Pourquoi le Qatar est-il la cible d’une offensive de ses voisins du Golfe ?

© Hélène Aldeguer, 2018

Dans la nuit de mardi 23 à mercredi 24 mai 2017, l’agence de presse du Qatar QNA publiait sur son site Internet un communiqué signé de l’émir Tamim ben Hamad Al-Thani. Celui-ci mettait en cause ses voisins, notamment l’Arabie saoudite, accusée de comploter contre l’émirat. Dans la foulée, le 5 juin, l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis (EAU), le Bahreïn et l’Égypte annonçaient une série de mesures contre le Qatar : retrait de leurs ambassadeurs à Doha, embargo sur les relations commerciales, refus du survol de leur territoire par les avions de l’émirat, etc. Simultanément, ils déclenchaient une formidable campagne médiatique contre ce pays. Ils avançaient aussi une liste de treize conditions auquel devait se soumettre l’émirat, notamment la réduction des relations avec l’Iran, la fermeture de la chaîne Al-Jazira et d’autres médias, la fermeture la base militaire turque en cours de construction, et la rupture des liens avec des organisations « terroristes », notamment les Frères musulmans et le Hezbollah. Ces demandes ont été rejetées par Doha.

On sait aujourd’hui que l’agence QNA a été piratée, le plus probablement par les services de renseignement des EAU, et que les textes mis en ligne étaient des faux. Il ne s’agissait donc que de créer un prétexte pour engager une épreuve de force contre le Qatar. Pourquoi ?

Des États historiquement divisés

Pour le comprendre, il faut revenir à l’histoire de la péninsule Arabique. À l’exception de l’Arabie saoudite, née en 1932, la région a longtemps vécu sous domination britannique. La décision de Londres de retirer ses troupes basées à l’est du canal de Suez à partir de 1970 a accéléré l’accession à l’indépendance de petits émirats, regroupés dans une fédération des Émirats arabes unis qui compte sept membres1. Mais le Bahreïn et le Qatar ont refusé de s’y joindre, et Oman comme le Koweït ont acquis aussi leur indépendance.

En 1982, à la suite de la révolution en Iran, se crée le Conseil de coopération du Golfe (CCG) qui regroupe l’Arabie saoudite, les EAU, le Qatar, Bahreïn, le Koweït et Oman.

Malgré leurs nombreux points communs (régimes autoritaires, alliance avec l’Occident et en premier lieu les États-Unis, dépendance à l’égard de la main d’œuvre étrangère, rôle central du pétrole et du gaz dans leur économie), malgré leurs tentatives de coordonner leurs politiques au sein du CCG, ces États sont toujours restés divisés. Ils se sont même affrontés dans des « guerres de frontières » et n’ont pas toujours réussi à définir une stratégie commune face au grand voisin qu’est l’Iran. D’autre part, les petits émirats craignent les tendances hégémoniques de l’Arabie saoudite.

Le Qatar fait cavalier seul

Dans ce contexte, le Qatar a connu une évolution particulière. Le 27 juin 1995, profitant d’un voyage de son père à l’étranger, le prince héritier Hamad Ibn Khalifa s’empare du pouvoir. Il lance un vaste programme de développement s’appuyant sur d’immenses richesses gazières. Le gouvernement favorise la création en 1996 de la télévision satellitaire Al-Jazira, au ton très libre, massivement regardée dans le monde arabe, mais qui suscite des tensions avec les voisins. L’alliance avec les États-Unis reste prioritaire — le Qatar abrite depuis 2003 un quartier général avancé de l’United States Central Command (Centcom), le commandement général des forces américaines pour toute la zone —, mais le pays n’hésite pas à nouer des relations à la fois avec Israël et l’Iran, la Syrie ou le Hezbollah.

Les révolutions arabes de 2010-2011 vont propulser l’émirat sur la scène régionale, l’émir appuyant les processus de transformation, contrairement à l’Arabie saoudite. Il soutient notamment les Frères musulmans, qui remportent les élections en Égypte et en Tunisie. Mais, à la chute du président Mohamed Morsi en Égypte en juillet 2013, il adopte un profil plus discret avec l’abdication de l’émir en 2013 au profit de son fils Tamim.

Une sortie de crise encore très lointaine

Une première crise avec l’Arabie en 2013-2014 est résolue, mais l’accession au poste de prince héritier de l’Arabie saoudite de Mohamed Ben Salman en 2015, son rôle croissant dans la politique saoudienne aboutissent à la nouvelle offensive de l’été 2017. Neuf mois plus tard, et même si l’embargo a un coût économique, l’émirat a réussi à éviter l’isolement international. Les États-Unis, dans un premier temps favorables à l’Arabie ont fait marche arrière et appellent, comme l’Union européenne, à la levée de l’embargo. Le Qatar a bénéficié de l’appui de l’Iran et de la Turquie, et la télévision Al-Jazira, qui avait atténué ses critiques contre ses voisins après 2014 a repris son ton mordant.

Cependant, la sortie de crise semble très lointaine, malgré les médiations du Koweït (et aussi d’Oman), et les divisions dans la péninsule Arabique contribuent à la déstabilisation du Proche-Orient déjà enflammé par les guerres de Syrie, d’Irak et du Yémen.

1Abou Dhabi, Dubaï, Sharja, Ras al-Khaïma, Oum al-Qaiwain, Ajman et Fujaira.

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