Algérie. Retour sur une invasion coloniale

Entamée pour des raisons conjoncturelles, l’invasion française de l’Algérie de 1830 a débouché sur une des guerres de conquêtes les plus brutales de l’histoire coloniale.

L'image représente une scène de bataille ou de débarquement maritime. On y voit plusieurs bateaux et embarcations sur une étendue d'eau, avec beaucoup de personnes à bord. Sur la rive, des groupes de soldats ou de guerriers semblent se préparer à l'assaut ou à un combat. L'arrière-plan montre des voiliers et des structures, ce qui suggère un port ou une plage animée. L'atmosphère paraît dynamique et chargée d'action, avec des personnages en mouvement, créant une impression de chaos et de détermination.
Pierre-Julien Gilbert, peintre de la marine française (1783-1860), Le débarquement à Sidi-Fredj, date inconnue
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Alors qu’en 2030 l’on commémorera, peut-être, les deux cents ans de ce qui a longtemps été baptisé « l’expédition d’Alger », Alain Ruscio, spécialiste de l’histoire coloniale, revient longuement dans son livre La Première guerre d’Algérie, sur cet évènement trop longtemps méconnu, mais considérable pour l’histoire de France et de l’Algérie. Commencée en juillet 1830 comme une promenade militaire à Sidi-Fredj, elle a débouché dix ans plus tard sur un Himalaya de violences qui a décimé la population autochtone au-delà de l’imaginable.

Au départ, Paris a deux soucis, le premier tient à la situation politique intérieure où règne le roi Charles X (1824-1830) empêtré dans ses chimères : la restauration de l’Ancien Régime. Plus profondément, au-delà de la quête d’une diversion, il y a le refus, déjà ancien, de subir la prédominance britannique en Méditerranée bâtie sur deux grandes bases de la Royal Navy : Gibraltar à son entrée, et Malte, qui contrôle l’accès à sa partie orientale par où passe la route de l’Égypte, haut lieu d’une certaine influence française. L’invocation traditionnelle du coup d’éventail infligé au consul de France par le Dey1 d’Alger — mécontent des refus répétés de Paris de régler ses dettes — est religieusement enseignée à l’école à des générations de petits français. Mais c’est une « tromperie » nous dit l’auteur, destiné à « chauffer » le sentiment national.

Affairisme et pillages

La société algérienne, sa victime, ne comprend pas l’invasion. L’Algérie, en 1830, appartient à l’empire Ottoman, commerce avec l’Europe, dispose, de fait, d’une large autonomie et a renoncé à la piraterie. Constantinople, affaiblie par ses nombreuses défaites depuis la fin du XVIIIe siècle, est impuissante à secourir ses coreligionnaires. L’affairisme des spéculateurs immédiatement à pied d’œuvre et le pillage méthodique du trésor du Dey, se manifestent dès le premier mois de l’occupation d’Alger. L’offensive sur Blida, dans la grande banlieue de la capitale algérienne, quelques mois plus tard, débouche sur un revers militaire majeur qui sera suivi de beaucoup d’autres.

À l’ouest, un homme nouveau, Abd El-Kader s’impose à un commandement français dont l’impéritie est avérée. Son échec à conquérir Constantine à l’est du pays et les débuts compliqués du régime du roi Louis-Philippe conduisent les politiques français à établir cahin-caha entre guerre et paix un partenariat avec Abd El-Kader. Celui-ci dure jusqu’à décembre 1840, date de la nomination du maréchal Thomas Bugeaud, négociateur en 1834 des arrangements avec la partie algérienne, comme gouverneur général de l’Algérie.

Sans changement d’homme, on observe alors, comme le rappelle Ruscio, un changement de stratégie. La politique d’influence de la France conduit à un échec politique, économique et démographique. L’Algérie ne peut absorber le « superflu » de population française dont rêve le Paris monarchiste affolé par les révolutionnaires des faubourgs. Abd El-Kader refuse le rôle subordonné qui lui est laissé, alors que les échecs économiques de la colonisation sont patents. François Guizot, le premier ministre de fait, se rallie à une nouvelle stratégie : la guerre totale. Menée par Bugeaud, elle est aussi soutenue par Alexis de Tocqueville au nom des « nécessités fâcheuses ». L’armée française recourt systématiquement à l’extrême violence pour soumettre la population.

La capture d’Abd El-Kader

Les razzias, les enfumades et les « emmurades » à l’encontre des populations civiles martyrisées deviennent la tactique employée par plus de 100 000 combattants français qui manquent de tout. L’intendance ne suit pas et il faut faire venir de France la nourriture, les boissons, les vêtements, les chevaux. L’administration, de son côté, inaugure le cantonnement, un stratagème honteux qui dépossède les tribus de leurs droits fonciers. Jusqu’à la capture d’Abd El-Kader en 1847, la guerre se poursuit, impitoyable, et décime la population qui n’en peut plus. La IIe République, qui succède l’année suivante à la monarchie orléaniste, lève quelque peu le pied, trop accaparée par ses troubles sociaux à l’intérieur pour poursuivre le conflit au même rythme.

L’auteur suit les évènements en Algérie, à Paris, dans le monde méditerranéen, sur tous les plans : militaire, politique, diplomatique, littéraire, artistique. Il en donne une image attentive et met à jour l’œuvre d’historiens disparus comme Charles-André Julien ou Charles-Robert Ageron, auteurs de deux histoires réputées de la conquête de l’Algérie. Il nous rappelle aussi pourquoi les crimes perpétrés il y a bientôt deux siècles subsistent encore dans la mémoire des Algériens.

1NDLR. Titre donné aux dirigeants de la régence d’Alger, de Tripoli (Libye) et de Tunis sous l’Empire ottoman à partir de 1671, jusqu’en 1830.

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