Un accord entre le Fatah et le Hamas à l’ombre du parrain égyptien

Le rapprochement entre le Hamas et l’Autorité palestinienne esquissé sous le parrainage sourcilleux du Caire a-t-il plus de chances d’aboutir à une unification des rangs palestiniens que les tentatives précédentes ? Cette fois-ci, de nombreux facteurs poussent au compromis mais les risques d’échec restent importants.

Le Caire, 12 octobre 2017. Salah Al-Arouri, vice-président du bureau politique du Hamas (g.) et le négociateur en chef du Fatah, Azzam Al-Ahmad (d.) se congratulent après la signature de l’accord de réconciliation.
DPA/Alamy Live News.

Les tentatives de rapprochement entre le Fatah et le Hamas ont jusqu’à présent systématiquement abouti à des échecs. Ce constat est partagé par un grand nombre d’analystes qui n’osent plus croire qu’une « réconciliation » entre Palestiniens verra le jour. À l’initiative de l’Égypte puis du Qatar, les accords du Caire (2011) et de Doha (2012) étaient restés lettre morte, ne faisant pas l’objet d’un consensus dans les rangs palestiniens.

Signé à Gaza à la résidence du leader du Hamas Ismaël Haniyeh, l’accord d’Al-Shati de mai 2014 avait quant à lui suscité davantage d’espoirs, vite étouffés par le déclenchement de l’opération militaire israélienne Bordure protectrice. À travers cet accord déjà, le Hamas avait exprimé son souhait de se retirer des affaires gouvernementales et de remettre les clés de Gaza à Mahmoud Abbas.

C’est bien cette même position que le Hamas a réitérée le 17 septembre 2017 en annonçant la dissolution de son comité administratif, censé gérer les affaires courantes de la bande de Gaza depuis 20141. Une solution est désormais proposée pour chacun des points de litige qui paralysaient les accords précédents : le Hamas accepterait que ses fonctionnaires soient mis en retraite anticipée, que l’Autorité palestinienne (AP) regagne le contrôle des principaux points de passage et enfin que la police civile de Gaza fusionne avec celle de Ramallah2.

L’accord conclu jeudi 12 octobre apporte une solution provisoire à chacun de ces points : les fonctionnaires du Hamas recevront 50 % de leurs salaires, une présence européenne sera restaurée au point de passage de Rafah, 3000 agents des forces de l’ordre reprendront leurs fonctions au sein de la police civile de Gaza. Ces avancées ne représentent qu’une étape intermédiaire sur le chemin d’une réconciliation encore très incertaine. Il n’en reste pas moins que, de part et d’autre, des efforts ont été consentis pour parvenir à cet accord — en particulier du côté du Hamas qui se retire de la gestion administrative de la bande de Gaza.

Comment interpréter ce changement qui, de prime abord, apparaît comme une complète reddition ? Certes, ces concessions ne sont pas étrangères au recul des Frères musulmans sur le plan régional. Bien comprises, elles doivent toutefois être réinscrites dans leurs dynamiques à la fois locales et organisationnelles internes au Hamas.

Une porte de sortie honorable

Depuis plusieurs mois l’Égypte et le Hamas ont amorcé un rapprochement significatif. Si la visite au Caire, le 9 septembre dernier, d’Ismaël Haniyeh — ancien premier ministre du gouvernement de Gaza — a été largement rendue publique et relayée, la dynamique était bien antérieure. Candidat malheureux à la présidence du Hamas face à Ismaël Haniyeh, Moussa Abou Marzouk était en charge du dossier égyptien, toujours soucieux d’établir de bonnes relations avec les autorités égyptiennes. L’annonce par Khaled Mechaal, depuis Doha, du nouveau document politique ne faisant aucune mention de sa filiation avec la confrérie des Frères musulmans apparaissait elle aussi comme un geste de compromis de la part du mouvement palestinien. Loin de toute interprétation idéologique, c’est un double intérêt que poursuit Le Caire à travers ce partenariat. Sur le plan sécuritaire d’abord, l’objectif est de limiter l’influence de l’organisation de l’État islamique (OEI) dans le Sinaï ; sur le plan diplomatique ensuite, de jouer à nouveau un rôle central dans le rapprochement interpalestinien après le retrait du Qatar et de la Turquie.

Si la compétition entre les différents services de renseignement égyptiens n’est pas complètement étrangère à cette évolution et au surinvestissement de Khaled Faouzi dans ce dossier, il est clair que le président Abdel Fattah Al-Sissi voit dans le plan de paix régional porté par Donald Trump une occasion en or de se présenter comme le médiateur incontournable. Plaidoyer pour la paix entre Israéliens et Palestiniens, son dernier discours à l’Assemblée générale des Nations unies en est la parfaite illustration. Les échanges réguliers entre le personnel de la sécurité égyptienne et le Hamas ont amené le président Sissi à livrer plusieurs milliers de litres de pétrole à la bande de Gaza qui connaissait une pénurie d’électricité après le défaut de paiement des factures de carburant par Mahmoud Abbas3.

En tout état de cause, c’est bien l’initiative du Caire qui expliquerait non seulement les concessions du Hamas, incapable désormais de fournir les services de base à sa population et profitant de cette porte de sortie que leur offrent les Égyptiens, mais aussi l’acceptation de ces mêmes concessions par Mahmoud Abbas, inquiet des conséquences d’un rapprochement entre Le Caire et Hamas. Ceci d’autant plus que ce rapprochement a été possible grâce à Mohammed Dahlan, ennemi intime du président de l’AP, qui tente de remettre un pied en Palestine en mobilisant ses multiples réseaux. C’est donc aussi et surtout dans le but de contrer ce qu’il percevait comme une menace majeure, un « nouvel axe » Le Caire/Hamas/Dahlan, que Abbas s’est engagé dans la voie de la réconciliation avec le Hamas afin de reprendre Gaza avant qu’elle ne tombe entre les mains de Dahlan.

L’accord du 12 octobre semble laisser Mohammed Dahlan sur la touche. C’est pourtant lui qui avait facilité le rétablissement des relations entre Le Caire et le Hamas. Son projet d’user de ses relais gazaouis pour reprendre le pouvoir en Palestine n’en demeure pas moins d’actualité. À cet égard, il bénéficie du soutien indéfectible des Émirats arabes unis mais aussi de l’Égypte qui le considère comme un « plan B », une option de dernier recours réactivable dans l’éventualité d’un échec de la réconciliation entre le Fatah et le Hamas.

Unifier l’organisation

Les concessions accordées par le Hamas s’expliquent également par des facteurs internes au mouvement qui connaît des évolutions organisationnelles majeures. Ces évolutions touchent avant tout l’équilibre des pouvoirs entre les différents pôles de décision dispersés entre les prisons, la Cisjordanie, Gaza et l’extérieur. Si traditionnellement le pôle extérieur disposait de davantage de moyens financiers pour assurer le contrôle des brigades Al-Qassam, cette configuration est rendue caduque depuis que Gaza cumule des ressources non négligeables. Les opérations militaires successives contre la bande de Gaza ont permis aux brigades Al-Qassam de se renforcer et de s’autonomiser progressivement des décideurs en exil. Les relations privilégiées avec l’Iran l’expliquent également, les brigades ayant toujours disposé d’un soutien matériel de la part des Iraniens. Ceux-ci, à l’inverse, avaient rompu leurs liens avec le président du bureau politique en exil — alors Khaled Mechaal — à la suite d’un désaccord sur le conflit syrien. Le poids que représente désormais Gaza dans le processus décisionnel du Hamas explique en partie le dernier rapprochement avec le Fatah, moins exposé au risque de se voir amendé ou refusé par les leaders gazaouis à l’instar des accords du Caire et de Doha.

Ces évolutions organisationnelles concernent également l’unification des centres de pouvoir à Gaza, rendue possible par l’élection de Yahya Sinouar le 13 février 2017. Membre fondateur de la cellule de renseignement Majd (ancêtre des brigades Al-Qassam), Sinouar entretient des liens étroits avec la branche armée du mouvement et dispose de son total soutien pour parachever sa politique de rapprochement avec le Fatah et favoriser la levée du blocus. L’homme dispose également d’une expérience politique, ayant dirigé le leadership du Hamas dans les prisons israéliennes avant sa libération en 2011 et son élection en 2013 au sein du bureau politique du mouvement. Cette double casquette lui permet de se présenter comme capable d’homogénéiser des centres de pouvoir aux intérêts souvent divergents, alors qu’on sait que les brigades Al-Qassam ont par le passé exprimé de vives oppositions aux accords de réconciliation.

Certes les concessions octroyées par Sinouar au Fatah ont été critiquées au sein du Hamas. Certaines ont été rendues publiques sur les réseaux sociaux, par exemple celle formulée par Bassem Naïm, ancien ministre du comité administratif qui avait dénoncé les décisions d’un « dictateur » sans toutefois prendre le risque de le nommer. Il est en effet peu prudent de clamer haut et fort sa désapprobation quant aux choix politiques de Sinouar, après l’avertissement lancé au cours d’une réunion : « Je briserai la nuque de celui qui tentera de rompre l’élan de la réconciliation. Nous sommes prêts à faire de lourdes concessions pour mettre fin à la division. » En dépit de l’opposition de certains — tel Fathi Hamad qui aurait été [placé en résidence surveillée rapporte Shorouk News, Sinouar bénéficierait du soutien de la plus haute hiérarchie du Hamas, celui du président de son bureau politique Ismaël Haniyeh, ainsi que celui du commandant des brigades Al-Qassam, Mohammed Deif.

Les enjeux de la guerre et de la paix

Dès son arrivée à la tête de la direction gazaouie, Yahya Sinouar s’est attaché à évaluer l’éventail des possibilités qui se présentaient au Hamas avant de conclure qu’il n’y avait qu’une seule option : ramener l’AP à Gaza afin d’ouvrir les frontières et de permettre l’acheminement de l’aide internationale. Il serait prêt à toutes les concessions pour réaliser cet objectif, qui fait désormais office de véritable choix stratégique pour le Hamas. Sinouar est en effet porteur d’un projet qu’il considère comme plus ambitieux : la constitution d’une armée nationale palestinienne grâce à la fusion de l’ensemble des factions armées à Gaza. « Nous devrions désormais utiliser nos faibles ressources pour notre mouvement, politiquement et militairement. L’avenir du Hamas est plus important que le reste. Nous sommes des moudjahidines », a t-il déclaré dans une conversation privée.

Ce projet aurait été validé par toutes les cellules des brigades Al-Qassam, y compris celles de Cisjordanie commandées par Salah Al-Arouri. Extérieure aux clivages politiques partisans, cette armée aurait pour principale fonction de décider de la guerre et de la paix. Moussa Abou Marzouk a d’ailleurs récemment déclaré dans une interview publiée par Al-Hayat lors de son séjour à Moscou : « La guerre et la paix sont des enjeux nationaux et le Hamas est prêt à partager la responsabilité de ces décisions conjointement avec l’AP. »

L’avenir des brigades Al-Qassam constitue l’un des potentiels points d’achoppement du rapprochement Hamas-Fatah. Ligne rouge pour les Israéliens, cette question n’a pour l’instant fait l’objet d’aucune tractation dans les négociations tenues au Caire. Il n’en reste pas moins que l’investissement du Hamas dans le militaire n’implique en rien une sortie du politique. Bien au contraire, cette perspective d’unification des rangs armés à Gaza doit se lire dans la continuité d’un projet de pénétration des instances de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) dont les institutions restent, malgré les échecs répétés dans les pourparlers de paix, moins entachées que celles de l’AP.

La récente « réconciliation » — entendue ici comme un accord circonstancié plutôt que comme une preuve de solidarité — est le résultat de plusieurs facteurs à la fois exogènes et endogènes. Les gestes de bonne volonté de la part du Caire ont permis au Hamas, paralysé par les nouvelles sanctions imposées par Mahmoud Abbas, de remettre le pouvoir à l’AP sans que ce choix apparaisse comme une totale reddition.

Les évolutions internes au Hamas expliquent également ces évolutions. Si le parti avait déjà exprimé en 2014 le vœu d’être déchargé des affaires administratives, ce retrait est désormais vu comme un choix stratégique assumé plutôt que comme un moindre mal. Du côté du Fatah en revanche, le manque de volonté politique reste patent. Nombreux sont ceux qui, à Ramallah, considèrent cet accord comme un piège qui pourrait leur être fatal. La réunion à Gaza du conseil des ministres le 2 octobre dernier n’a d’ailleurs toujours pas abouti à la levée des sanctions imposées à Gaza.

1Pour le Hamas il s’agissait de « veiller au bon fonctionnement de l’ensemble des services publics », décision de dernier recours face au délaissement des responsabilités du gouvernement d’union. Le Fatah y voyait en revanche le projet du Hamas d’établir un État séparé à Gaza.

2Par le passé, le Hamas a toujours insisté sur la permanence de ses fonctionnaires dans les institutions, mais aussi sur un contrôle partagé des points de passage. Seul celui de Rafah continue de faire l’objet de discussions, le Hamas ayant proposé l’association de quelques-uns de ses employés.

3La bande de Gaza faisait déjà face, depuis l’opération militaire israélienne Bordure protectrice, à d’importantes pénuries et à une situation humanitaire déplorable.

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