Pour les familles des détenus syriens, le combat pour la liberté continue

Depuis septembre 2012, le mari et le fils de Fadwa Mahmoud, arrêtés à Damas, sont portés disparus, comme plus de 100 000 Syriens. En livrant bataille à Idlib, le régime de Bachar Al-Assad espère anéantir toute opposition. Mais les familles des disparus n’ont pas l’intention de se taire et se battent pour obtenir leur libération ou des informations sur leur sort.

Manifestation de Families for Freedom, Berlin, 2017. Fadwa Mahmoud est au premier rang, 2e à partir de la gauche

C’est avec horreur que nous regardons le régime syrien et ses alliés lâcher leur immense puissance de feu sur la province d’Idlib, dernier point de résistance de la rébellion armée.

Presque un million de civils — hommes, femmes et enfants — sont en fuite. Les négociations internationales sont bloquées, alors que la Russie continue à se battre pour une victoire militaire totale de Damas. Mais pour moi et pour des millions d’autres Syriens, la guerre ne s’arrêtera pas ici, quelle que soit l’issue de cette bataille sans merci. Je continuerai à me battre, à affronter plus fort que moi pour la liberté de la Syrie. Ma vie et celle de ma famille en dépendent.

En 1992, bien avant le début de la révolution, le régime de Hafez, le père de Bachar Al-Assad, m’a emprisonnée en raison de mes opinions dissidentes. À cette époque-là, mon mari, Abdel Aziz Al-Khayyer, médecin, militant pacifiste et de gauche, avait déjà été arrêté. Je fus libérée en 1994. Abdel Aziz, qui s’est battu toute sa vie pour la démocratie et la liberté, dut attendre 2005, après quatorze années passées en prison.

Mais cela ne l’a pas arrêté.

Lorsque la révolution a débuté en 2011, il s’est joint aux jeunes militants qui osaient rêver d’un meilleur avenir pour notre pays. Il croyait en une révolte pacifiste ainsi qu’en la démocratie pour la Syrie. Dans ce but, Abdel Aziz avait organisé une conférence visant à regrouper à Damas les groupes d’opposants partisans d’une solution politique pour la Syrie sans intervention étrangère. Mais le 20 septembre 2012, il fut à nouveau arrêté, cette fois-ci avec Maher, l’un de nos deux fils, juste avant le début de la conférence. Abdel Aziz venait de rentrer d’un court séjour à l’étranger et j’avais envoyé Maher le chercher à l’aéroport international de Damas.

Je n’ai plus jamais eu de leurs nouvelles. Les autorités ont nié à maintes reprises être derrière leur disparition, mais je savais que le régime n’avait aucunement l’intention de laisser mon mari continuer à travailler pour une solution négociée. Bachar Al-Assad savait que la seule façon pour lui de l’emporter était de transformer la rébellion en guerre.

Des centaines de nouvelles disparitions

Depuis lors, ma vie est un combat permanent. Mes amis me disent que je suis une femme forte, que ma résistance et ma volonté les impressionnent. J’aime rire, j’aime recevoir des invités chez moi. Je leur dis que je n’ai pas le choix : je ne renoncerai jamais à la vie, à ma famille, ni au combat pour la liberté de tous les détenus de Syrie.

Tout comme Maher, qui vient d’avoir 39 ans, et Abdel Aziz, le régime d’Assad a fait disparaître de force plus de 100 000 personnes au cours des 9 dernières années. Les arrestations n’ont jamais cessé. Dans les régions retombées sous le contrôle du régime par sa politique de terre brûlée, le nombre de disparus s’est accru de plusieurs centaines ces derniers mois, y compris chez des personnes ayant signé des accords de reddition avec les autorités alors qu’elles n’avaient jamais touché à une arme. Le régime et ses alliés ont enfreint toutes les lois de la guerre afin de détruire le mouvement révolutionnaire opposé à la dictature de Bachar Al-Assad. Hormis quelques lueurs d’espoir avec les rares affaires dont se sont saisis certains tribunaux européens, la communauté internationale est restée inerte ou s’est montrée complice de ces violations.

Mais tout comme mon bien-aimé Abdel Aziz, j’ai encore foi dans un monde où une justice pour tous serait possible et où l’impunité cesserait. Je suis convaincue que le système de détention de masse, de torture et d’exécutions sommaires qui caractérise le régime d’Assad pourra, un jour, être démantelé. Les spécialistes de la Syrie savent que très peu de détenus sont sortis des prisons du pays sans avoir été brutalement battus, électrocutés et affamés. Beaucoup, hommes et femmes, ont été violés dans les infâmes prisons du régime et de ses sinistres services de sécurité. La détention en Syrie n’a pas seulement pour but d’obtenir ou d’arracher des informations ; elle vise surtout à punir les victimes et terroriser leurs familles afin qu’elles gardent le silence.

C’est ici que le régime a tout faux. Assad pense qu’en détruisant la rébellion à Idlib, la guerre prendra fin et que les Syriens vivant encore dans leur pays se rendront à coup sûr. Mais une mère peut-elle oublier son fils détenu ? Un frère peut-il oublier sa sœur ? Les familles syriennes peuvent-elles vivre en paix si elles sont brisées ?

Le combat de Families for Freedom

C’est parce que je ne suis pas seule dans mon combat qu’en février 2017, j’ai contribué à la création de Families For Freedom, un mouvement dirigé par des femmes syriennes se battant pour la justice et la liberté des êtres qui leur sont chers. Dans nos rangs se trouvent des mères et des sœurs d’hommes et de femmes détenus par le régime.

Certains membres du mouvement ont vu des proches se faire enlever par l’organisation de l’État islamique. Lorsque le groupe djihadiste a été vaincu militairement, il n’y a eu que peu ou pas d’efforts pour traduire en justice ses anciens combattants, ou pour tenter de découvrir ce qui est arrivé aux milliers de personnes qu’ils ont fait disparaître ou tuer. Nous comptons aussi des femmes qui nous ont rejoints après l’enlèvement de membres de leurs familles par d’autres groupes armés. Nous travaillons ensemble, car notre combat pour ces êtres chers est commun, quels que soient les responsables de toutes ces disparitions.

Tout au long de ces années d’oppression, le régime a inculqué en Syrie une culture de pouvoir absolu que ses rivaux ont imitée. Nous ne laisserons jamais le régime ni n’importe quel autre groupe armé nous empêcher d’agir, car notre amour pour les disparus est trop fort pour que nous renoncions. Pour la Syrie, il n’y aura pas de retour au statu quo ante, quel que soit le niveau de brutalité du régime et de son allié russe sur les fronts militaire et politique. Les blessures de très nombreux Syriens sont beaucoup trop profondes pour qu’ils acceptent de garder le silence.

Pour moi, ainsi que pour des millions d’autres comme moi, il n’y aura pas de répit tant qu’Abdel Aziz, Maher, et les autres disparus n’auront pas été libérés.

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