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Négociations syriennes à Genève : un processus d’usure

Le 15 février, mettant fin à des rencontres stériles, le médiateur des Nations unies Lakhdar Brahimi a invité les délégations de l’opposition syrienne et du régime de Damas à rejoindre leurs bases pour consultation. Il ne leur a fixé aucun rendez-vous pour de prochaines réunions. Si tant est qu’une comparaison puisse être faite, cette seconde série de rencontres a été encore moins productive que la première, à laquelle on avait bien voulu attribuer une demi-réussite humanitaire dans Homs.

L'image montre un bâtiment imposant, probablement un palais ou un bâtiment gouvernemental, situé à Genève. À l'avant-plan, on aperçoit une petite structure rouge portant le mot "Paix". En arrière-plan, on distingue des véhicules de télévision et des tentes, indiquant qu'un événement ou une conférence pourrait avoir lieu. Le cadre est agrémenté d'arbres, suggérant un espace extérieur agréable.
Dans le parc des Nations unies à Genève.

Pour qui cherche encore à caractériser les rencontres syriennes de Genève, les termes de « négociations » et de « discussions » ne sont pas adéquats. Mieux vaut parler de prises de position unilatérales et inconciliables visant, les unes et les autres, à imposer un cadre conceptuel de discussion. En réalité, on cessera de dresser la liste des échecs des rencontres de Genève lorsqu’on admettra qu’elles ne visent, pour le moment, qu’à convaincre les deux parties de s’accepter l’une l’autre et d’admettre que leur dialogue à venir est de nature à réduire les violences. Poser les tout premiers jalons d’une Syrie nouvelle, comme l’envisage le communiqué de juin 2012, suppose un début de vision commune que les délégations ne possèdent pas encore.

Les « violons d’Ingres » des délégations

Aucune des deux délégations ne s’est écartée de son ordre de mission. Elles n’étaient pas venues pour négocier mais pour imposer leur agenda. Le régime a exigé que la lutte contre le « terrorisme » soit la priorité des priorités, sinon la seule. L’opposition a réclamé la mise en place d’une « instance provisoire de gouvernement » qui avait le mérite d’être inscrite depuis juin 2012 dans un plan de travail internationalement reconnu1 mais l’inconvénient de sous-entendre la mise à l’écart du président Bachar Al-Assad, condition inacceptable par le régime. L’opposition avait pourtant pris soin de présenter un document de travail qui éludait le sort d’Assad et n’exigeait pas sa mise à l’écart. Hors sujet, a tout de même dit le régime2. Les deux parties ont donc campé sur leurs positions, concentrées sur leurs « violons d’Ingres »3, selon l’expression de Brahimi dans sa conférence de presse4. Elles se sont séparées sans vraie discussion et naturellement sans avoir rien concédé.

Brahimi n’a donné satisfaction ni aux uns ni aux autres mais il a offert de consacrer du temps à leurs exigences respectives lors des prochaines rencontres. Un premier jour serait consacré aux violences et au terrorisme, un second jour à l’instance de gouvernement provisoire. La délégation de Damas a refusé, considérant qu’il serait contre-productif de traiter en parallèle la transition politique et le terrorisme. Elle n’aborderait la transition politique que lorsque des « avancées » auraient été constatées sur la question du « terrorisme ». Moscou a ultérieurement confirmé que ces avancées n’étaient rien d’autre que la collaboration entre Damas et l’opposition démocratique pour lutter contre le terrorisme djihadiste5. Brahimi prétend n’avoir pas renoncé malgré cet insuccès. Il reviendrait chercher les conditions nécessaires à un début de dialogue. À l’écoute des parties, privilégiant des thèmes apparemment susceptibles de rencontrer le moins d’opposition possible, il poursuivrait sa quête « pour dégager les harmonies cachées sous des oppositions apparentes afin d’obtenir une résultante » (Richelieu). Mais ses excuses au peuple syrien pour l’inanité de ses efforts et ses reproches au régime d’Assad, les premiers, sonnent déjà comme le requiem de son action diplomatique. En tout état de cause, l’ordre du jour de prochaines rencontres comprendrait le terrorisme, la transition politique, la réconciliation nationale et le dialogue national, autant de thèmes dont l’agencement est encore introuvable.

Plan B ou options diverses ?

L’expression « plan B » appartient depuis quelques décennies au vocabulaire diplomatique. Mais elle ne désigne quasiment plus l’alternative à un plan principal qui n’aurait pas produit les effets escomptés. Elle agit plutôt comme une menace. Lancer « qu’il n’y a pas de plan B » est un avertissement adressé à tout négociateur pour lui signifier que son intérêt est de trouver une solution parce qu’il n’y aura pas de séance de rattrapage. C’est très exactement ce qui se dit à Washington, Moscou ou dans les capitales arabes à propos de Genève II. Mais dire qu’il n’y a pas de plan B n’interdit pas d’imaginer la suite.

Le vide constaté à Genève donne du champ à ceux qui jugent que la voie diplomatique n’est pas pertinente. Surtout, il revigore les interventionnistes américains toujours enragés par l’inaction supposée de Barack Obama. Le président ne leur a rien concédé mais il vient de faire montre d’une subtile inflexion politique, sans qu’il soit encore possible d’en délimiter les contours. S’il continue d’affirmer qu’il n’y a pas de solution militaire en Syrie, il distille quelque chose de nouveau lorsqu’il indique être prêt à prendre des « mesures pour faire pression sur le régime d’Assad »6. Évoquait-t-il une résolution sur la situation humanitaire au Conseil de sécurité que ni la Russie ni la Chine ne pourraient rejeter et qui contraindrait Damas ? De fait, le 22 février, la résolution 2139 a été votée à l’unanimité des quinze membres du Conseil de sécurité (moins contraignante à l’égard de Damas que certains l’auraient souhaité, elle demande tout de même au régime d’autoriser la liberté de circulation des agences humanitaires et de cesser de larguer des barils d’explosif à partir d’hélicoptères).7 ? Prépare-t-il une coalition audacieuse pour créer les conditions qui permettraient à des évolutions positives de se développer selon leur propre rythme, c’est-à-dire sans qu’il soit nécessaire aux États-Unis d’intervenir ? Depuis la Chine, le secrétaire d’État John Kerry en rajoute en affirmant qu’il est temps de rechercher une « réponse appropriée ». Le Pentagone n’est pas en reste : il conclut qu’il existe un « intérêt » pour « d’autres options »8.

Derrière ces déclarations imprécises, beaucoup ont voulu voir l’avant-goût d’une prochaine initiative miliaire. La Maison blanche a aussitôt joué la modération mais a pris soin de rappeler que les États-Unis disposaient de capacités militaires en Méditerranée9 et qu’il existait une « large gamme d’options » pour répondre aux frustrations ressenties à Genève. Du coup, elle rallumait un débat qu’elle feignait de vouloir éteindre, celui de la « militarisation » de l’opposition10 et, du même coup, de l’incapacité prêtée à Obama de faire face au conflit en Syrie par des moyens militaires. Coutumier du fait, le sénateur républicain John McCain s’est engouffré dans la brèche. Affirmant être encouragé par les propos du président, il a demandé la mise en œuvre « d’options » (forcément militaires) qui, tout en étant « très en-deçà » de ce qui a été fait pour l’Irak, devraient permettre d’inverser le rapport des forces11. Ce faisant, il revient sur l’idée que les États-Unis ont la responsabilité d’intervenir pour régler les affaires du monde, doctrine politique dans laquelle le président américain, conscient des évolutions de l’ordre mondial, ne souhaite puiser qu’avec modération.

Le sursaut de l’Arabie saoudite

Riyad vient de donner quelques gages de son retour public sur le dossier syrien qui ne peuvent que satisfaire les interventionnistes américains, arabes et européens. L’Arabie saoudite s’apprêterait à doter l’opposition de missiles anti-aériens portables et de missiles antichars de manière à inverser le rapport des forces avec le régime. Le Pakistan est l’un des pays approchés par le royaume pour obtenir ce type d’armements. La décision aurait été prise fin janvier. Elle réjouira ceux qui considèrent que la voie militaire est la seule qui puisse amener Assad à composition. Washington n’aurait pas donné son feu vert mais participerait à l’effort de guerre en payant les salaires de l’opposition armée. Plus nombreux sont ceux qui espèrent des dernières évolutions saoudiennes. Le remplacement sur le dossier syrien du Prince Bandar bin Sultan par le ministre de l’intérieur, Prince Mohammed ben Nayef, est interprété comme la volonté de mieux se coordonner avec les services de contreterrorisme américains. Le royaume vient de rendre un décret au terme duquel il interdit aux Saoudiens de rejoindre les rangs des djihadistes en Syrie, délit punissable jusqu’à vingt années d’emprisonnement12. Si elle est appliquée, cette décision marquera un tournant dans un pays qui a longtemps fermé les yeux sur les départs de ses combattants vers l’Afghanistan, la Bosnie, l’Irak ou la Syrie. Depuis Ankara, l’ambassadeur saoudien a annoncé que des facilités seraient accordées aux combattants saoudiens qui reviendraient dans le royaume. Il n’y a pas meilleure manière de préparer la venue d’Obama à Riyad, en mars, que de lui indiquer que la Syrie est une question de sécurité nationale tant pour les États-Unis que pour le royaume13. Mais peut-être que ces mesures ont été prises à la demande de Washington. Si tel est le cas, nul doute que le roi Abdallah demandera au président américain, en échange, une plus grande implication sur le dossier syrien.

Peut-on imaginer pour autant un nouveau réajustement de la diplomatie américaine à l’égard de la Syrie ? C’est douteux. Sous réserve d’évolutions ultérieures, Washington continue d’intégrer la perspective de voir Assad rester au pouvoir. Les montages diplomatiques actuels, y compris Genève II, tiennent compte de cette donnée.

Une chose est certaine : la perception de la menace que représentent les combattants djihadistes en Syrie s’uniformise à Washington, Moscou, en Europe, Damas, Ankara, Bagdad, Riyad, Amman, Beyrouth et même à Téhéran14. Cette perception n’entraînera pas pour autant un effort concerté mais le fantasme d’une action internationale contre les djihadistes joue à plein. Il est d’ailleurs étonnant de constater que les avancées de l’armée syrienne sont beaucoup moins médiatisées que par le passé comme s’il était acquis que son action finira par servir les intérêts sécuritaires occidentaux et arabes. Dans cette logique, des consultations entre certaines capitales sur la présence djihadiste en Syrie et dans la région ne sont pas impossibles.

La militarisation du conflit gardera ses défenseurs mais la diplomatie engagée à Genève trouverait à mieux s’exprimer si certains États acceptaient de prendre langue, ce qui implique que les relations entre Washington et Moscou trouvent un meilleur équilibre et que l’Iran soit impliqué dans le processus de Genève.

1Communiqué de Genève du 30 juin 2012.

2«  Opposition Outlines Plans for a Future Syria  »  », The New York Times, 9 février 2014.

3L’expression anglaise «  pet subjects  » utilisée par Lakhdar Brahimi peut signifier violon d’Ingres, passe-temps, hobby, sujet de prédilection, etc.

4Lakhdar Brahimi, «  UN Web Conference  », 15 février 2014.

5Anne Barnard, «  Russia Tells Syrian Opposition to Join Fight Against « Terrorism »  »  », The New York Times, 14 février 2014.

7United Nations Security Council Resolution 2139 (Syria - humanitarian assistance), 22 février 2014. Laisse-t-il entendre qu’il pourrait décider d’un geste militaire, même symbolique, ne serait-ce que pour cajoler un électorat rétif à quelques mois des élections de novembre[[En novembre 2014 se tiendra le scrutin de mi-mandat. L’ensemble de la Chambre des représentants et un tiers du Sénat — 36 sièges sur 100 — doivent être renouvelés.

8Rear Admiral Kirby, Briefing, US Department of Defense, Pentagon, 14 février 2014.

9Les capacités américaines dans la région comportent notamment des batteries de missiles patriotes en Turquie et en Jordanie, des avions de combat F-16 en Jordanie et deux navires destroyers en Méditerranée.

10Par «  militarisation  », il faut entendre : attribution d’un armement aux opposants démocrates par des pays occidentaux et/ou arabes, dans des proportions susceptibles d’inverser le rapport des forces entre opposition et régime, soit pour amener ce dernier à négocier, soit pour contribuer à sa défaite militaire.

12Angus McDowall, «  Islamist threat at home forces Saudi rethink on Syria  », Reuters, 11 février 2014.

14Alireza Miryousefi, «  Iran calls for end to foreign support for extremist groups in Syria  », Al-Monitor, 14 février 2014.

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