À Washington, ceux qui croient à une négociation avec Téhéran

L’arraisonnement d’un tanker britannique par la marine iranienne, la destruction d’un drone iranien par la marine américaine, sont les derniers signes de la tension grandissante dans le Golfe. Mais certains, à Washington, pensent que cette escalade sert de prélude à des négociations.

C’est reparti avec la guerre des pétroliers. Le 10 juillet, un navire iranien aurait tenté, selon les autorités américaines, d’arraisonner un tanker britannique, le British Heritage, dans le si stratégique détroit d’Ormuz. L’évènement fait suite à une série d’attaques dans les mêmes eaux et en mer d’Oman les 12 mai et 13 juin. Et voilà que le 16 juillet, des responsables américains de la défense affirment qu’un pétrolier panaméen basé aux Émirats arabes unis aurait disparu dans le détroit d’Ormuz. Faut-il y voir les prémices d’un conflit armé ? D’une escalade militaire ?

À Washington, beaucoup d’experts de l’Iran veulent plutôt y voir un signe avant-coureur des négociations que Donald Trump appelle de ses vœux et de celles auxquelles l’Iran pourrait devoir se plier, malgré le refus catégorique pour l’heure du Guide suprême de la Révolution islamique Ali Khamenei. Bref, rien à voir avec la « guerre des tankers » du terrible conflit Iran-Irak (1980-1988).

En cet été 2019, tout est dans les messages adressés, selon Firas Modad, directeur « risque pays » Moyen-Orient et Afrique du Nord chez IHS Markit. « Pas de doute, ce sont les Iraniens qui ont mené les attaques des 12 mai et 13 juin. Mais cela a été fait en prenant soin qu’aucune preuve ne puisse être établie. Ils ont voulu dire qu’ils ne se laisseront pas étouffer économiquement sans faire courir de gros risques au marché du pétrole. L’Iran ne réagirait pas ainsi si les sanctions n’étaient pas aussi efficaces. Ils n’attaqueraient pas les pétroliers, ne prendraient pas des risques aussi élevés ». Malgré tout, « ces opérations très risquées représentent un changement majeur dans l’approche des Iraniens. Il y a deux mois, ils étaient passifs, et patients. Maintenant, ils sont actifs », note Henry Rome, spécialiste Iran et Moyen-Orient de la société de consulting EurasiaGroup.

Les prix du pétrole ne flambent pas !

Les récentes attaques « anonymes » n’ont pas fait flamber les cours du pétrole, seulement ceux des assurances pour affréter les tankers. Toutefois, la menace est réelle, d’autant que les Iraniens ne se contentent pas d’envoyer des messages depuis le seul détroit d’Ormuz. « Depuis la guerre Iran-Irak, le régime iranien a la même ligne : si l’Iran ne peut écouler son brut, personne ne sortira le sien du golfe Arabo-Persique. Alireza Tangsiri, commandant de la marine du corps des Gardiens de la Révolution islamique vient de rappeler ce "principe », souligne Farzin Nadimi, du Washington Institute for Near East Policy (Winep), un centre de recherches proche du lobby pro-israélien. Et il ajoute : « C’est aussi pour cela que d’autres attaques se sont produites, comme celle au drone contre des stations de pompage à Afif et à l-Douwadimi, le long de l’oléoduc "est-ouest" qui passe au cœur de l’Arabie saoudite. Le signal est fort : l’oléoduc achemine 5 millions de barils par jour sur la centaine produite dans le monde vers les terminaux pétroliers de la mer Rouge. » L’attaque a d’abord été attribuée par Riyad aux houthistes, avant que les responsables américains n’évoquent fin juin des groupes irakiens liés à Téhéran.

Cette petite guerre a commencé peu après que l’administration Trump a annoncé qu’elle allait mettre fin aux waivers (dérogations) décidées lors de l’établissement des nouvelles sanctions américaines en novembre 2018. Huit pays bénéficiaient encore de la possibilité d’acheter du brut iranien sans s’exposer aux représailles de Washington. En avril 2018, Téhéran écoulait 2,5 millions de barils par jour sur les marchés mondiaux, nous n’en sommes plus qu’à 380 000. « Avec l’affaire des pétroliers, on comprend que les Iraniens savent qu’ils devront aller à la table des négociations, du fait des sanctions. Ce que fait actuellement le leadership iranien, c’est d’améliorer les conditions avant la négociation », estime Ilan Berman, de l’American Foreign Policy Council, un think tank conservateur de Washington.

Le précédent de Saddam Hussein

Le pétrole est bien le nerf de la guerre. « Les Iraniens formulent une demande claire pour pouvoir exporter 1,5 million de barils par jour. Pour eux ce serait une base raisonnable pour parler », croit savoir Firas Modad. Il semble en effet qu’à Téhéran l’idée de discuter avec « le Grand Satan » travaille certains, malgré la radicalité des douze préconditions pour conclure un nouvel accord sur le nucléaire iranien posées par le chef de la diplomatie américaine Mike Pompeo. « On me dit qu’il y a plein de gens en Iran qui seraient d’accord pour négocier avec Trump. Tant les sanctions font mal. Mais Khamenei leur dit de n’y pas penser, craignant un sort à la Kadhafi ou à la Saddam Hussein », explique Mohsen Sazegara, un des fondateurs du corps des Gardiens de la Révolution islamique en exil aux États-Unis. Mais il précise toutefois que «  la prise de conscience à Téhéran que Donald Trump a de fortes chances d’être réélu pourrait changer la donne ».

Ali Khamenei exclut certes de discuter avec Donald Trump. C’est ce qu’il a vertement fait savoir au premier ministre japonais Shinzo Abe venu à la mi-juin à Téhéran porteur d’un message de la Maison Blanche. Le Guide suprême estime n’avoir aucune garantie que le président américain tiendra parole, lui qui en mai 2018 a dénoncé unilatéralement le Plan d’action global commun conclu à Vienne le 14 juillet 2015. Le fait que Donald Trump ait renoncé à la dernière minute à des frappes après qu’un drone américain a été abattu le 20 juin 2019 par les forces iraniennes, par erreur semble-t-il (l’engin ne survolait pas alors le territoire iranien proprement dit), ne fait qu’encourager Téhéran à poursuivre sa politique de création de leviers de négociation et de marquage des lignes rouges.

Ce renoncement au raid a soulevé la colère des militaires sur fond de politique de pression maximale coutumière de l’homme d’affaires Trump, et promet un bras de fer qui pourrait durer. John Bolton, le conseiller à la sécurité nationale du président américain rêve pour sa part non d’une entente avec Téhéran, mais de renverser le régime, mais il pourrait devoir encore ronger son frein et se cantonner au rôle d’épouvantail que son patron a imaginé pour lui. « De son côté, l’Iran sait que le combat militaire serait perdu d’avance. Trump peut encore attendre, l’Iran aussi, mais pas beaucoup. Au fond, Téhéran n’est pas contre la discussion si on lui demande des choses raisonnables. Pas question de reconnaître Israël par exemple, le refus constituant une des bases idéologiques du régime. Mais Khamenei n’a jamais dit qu’il ne ferait pas certaines ouvertures vers les États-Unis », relève Alex Vatanka, du Middle East Institute.

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