Huit mois après son arrivée au pouvoir, le sultan Haïtham Ben Tarek Ben Taïmour Al-Saïd d’Oman a formé un nouveau gouvernement, le premier conseil des ministres qu’il a entièrement nommé. Un grand nombre de décrets réduisent la taille de l’équipe gouvernementale, mettent en place une équipe remarquablement technocratique et expérimentée et délèguent des pouvoirs importants à certains ministres. Ces nominations marquent un net changement par rapport au style de gouvernement hautement personnalisé qui existait du temps de l’ancien sultan Qabous et révèlent un modèle de gouvernement plus institutionnel. En même temps, le nouveau Conseil assure la continuité de l’ère Qabous en conservant de nombreux ministres, mais en mettant particulièrement l’accent sur l’économie et les finances.
Ne pas personnaliser l’État
Par le plus remarquable de ses 28 décrets, le sultan Haïtham a renoncé aux titres de ministres de la défense, des affaires étrangères, des finances et de président de la Banque centrale, au profit de fonctionnaires dont certains n’appartiennent pas à la famille régnante. Cette dévolution du pouvoir — rare chez les dirigeants autocrates — s’inscrit dans la ligne de ses efforts antérieurs pour ne pas personnaliser l’État. En février 2020, par exemple, l’un de ses premiers décrets a supprimé la référence au sultan Qabous dans l’hymne national, remplaçant le nom de l’ancien souverain par des paroles générales. Le 9 mars, il a nommé son frère Chihab Ben Tarek au poste de vice-premier ministre de la défense, à la place du ministre responsable des affaires de défense, Badr Ben Saoud Ben Hareb Al-Boussaïdi, qui prend ainsi sa retraite. Selon des responsables omanais, Sayyed Chihab serait le ministre de la défense de facto, mais avec un titre plus élevé, alors que le sultan reste à la tête des forces armées.
Les décrets du mois d’août ont également promu au rang de ministre des affaires étrangères le ministre en charge des affaires extérieures et au rang de ministre des finances le responsable des affaires financières. Les deux postes ont également de nouveaux titulaires. On peut en déduire que le sultan a attendu d’avoir décidé des nouvelles nominations pour modifier les titres des ministres. En outre, Taïmour Ben Assad, son neveu et membre de la nouvelle génération de la famille royale, est désormais président du conseil d’administration de la Banque centrale avec le rang de ministre — une promotion importante pour ce jeune homme de 39 ans.
Le sultan conserve le titre de premier ministre, avec trois vice-premiers ministres précédemment nommés : Assad Ben Tarek pour les relations et la coopération internationales ; Chihab Ben Tarek, déjà cité, se voit confier les affaires de défense et Fahd Ben Mahmoud est en charge des affaires du cabinet. Sayyed Assad est remarquablement absent du dernier gouvernement, apparemment parce qu’il n’est responsable d’aucun ministère. Bien qu’il conserve son titre de vice-premier ministre, son rôle précis à l’avenir n’est pas clair. Avant la disparition du sultan Qabous, il était considéré comme l’un des principaux candidats à la succession avec Haïtham qui a finalement été choisi.
Plus remarquable, Haïtham n’a nommé qu’un seul autre membre de la famille régnante. Le nouveau ministre de la culture, des sports et de la jeunesse est son fils Theyazin Ben Haïtham, que le sultan pourrait vouloir préparer à une éventuelle succession. Âgé de 30 ans, il est diplomate depuis 2013. En janvier dernier, il est rentré à Mascate depuis Londres où il occupait le poste de deuxième secrétaire à l’ambassade.
Des changements aux affaires étrangères et aux finances
En matière de relations internationales, le changement le plus remarquable est le remplacement de Youssouf Ben Alaoui qui était ministre des affaires étrangères depuis 1997. Rebelle du Dhofar pendant la guerre contre le père de Qabous dans les années 1970, il avait fait machine arrière sous le sultan Qabous et en avait été ainsi récompensé. Cela étant, sa retraite était largement attendue depuis l’arrivée au pouvoir de Haïtham, notamment en raison de leurs supposées divergences lorsqu’ils étaient tous deux au ministère des affaires étrangères.
Le nouveau ministre des affaires étrangères Badr Ben Hamad Al-Boussaïdi apportera une bouffée d’air frais. Il est très apprécié des diplomates américains qui l’ont qualifié de sérieux, de travailleur, d’interlocuteur de qualité et de bon partenaire des États-Unis. Né en 1960 à Mascate et ayant fait ses études à Oxford, il fait partie du ministère depuis 1988, notamment comme secrétaire général, ce qui l’a amené à travailler en étroite collaboration avec Ben Alaoui. Ces fonctions et d’autres postes de haut niveau en ont fait un interlocuteur apprécié dans les milieux diplomatiques. Bien qu’il ne soit pas lui-même un membre de la famille royale, il fait partie de la grande tribu des Boussaïdi à laquelle appartient la famille royale.
À l’avenir, il devrait poursuivre la politique de neutralité d’Oman où l’on devrait retrouver des relations équilibrées tant avec les États-Unis qu’avec l’Iran, une réflexion sur la normalisation des relations avec Israël comme les Émirats arabes unis viennent de le faire, une gestion du dossier de plus en plus compliqué du Yémen et une orientation politique en direction d’autres États du Conseil de coopération du Golfe (CCG).
La nomination du nouveau ministre des finances pourrait être tout aussi cruciale étant donné la situation économique de plus en plus difficile d’Oman. Sultan Ben Salim Al-Habsi a un profil impressionnant : il a été fonctionnaire du ministère des finances depuis les années 1980, président de l’administration fiscale d’Oman, vice-président du conseil d’administration de la Banque centrale et de la compagnie pétrolière d’Oman, et président de l’Autorité d’investissement d’Oman. Les cadres supérieurs de son ministère ainsi que le nouveau chef de l’administration fiscale ont tous une carrière tout aussi longue dans le secteur financier.
Une professionnalisation renforcée
De fait, la plupart des ministres omanais nouvellement nommés ou reconduits dans leurs fonctions ont des décennies d’expérience en tant que membres de l’administration ou sont des professionnels ayant prouvé leur compétence dans un domaine apparenté. C’est ainsi que le nouveau ministre de l’information a été président de l’Autorité publique pour la radio et la télévision.
Le nouveau cabinet est également remarquable par la manière dont il a réduit le nombre des ministères qui passe de 26 à 19. Certains ont simplement été rebaptisés, comme le ministère du pétrole et du gaz qui devient le ministère de l’énergie et des mines. D’autres ont fusionné ou ont été regroupés dans une nouvelle administration comme celles de la justice et des affaires juridiques qui ne forment plus qu’un seul ministère (c’est le ministre des affaires juridiques qui en assume désormais la direction) tandis que le nouveau ministère du travail regroupera les anciens ministères de la main-d’œuvre et de la fonction publique. Certaines institutions ont échangé leurs responsabilités. Par exemple, le ministère du patrimoine et de la culture a obtenu le portefeuille du tourisme mais a perdu celui de la culture au profit du ministère de la jeunesse et des sports, ce qui a donné naissance à un ministère du patrimoine et du tourisme et à un ministère de la culture, des sports et de la jeunesse.
Comme indiqué plus haut, le nouveau gouvernement technocratique semble se concentrer sur l’économie. La politique de développement « Vision 2040 » que Haïtham a menée avant qu’il prenne la direction du sultanat a maintenant une nouvelle identité. La plupart des institutions qui ont été dotées de nouveaux responsables sont liées à l’économie, notamment les ministères du logement et de l’urbanisme, de l’économie, du commerce, de l’industrie et de la promotion des investissements ou encore du travail.
Plus généralement, les nominations du sultan Haïtham semblent faire la part belle à l’expérience. Les prochains mois permettront de voir si cette expérience peut être transformée en résultats mesurables. Les premières impressions suggèrent que son approche de la consolidation, de la professionnalisation et de l’autonomisation des compétences institutionnelles est exactement le type de direction politique dont Oman a besoin en ce moment critique.
Les articles présentés sur notre site sont soumis au droit d’auteur. Si vous souhaitez reproduire ou traduire un article d’Orient XXI, merci de nous contacter préalablement pour obtenir l’autorisation de(s) auteur.e.s.