« Aladdin », Hollywood et les stéréotypes... Peut mieux faire !

Avec sa nouvelle version d’Aladdin, Hollywood a voulu corriger les stéréotypes du film de 1992. Mais malgré des efforts, le résultat reste contestable.

Acclamé par la critique et par le public, le long métrage animé Aladdin de 1992 abusait sérieusement des stéréotypes. Walt Disney a voulu éviter de répéter ce problème dans sa nouvelle mouture, portant le même titre mais tournée avec des acteurs en chair et en os, sortie en France le 22 mai. La société a donc demandé l’aide d’un conseil communautaire composé d’universitaires, de militants et de créateurs du Proche-Orient, d’Asie du Sud et des États-Unis, musulmans ou non. On m’a demandé de faire partie du groupe en raison de mon expertise de la représentation des Arabes et des musulmans dans les médias américains.

Le fait qu’un grand studio souhaite recueillir l’avis de la communauté reflète l’engagement croissant d’Hollywood envers la diversité. Mais si le nouvel Aladdin réussit à rectifier certains aspects de la longue histoire d’Hollywood en matière de stéréotypes et de « blanchiment » des peuples du Proche-Orient, il laisse encore beaucoup à désirer.

Aladdin (2019) - Bande-annonce officielle (VF) I Disney - YouTube

Génies magiques et cheikhs lubriques

Dans L’orientalisme, son livre fondateur publié en 1978, le professeur de littérature Edward Said soutient que les cultures occidentales ont historiquement usé de stéréotypes sur le Proche-Orient afin de justifier leur contrôle de la région. À Hollywood, l’orientalisme a une longue histoire. Des films datant du début du cinéma tels que The Sheik de George Melford (1921) et Arabian Nights de John Rawlins (1942) dépeignent le Proche-Orient comme une terre fantastique et indifférenciée, un désert magique plein de génies, de tapis volants et d’hommes riches vivant dans des palais opulents avec leurs harems.

Rudolf Valentino dans The Sheik, 1921

Ces représentations étaient sans doute stupides et inoffensives, mais elles ont gommé les différences entre les différentes cultures du Proche-Orient, tout en donnant à voir une région arriérée que l’Occident devait civiliser. Viennent ensuite une série de conflits et de guerres : la guerre israélo-arabe de 1967, l’embargo pétrolier arabe de 1973, la crise des otages en Iran et la guerre du Golfe (1990-1991). Dans les médias américains, l’Orient exotique a disparu. Il a été remplacé par des images de violence et des terroristes menaçants.

Comme l’a fait remarquer Jack G. Shaheen1, universitaire spécialiste des médias, des centaines de films hollywoodiens ont au cours des cinquante dernières années associé l’islam à la guerre sainte et au terrorisme, tout en dépeignant les musulmans comme des « intrus étrangers hostiles » ou des « cheikhs libidineux rêvant d’utiliser l’arme nucléaire ».

Arabian Nights (Les Mille et une nuits), 1942

« C’est barbare, mais bon, c’est chez toi ! »

Dans ce contexte, l’orientalisme du dessin animé Aladdin de Disney en 1992 n’est pas si surprenant. Les paroles de la chanson d’ouverture décrivent un pays « où ils te coupent l’oreille s’ils n’aiment pas ta tête » et affirment : « C’est barbare, mais bon, c’est chez toi ! » Après la protestation de l’Arab Anti-Discrimination Committee, Disney a supprimé la référence aux oreilles coupées dans la version DVD, mais a laissé l’adjectif « barbare ».

Il y avait aussi la façon dont les personnages étaient représentés. Les méchants Arabes étaient laids et parlaient avec des accents étrangers, tandis que les gentils Arabes Aladdin et Jasmine possédaient des traits européens et s’exprimaient avec des accents américains blancs.

Le film s’inscrivait également dans la tradition d’effacement des distinctions entre les cultures du Proche-Orient. Par exemple, Jasmine est censée être originaire d’Agrabah (à l’origine, sa ville natale était Bagdad, mais on lui a donné un nom fictif à cause de la guerre du Golfe), mais son tigre apprivoisé s’appelle Rajah, un nom indien.

Aladdin 1992 (VF) - Bande Annonce - YouTube

Après le 11 septembre 2011

Après le 11 septembre 2001, une avalanche de films ont recyclé beaucoup de vieux clichés terroristes. Mais de façon étonnante, des représentations positives de personnages proche-orientaux et musulmans ont émergé. En 2012, j’ai publié mon livre Arabs and Muslims in the Media : Race and Representation after 9/11. J’y détaille les stratégies des écrivains et des producteurs pour lutter contre les stéréotypes après le 11-Septembre.

La plus répandue consistait à inclure un personnage patriotique issu du Proche-Orient, ou un Américain musulman, pour contrebalancer les personnages de terroristes. Dans la série télévisée Homeland, par exemple, Fara Sherazi, une analyste de la CIA irano-américaine et musulmane est tuée par un terroriste musulman, montrant ainsi que de « bons » Américains musulmans sont prêts à mourir pour les États-Unis. Mais cela n’a rien changé à la description des gens du Proche-Orient et des musulmans comme étant, dans l’ensemble, une menace pour l’Occident. L’ajout d’un « bon » personnage proche-oriental ne suffit pas à renverser les stéréotypes sur les musulmans, dont la grande majorité apparait encore dans le cadre de scénarios sur le terrorisme.

Homeland, saison 4, épisode 12 : Fara Sherazi et le terroriste Haqqani

Une autre stratégie a également émergé : revenir aux vieux clichés orientalistes du Proche-Orient exotique et romantique. Peut-être les écrivains et les producteurs ont-ils supposé que ce serait une amélioration par rapport à la vision d’une région associée au terrorisme. Par exemple, le film Hidalgo (Joe Johnston, 2004) raconte l’histoire d’un cow-boy américain qui se rend dans le désert arabe en 1891 pour participer à une course de chevaux. Dans une veine orientaliste classique, il sauve la fille du riche cheikh de son neveu maléfique et avide de pouvoir. Victoria & Abdul (Stephen Frears, 2017 dépeint l’improbable amitié entre la reine Victoria et son serviteur indien musulman, Abdul Karim. Si le film critique le racisme et l’islamophobie de l’Angleterre du XIXe siècle, il infantilise et « exotise » également Abdul.

Néanmoins, certains problèmes flagrants ont persisté. Jake Gyllenhaal a été choisi pour le rôle principal de Prince of Persia : les sables du temps (Mike Newell, 2010), tandis que Christian Bale et Joel Edgerton ont été choisis dans Exodus : Gods and Kings (Ridley Scott, 2014) pour interpréter des Égyptiens. Pourquoi des acteurs blancs ont-il été choisis pour ces rôles ? La réponse du réalisateur Ridley Scott a été très critiquée : s’il avait dit « mon acteur principal sera Mohamed untel de tel pays », il n’aurait pas pu financer le film.

Jake Gyllenhaal dans Prince of Persia (2010)

Gentils et méchants accents

Peut-être dans le désir d’éviter les erreurs du passé, les dirigeants de Disney ont demandé conseil à des consultants culturels comme moi. Il y a certainement des progrès notables dans cet Aladdin. C’est l’acteur égypto-canadien Mena Massoud qui joue Aladdin. Étant donné l’absence de comédiens d’origine proche-orientale dans des rôles principaux au cinéma, on ne saurait trop insister sur l’importance du casting de Massoud. Et bien que certains figurants blancs aient été maquillés pour paraître plus foncés de peau, Disney a choisi des acteurs d’origine proche-orientale dans la plupart des rôles principaux.

Le casting de l’actrice indo-britannique Naomi Scott dans le rôle de Jasmine a été critiqué ; beaucoup espéraient voir une actrice arabe ou proche-orientale dans ce rôle, et se demandaient si le choix d’une personne d’origine indienne ne renforcerait pas l’idée d’une « interchangeabilité orientale ». Toutefois le film précise bien que la mère de Jasmine vient d’un autre pays.

Le plus gros problème de cet Aladdin 2019, c’est qu’il perpétue la tendance au retour à un orientalisme magique. Comme s’il s’agissait d’une amélioration notable par rapport aux représentations de terroristes… En vérité, ce n’est pas vraiment une décision courageuse de troquer le racisme explicite contre un cliché exotique. Pour être juste, Aladdin se distingue de Hidalgo et des autres films orientalistes de cette tendance, car il ne tourne pas autour des expériences d’un protagoniste blanc. Cependant, une fois de plus, les personnages aux accents américains sont les « gentils » tandis que ceux aux accents non américains sont pour la plupart — mais pas entièrement — « méchants ». Et le public d’aujourd’hui aura autant de mal que celui de 1992, ou de 1921, d’ailleurs, à identifier des cultures variées du Proche-Orient au-delà de celle d’un « Orient » trop généralisé. Danse du ventre et danse bollywoodienne, turbans et keffiehs, accents iraniens et arabes apparaissent tous dans le film de façon interchangeable.

Au-delà des clichés

De la même façon qu’il ne sert pas à grand-chose d’insérer des détails positifs dans une histoire sur le terrorisme, il est vain de mettre des éléments positifs dans une histoire sur l’Orient exotique. Pour diversifier les représentations, il faut aller au-delà de ces clichés fatigués et élargir le genre des histoires qui sont racontées.

Aladdin, bien sûr, est un conte fantastique ; il peut donc sembler exagéré de questionner l’exactitude de la représentation. C’est aussi un film très amusant dans lequel Mena Massoud, Naomi Scott et Will Smith brillent dans leur rôle. Mais au cours du siècle dernier, Hollywood a produit plus de 900 films qui stéréotypaient les Arabes et les musulmans, un rouleau compresseur implacable de stéréotypes qui exerce une forte influence sur l’opinion publique et les politiques.

S’il y avait 900 films qui ne dépeignaient pas les Arabes, les Iraniens et les musulmans comme des terroristes ou qui ne revenaient pas aux vieux clichés orientalistes, alors un film comme Aladdin pourrait être « juste un divertissement ». D’ici là, il ne nous reste plus qu’à attendre que le génie laisse sortir de la lampe des représentations plus nuancées et diversifiées.

1Real Bad Arabs. How Hollywood vilifies a people, documentaire, 2006.

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