Golfe Persique, Arabique ou Arabo-Persique ? Bordée par six pays de la péninsule Arabique (Koweït, Arabie saoudite, Bahreïn, Qatar, Émirats arabes unis et Oman, par le gouvernorat de Moussandam), l’Irak et l’Iran, cette mer fermée contient 60 % des réserves pétrolières mondiales et 40 % de celles en gaz. Sa faible profondeur, estimée entre 50 et 100 mètres, facilite l’extraction d’hydrocarbures.
Relié à l’océan Indien par le détroit d’Ormuz, ce golfe a formé un point de passage et de communication crucial pour les civilisations arabe, perse, européenne et asiatique. Mais il suscite bien des polémiques quant à sa désignation. Pour les monarchies de la péninsule Arabique et l’Irak, il est définitivement arabe : n’était-il pas nommé « golfe de Bassora » du temps de l’empire ottoman ? Mais pour l’Iran, il est incontestablement khalij-e fars, le golfe Persique, en témoignage des empires implantés depuis des millénaires sur ses rives, des Achéménides jusqu’aux Safavides.
L’enjeu du détroit d’Ormuz
Ces querelles sémantiques remontent aux années 1950 et au nationalisme arabe. Elles atteignent leur apogée au moment des indépendances des provinces de la péninsule rétrocédées par l’empire britannique dans les années 1970. Mais derrière ce débat se cachent en réalité des enjeux territoriaux.
En effet, du côté arabe, penser ce golfe comme étant « persique » revient à reconnaître une souveraineté de l’Iran sur cet espace, et réveille de vieilles animosités. Celles-ci concernent l’archipel du Bahreïn, considéré par la puissance chiite jusqu’à la fin des années 1960 comme sa 14e province (le Bahreïn refusera en 1971 de reconnaitre la souveraineté de l’Iran sur son territoire), mais surtout les îles de Grande et Petite Tomb et d’Abou-Moussa, toutes les trois proches du détroit d’Ormuz.
Si les deux premières îles – que l’Iran a envahies le 30 novembre 1971 — ne sont que peu habitées, celle d’Abou-Moussa accueille aussi bien des Iraniens que des Émiratis. Elle fut donnée à l’Iran par la Couronne britannique à la suite d’un accord conclu à cette même date – soit deux jours avant l’indépendance des Émirats arabes unis — avec l’émirat de Sharjah, qui reconnaissait la souveraineté de Téhéran sur l’île à condition que les droits des Émiratis qui y étaient établis soient préservés. Pour autant, l’Iran annexe petit à petit la partie sud de l’îlot, sur lequel les Émirats arabes unis ne cessent depuis de revendiquer leur souveraineté. Or ces îles, désormais pleinement rattachées à l’Iran, constituent un point stratégique militaire et de navigation pour le contrôle du détroit d’Ormuz, par lequel passent quotidiennement 40 % de la production mondiale de pétrole. En 2019, le chef des Gardiens de la révolution a déclaré lors d’une visite à Abou-Moussa que l’île était « le cœur battant de l’Iran au milieu des eaux du Golfe ».
D’autre part, une commission d’experts des Nations unies composée de géologues, d’archéologues, de géographes et d’historiens a épluché en 2006 plus de 6 000 cartes et en a conclu1 que le nom de « golfe de Bassora » n’apparait historiquement que trois fois. De même, celui de « golfe Arabique » ne désigne pas la mer séparant l’Iran de la péninsule Arabique, mais se référait plutôt, historiquement, à la mer Rouge, si l’on en croit le géographe et historien grec Hérodote. Ainsi, le terme « golfe Persique » est historiquement l’appellation la plus utilisée, même par des géographes médiévistes arabes.
Dans une optique de compromis diplomatique, le choix de « golfe Arabo-Persique » permet de concilier les revendications, et contribue à établir un équilibre fragile dans une région sous haute tension.
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1Historical, Geographical and Legal Validity of the Name : Persian Gulf, Working Paper No. 61, United Nations Group of Experts on Geographical Names, United Nations, 2006.