Sion Assidon, l’« honneur des juifs marocains »

Figure emblématique de la gauche marocaine et de l’engagement pour les droits humains, la justice sociale et la cause palestinienne, Sion Assidon est décédé le 7 novembre 2025 à Casablanca à l’âge de 77 ans. Les circonstances de sa mort restent encore incertaines.


Un homme souriant porte un keffieh, derrière lui un drapeau palestinien sur fond urbain.
Casablanca, le 14 février 2019. Le militant marocain des droits humains Sion Assidon pose pour une photo lors d’une manifestation organisée par le mouvement Boycott, désinvestissement et sanctions (BDS) contre un concert d’Enrico Macias, en signe de protestation contre les positions pro-israéliennes adoptées par le chanteur français.
AFP

Sion Assidon a d’abord été retrouvé inconscient chez lui par les services de police marocaine le 11 août 2025. Ses employés et amis, inquiets de son absence à un sit-in et ne parvenant pas à le joindre, avaient donné l’alerte. Il est transporté d’urgence à l’hôpital, où il plonge dans le coma. Un collectif composé de ses proches et amis a adressé entre les mois d’août et octobre trois requêtes au procureur du roi pour éclaircir les circonstances de cet événement.

Selon un communiqué du procureur général de Casablanca publié le 7 novembre, le rapport d’autopsie attribue le décès « à des complications septiques consécutives à un traumatisme crânien », accréditant la thèse d’une mort accidentelle, en l’occurrence une chute.

Né à Agadir en mai 1948 d’une famille de confession juive, Sion doit son prénom à son père en référence à la création de l’État d’Israël à la même période. Se définissant comme arabe, amazigh (berbère) et marocain appartenant à la communauté juive, c’est en 1967 qu’il affirme cette identité plurielle. Alors étudiant à Paris, il participe à des actions militantes anti-impérialistes.

Face à la défaite arabe de la guerre israélo-arabe de juin 1967, l’émigration juive marocaine connaît son pic, en raison d’un climat d’insécurité nourri d’actes antijuifs. En cette période qu’il qualifie de charnière, Sion Assidon forge sa conscience politique et son appartenance nationale, résistant aux discours sionistes sur la valeur émancipatrice des alyas (immigration en Israël) et l’avenir incertain pour les communautés juives au Maroc.

Prison et torture des années de plomb

Refusant de quitter le Maroc et de réduire son pays à un souvenir d’enfance, Sion Assidon se tourne vers le marxisme, et défend la démocratie et les droits sociaux. Après des études de mathématiques, il devient enseignant et cofonde avec Ahmed Herzenni le groupe maoïste Linakhduma al chaab (« Servir le peuple »). Cet engagement politique lui vaudra prison et torture, comme de nombreux militants durant les années de plomb, sous Hassan II, de 1961 à 1999.

Arrêté en février 1972 ainsi que des dizaines de militants marxistes marocains, Maâti — son pseudonyme sous la dictature de Hassan II — est condamné à quinze ans de prison pour ses idées et avoir… imprimé des tracts. Une sanction disproportionnée, qui vise clairement à laminer l’opposition de gauche marocaine.

Assidon est enfermé à la prison centrale de Kénitra, au nord de Rabat. Après une tentative d’évasion en 1979, qui coûtera la vie à l’un de ses camarades, il est emprisonné dans des conditions moins sévères à partir de 1980.

L’homme reprend ses études de mathématiques et d’économie à cette époque, derrière les barreaux, et renforce sa maîtrise de l’arabe. Il est gracié en 1984, après douze ans d’enfermement. Peu de temps après, il reprend l’entreprise familiale de négoce et d’industrie à Casablanca.

De Transparency à BDS Maroc

Le militantisme chevillé au corps, il cofonde une association de lutte contre la corruption, qui devient en 1996 Transparency Maroc, dont il sera le secrétaire général. En 2010, à l’occasion de la journée nationale de la Palestine, il cofonde la branche marocaine du mouvement Boycott, désinvestissement et sanctions (BDS). Au sein du collectif, il mène des campagnes annuelles de sensibilisation et d’information sur le boycott de produits israéliens, levant un sujet tabou au Maroc jusqu’à la normalisation avec Israël en 2020 : la préexistence de liens commerciaux israélo-marocains développés depuis les années 1990. Ils se traduisaient par une balance excédentaire en faveur d’Israël, qui exportait principalement des produits médicamenteux, alimentaires et des intrants agricoles.

Opposé à toute forme de normalisation avec Israël dans un contexte de statu quo de la question palestinienne, Sion Assidon est à l’initiative du premier rassemblement, avenue Mohamed-V, contre les accords d’Abraham, le 11 décembre 2020, au lendemain de leur signature. L’artère qui dessert le Parlement étant quadrillée par les forces de l’ordre, il est rapidement arrêté et brutalisé.

Le Sahara occidental, « cause nationale sacrée »

« Ces actions [de la police] servent deux objectifs : créer un climat dissuasif à l’expression publique du refus de la normalisation et rassurer les 200 000 touristes israéliens escomptés », nous expliquait Sion Assidon lors d’un entretien en 2024.

Il rappelle que « l’ensemble des partis politiques » était pour la libération du Sahara de l’occupation espagnole. « Les autorités marocaines en ont fait une stratégie politique en faveur de la consolidation du régime de Hassan II, affaibli par les tentatives de coup d’État émanant de l’opposition de la gauche et de l’armée. »

Les accords d’Abraham, sous l’égide de l’administration Trump I, ont permis de manière transactionnelle une avancée considérable dans le dossier du Sahara occidental, déclaré « cause nationale sacrée » au Maroc. La puissance américaine reconnaît alors la souveraineté du royaume sur cette ancienne colonie espagnole considérée comme un territoire non autonome par l’Organisation des Nations unies (ONU), en échange de l’établissement de relations officielles avec Israël. Mais « le conflit du Sahara occidental est à résoudre localement, entre le Maroc, l’Algérie et le Front Polisario. La coopération militaro-sécuritaire entre le Maroc et Israël envenime les rapports maghrébins », clamait l’activiste.

Récit lissé et stratégies d’influence

Depuis la signature des accords d’Abraham en 2020, la normalisation avec Tel-Aviv, présentée comme un vecteur de prospérité et de stabilité régionale par l’administration Trump, s’est accompagnée d’une coopération bilatérale tous azimuts, incluant les domaines sécuritaires et technologiques, avec la signature, un an après, d’un accord de coopération sécuritaire.

L’officialisation des liens israélo-marocains a détonné avec la posture officielle du Maroc, qui conditionnait jusque-là la reconnaissance d’Israël à son retrait des Territoires palestiniens occupés, en lien avec la position de la Ligue arabe, réaffirmée en 20011.

Sion Assidon soulignait toutefois que dans les faits :

La normalisation a pris forme en 1961, au début du règne du roi Hassan II, quand, contrairement au roi Mohamed V, il donna feu vert à l’exode des juifs marocains vers Israël. Des agents marocains ont concouru à l’opération « Yakhin » d’émigration clandestine2 et un premier rapprochement est effectué entre les intelligentsias marocaine et israélienne à cette époque.

Les accords d’Abraham sont présentés comme le moyen de renouer les liens spéciaux du Maroc avec les 700 000 Israéliens d’origine marocaine. Ainsi, la coexistence judéo-marocaine, via un récit lissé des rapports entre juifs et musulmans, sert de narratif pour conférer une dimension affective et culturelle aux relations avec Israël. Interrogé sur ces stratégies d’influence de l’opinion publique marocaine, Sion Assidon répondait :

Elles visent effectivement à changer les représentations négatives des Marocains sur les Israéliens, jusque-là assimilés à l’occupation et aux crimes de guerre contre les Palestiniens. Elles constituent un écran aux causes véritables de l’émigration juive marocaine, parmi elles, l’acculturation des communautés juives urbaines, les discours messianiques des agents israéliens dans les campagnes et la participation des pouvoirs marocains.

Un militant infatigable

Sion Assidon, le juif arabe, aimait à parler de communautés juives marocaines au pluriel, pointant leur diversité, aussi bien sociale que culturelle. Antisioniste, il dénonçait l’amalgame entre antisionisme et antisémitisme, ainsi que l’instrumentalisation antisémite de la question palestinienne.

La société civile marocaine déplore la perte du « militant infatigable », de tous les rassemblements en faveur de la Palestine, contre le génocide à Gaza et la normalisation avec Israël, reconnaissable à son fez rouge et son keffieh. Profondément optimiste, il célébrait les petites victoires et gardait l’espoir d’un développement positif de la lutte palestinienne. À ses obsèques le 9 novembre, au cimetière juif de Hay Mohammedi à Casablanca, un drapeau palestinien l’a accompagné jusqu’à sa sépulture.

Lui, qui prenait garde à ce que le qualificatif de « juif » ne serve à le distinguer de ses compagnons de lutte, s’inscrit dans la lignée de figures, ces militants communistes et juifs marocains, ayant marqué par leur engagement les luttes antisionistes au Maroc : Abraham Sarfaty, Simon Lévy et Edmond Amran El-Maleh. En opposition avec ses compatriotes aveugles soutiens d’Israël, de la colonisation et des crimes de guerre, il représente, selon les mots de la réalisatrice Simone Bitton dans l’hommage ému qu’elle lui rend sur son compte social, « l’honneur des juifs marocains ».

1Le Conseil de la Ligue est réuni à la suite d’un raid aérien israélien le 16 avril 2001 contre des positions de l’armée syrienne au Liban.

2Commencée dans le plus grand secret en 1956, accélérée entre 1961 et 1964, l’émigration de près de 100 000 Juifs du Maroc vers Israël est organisée par le Royaume, financée par l’Agence juive et le Mossad.

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