que cela soit dans les services sécuritaires (Djibril Rajoub, Ismaël Jabr), dans les ministères (Sabri Saidam), dans les gouvernorats (Djamal Mouhaisen), ou dans le conseil législatif palestinien (Raoui Fattouh). Si des opposants historiques aux accords d’Oslo sont encore membres du comité central (Abbas Zaki, Mohammed Ghunaim, Farouk Qaddoumi), le groupe des « négociateurs » avec Israël est largement représenté (Saeb Erekat, Mohammed Shtayyeh, Mohammed Al-Madani). Entre repli du Fatah sur un territoire (la Cisjordanie) et dépendance à l’égard de l’ANP, le congrès du Fatah s’est enfin distingué par l’absence de féminisation de ses instances dirigeantes. Une seule femme, originaire du camp de réfugiés de Balata (Cisjordanie), intègre le comité central : Dalal Salameh.

L’ombre embarrassante de Mohammed Dahlan

Juguler la contestation interne au Fatah en mettant au pas les frondeurs à l’approche du Congrès, tel était également le défi de Mahmoud Abbas. Il a d’abord fallu que le président palestinien résiste aux pressions du « quartet arabe »3, composé de l’Arabie saoudite, de l’Égypte, des Émirats arabes unis et de la Jordanie : depuis août 2016, ces États l’enjoignaient de se réconcilier avec Mohammed Dahlan. Pour eux, les divisions du Fatah sont en effet susceptibles de renforcer le Hamas. Abbas n’a pourtant pas suivi leurs recommandations : le 21 novembre 2016, trois membres du bureau parlementaire de Dahlan ont été arrêtés par la police palestinienne en Cisjordanie.

Ancien membre du comité central du Fatah, un temps responsable des services de sécurité palestiniens, Dahlan a été exclu du mouvement et expulsé des territoires palestiniens en 2011. Il ne cache guère ses ambitions de succéder à Mahmoud Abbas, avec qui il n’a pas de grands désaccords stratégiques, à la tête du Fatah et de l’Autorité nationale palestinienne. Pour ce faire, Dahlan dispose de solides appuis régionaux qui ne sont pas ceux du président. Installé aux Émirats arabes unis (EAU), il est devenu un véritable diplomate régional de l’ombre et son réseau se confond avec la cartographie de la « contre-révolution » arabe : commis-voyageur du prince Mohammed Ben Zayed Al Nahyane, l’actuel ministre de la défense des EAU, il est proche des services de sécurité du président Abdel Fatah Al-Sissi et se retrouve aux côtés du général Khalifa Haftar en Libye. Dernièrement, la monarchie jordanienne, qui l’a longtemps ignoré, s’est rangée aux côtés de ses puissants parrains pour faciliter son accession au pouvoir.

Dahlan n’est cependant pas seulement une figure imposée de l’extérieur : il a encore ses partisans au sein du Fatah. Alors que Mahmoud Abbas se préoccupe principalement du Fatah de Cisjordanie, Dahlan sait s’attirer les faveurs de factions locales, d’abord à Gaza dont il est originaire, mais également dans les camps de réfugiés du Liban ou au sein de la diaspora. Dans certains cas, comme dans le camp de Aïn El-Héloué (Liban), la division est actée : il y a deux Fatah, l’un proche d’Abbas, l’autre qui a fait allégeance à Dahlan. Cette présence au sein du parti de sympathisants de Dahlan conduit la direction à organiser de véritables purges, jusque parmi ses propres parlementaires. Ainsi, à la suite d’une manifestation du Fatah organisée à Gaza le 1er août 2015, des affrontements ont éclaté entre militants du Fatah fidèles à la présidence palestinienne et partisans de Dahlan. Quatre manifestants ont été blessés. Cinq jours plus tard, Mahmoud Abbas expulsait du Fatah quatre dirigeants proches de Dahlan : les députées Najat Abou Bakr et Naima Cheikh Ali, Adli Sadeq et Taoufik Abou Khoussa.

Une victoire à la Pyrrhus

Pour se prémunir de la contestation, qui dépasse la simple opposition Dahlan-Abbas, la direction du Fatah a également verrouillé le congrès de décembre 2016 en amont, en limitant le nombre de délégués présents à 1 400 — un seuil bien en deçà du dernier congrès de 2009, auquel assistaient 2 355 membres du parti. Il réitère ici une technique appliquée de longue date aux élections palestiniennes4 : plutôt que de maquiller des votes sous haute surveillance, il définit un cadre dans lequel il ne peut être mis en défaut. Le mouvement peut ainsi célébrer le caractère « démocratique » de son congrès, tenu publiquement.

Mahmoud Abbas n’est pas loin d’avoir réussi son pari : Mohammed Dahlan et ses partisans du Courant réformiste (Al-Tayar al-islahi) sont, pour le moment, bel et bien exclus de la nouvelle direction du Fatah. Ils n’en sont pas moins menaçants, fin novembre, ils promettaient la tenue d’une conférence alternative qui n’a pas encore eu lieu. Quant aux partisans d’une réforme du Fatah, ce septième congrès ne leur a laissé aucun espace, préférant faire le pari de leur marginalisation forcée.

Exclusion de militants, rétrécissement du nombre de délégués et prime au Fatah de Cisjordanie : la victoire de Mahmoud Abbas est une victoire à la Pyrrhus qui affaiblit plus qu’elle ne renforce le mouvement qu’il entend diriger. Le communiqué final du congrès publié le 3 décembre 2016 ne distingue plus la stratégie de l’ANP et celle du Fatah : moins qu’un mouvement de libération nationale, il devient une chambre d’enregistrement du pouvoir. Si le « droit à la résistance », au « retour » des réfugiés et à « l’autodétermination du peuple palestinien » sont mentionnés, la seule perspective stratégique évoquée est celle de s’appuyer sur l’Initiative de la Ligue arabe — qui date de 2002 — ou sur l’Initiative française pour la paix de juin 2016. De grands principes sont certes rappelés, comme la nécessité de réactiver la direction de l’OLP, l’unité nationale et la réconciliation interpalestinienne. Il est pourtant difficile de voir ce qui distingue le Fatah de l’ANP en termes de stratégie et de programme.

Le congrès du Fatah voulait surtout donner des gages de stabilité. À la communauté internationale, Mahmoud Abbas a signifié qu’il était encore en mesure de tenir ses troupes et de juguler ses opposants. Le communiqué final du congrès n’adresse enfin un message de solidarité qu’à deux États arabes : l’Égypte et l’Arabie saoudite, notamment pour leur « lutte contre le terrorisme ». Le message se veut rassurant, l’axe Le Caire-Riyad demeure structurant pour le Fatah depuis les accords d’Oslo, et les nouveaux rapports de force régionaux issus de la guerre en Syrie — à peine mentionnée — ne modifient pas les régimes d’alliances régionales du mouvement.

L’inconnue Marwan Barghouti

Le congrès n’a pas résolu toutes les questions internes et l’avenir ne manquera pas de contradictions pour le Fatah. Les opposants ont été mis au pas, pourtant les partisans d’un changement restent nombreux. La direction du Fatah est majoritairement cisjordanienne et organiquement liée à l’Autorité, cependant le mouvement préserve de véritables bases populaires dans la bande de Gaza, tout comme dans la diaspora, notamment au Liban. Surtout, il reste une inconnue : celle de Marwan Barghouti, élu avec le plus grand nombre de voix au comité central, et dont l’épouse Fadwa Barghouti réitère le même exploit au sein du Conseil révolutionnaire.

Emprisonné en Israël depuis 2002, Barghouti n’est peut-être pas l’homme le plus fort du parti, il en est en revanche le plus populaire. Sa stratégie n’a pas toujours été très lisible par le passé. Parfois présenté comme le Mandela palestinien, partisan d’une solution à deux États, il a néanmoins gardé un certain crédit dans les secteurs du Fatah les plus opposés aux accords d’Oslo, tout comme dans ce qui reste des branches armées de la seconde intifada. Il se donne une figure de réformiste, mais ses alliances sont sinueuses. En janvier 2005, il menaçait Abbas de se présenter à l’élection présidentielle palestinienne, pour se retirer par la suite. À la création du mouvement Al-Moustaqbal (« l’Avenir »), qu’il a fondé à cette occasion, son principal allié était Mohammed Dahlan, et le Hamas annonçait qu’il pourrait le soutenir.

Contrairement à Mahmoud Abbas, il ne condamne pas le soulèvement palestinien d’octobre 2015 : dans une lettre publiée sur les réseaux sociaux en mars 2016, il appelle au contraire à suspendre la coopération sécuritaire entre l’Autorité palestinienne et Israël, à démocratiser et à revitaliser l’OLP, ainsi qu’à distinguer clairement l’ANP du Fatah, auquel il souhaite redonner ses lettres de noblesse nationalistes.

Le comité central doit bientôt nommer son futur vice-président — une décision que les dirigeants palestiniens préfèrent prendre à l’abri des regards. Le nom de Marwan Barghouti est évoqué pour occuper la place de numéro deux du mouvement. Ses adversaires se préparent toutefois déjà à lui disputer ce rôle, avec à leur tête Djibril Rajoub, l’ancien homme fort des services de sécurité en Cisjordanie. À défaut d’être un congrès de rassemblement, le véritable enjeu de cette rencontre résidait peut-être dans la désignation du dauphin. Mais dans une sorte de mimétisme avec l’ANP, le Fatah semble s’être mué en une coquille vide où les décisions sont prises par une clique dirigeante, monopolisant le pouvoir depuis près d’une décennie.

2Palestine : Salvaging Fatah, Middle East Report n° 91, 12 novembre 2009.

3Adnan Abu Amer, « Is Fatah reconciliation underway ahead of local elections ? », Middle East Eye, 1er septembre 2016.

4Xavier Guignard, « Un autoritarisme discret ? Les élections municipales de 2012 en Cisjordanie », noria-research.com, 12 janvier 2016.

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