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La Palestine, un enjeu des élections britanniques

Contrairement aux élections législatives surprises en France, celles du Royaume-Uni, prévues le 4 juillet, étaient attendues cette année. Dans le contexte des mobilisations massives en solidarité avec Gaza depuis octobre 2023, le champ politique se trouve recomposé. Le Parti travailliste et son leader Keir Starmer, bien que vainqueurs probables, apparaissent fragilisés par leurs positions largement pro-israéliennes, et paient le prix de la chasse aux sorcières contre l’ancien leader travailliste Jeremy Corbyn en 2018.

Londres, 8 juin 2024. Une manifestante brandit une pancarte où est écrit : « Un vote pour le Parti travailliste est un vote pour le génocide. Pas de cessez-le-feu, pas de vote ! »
Alisdare Hickson / Flickr

Au Royaume-Uni, le bipartisme traditionnel opposant les conservateurs à la droite et les travaillistes à la gauche se voit remis en cause. Si le représentant de l’extrême droite, Nigel Farage, du parti Reform UK, est encore largement considéré comme un clown, la situation à gauche est différente et est marquée par l’absence d’un grand parti significatif.

Lorsque Jeremy Corbyn, fervent défenseur de la Palestine, est devenu le chef du Parti travailliste en 2015, des dizaines de milliers de personnes l’ont rejoint, et le parti a alors atteint sa plus grande taille depuis les années 1970 avec plus d’un demi-million de membres. Mais après la défaite électorale de 2019, la nouvelle direction dirigée par Keir Starmer, un avocat spécialisé dans les droits humains, a non seulement tourné le parti vers la droite, mais a activement exclu autant de membres de gauche qu’elle le pouvait, nombre d’entre eux étant accusés d’antisémitisme. Pourtant beaucoup de ces exclus sont des juifs antisionistes, à l’instar de Naomi-Wimborne-Idrisi et de Rica Bird. Toutes deux ont participé à une série d’émissions édifiantes sur Al Jazeera en 20221, axées sur la campagne anti-Corbyn, accusé sans fondement d’antisémitisme, qui a mené à son expulsion du Parti travailliste. Il se présente dorénavant en tant qu’indépendant dans la circonscription londonienne où il est élu depuis des décennies, et participe activement au mouvement propalestinien en cours. Cette chasse aux sorcières a fait chuter le nombre de membres du Parti travailliste à 366 000 en mars 2024.

Pas une victoire travailliste

Fermement aligné sur l’idéologie néolibérale, le Parti travailliste de Keir Starmer a également maintenu depuis de nombreux mois une position pro-israélienne résolue, refusant d’appeler à un cessez-le-feu à Gaza et accusant tous les pro-palestiniens d’être antisémites, suivant la définition officielle fondamentalement problématique de l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste (International Holocaust Remembrance Alliance - IHRA) qui affirme que toute position anti-israélienne est antisémite. Dans les jours qui ont suivi l’assaut israélien sur Gaza, plus de 20 conseillers municipaux (dont neuf à Oxford) ont démissionné du parti en raison des déclarations pro-israéliennes de Starmer au Parlement et dans les médias ; d’autres ont démissionné au cours des mois suivants dans tout le pays. Nombre d’entre eux sont musulmans, mais la plupart ne le sont pas.

À l’approche des élections, le Parti travailliste est presque certain de former le prochain gouvernement britannique. Ce n’est pas en raison d’un programme s’apparentant de près ou de loin au socialisme ou axé sur les préoccupations et les intérêts de la majorité de la population, mais plutôt parce que le parti conservateur de Rishi Sunak est complètement discrédité après 14 ans de règne. Les quatre dernières années ont vu se succéder les désastres incontrôlés marqués par l’extrémisme de droite et l’incompétence caractérisée, entre autres, sur les sujets liés à des politiques anti-immigration et racistes.

Contrairement au slogan de Corbyn « pour le plus grand nombre, pas pour quelques-uns », (For the many, not for the few), Starmer appelle au « changement » — ce qui n’a pas grand sens —, tout en assurant aux grandes entreprises qu’elles ne souffriront pas sous le régime travailliste et qu’il n’y aura pas d’augmentation d’impôts pour qui que ce soit, y compris les super-riches. Il a abandonné les anciennes politiques de protection de l’environnement du parti et soutient l’augmentation des dépenses militaires. Ainsi, ce n’est pas le Parti travailliste qui gagnera les élections, mais plutôt les conservateurs qui, divisés et de plus en plus chaotiques, les perdront.

Le coût d’être pro-israélien

Dans ce contexte, la guerre contre Gaza a rebattu des cartes. Starmer s’est aliéné les voix de milliers, voire de millions de musulmans britanniques, et d’autres personnes horrifiées par le génocide à Gaza, par son soutien à Israël et son refus d’appeler à un cessez-le-feu, alors que des milliers d’enfants, de femmes et d’hommes palestiniens sont massacrés. Selon des sondages récents, 44 % des électeurs musulmans considèrent la position d’un parti sur la Palestine comme l’un des premiers critères de choix2, alors que 86 % des électeurs travaillistes sont favorables à un cessez-le-feu immédiat3.

Starmer réprime également toute opinion alternative, même parmi les dirigeants et les députés du parti. En février, il a finalement appelé à un cessez-le-feu, mais en évitant le mot « immédiat », ce qui a vidé la déclaration de son sens. Il a provoqué une crise parlementaire en manipulant les procédures pour éviter d’être battu par les nombreux députés travaillistes qui ne pouvaient plus supporter l’hypocrisie du Royaume-Uni dans la guerre et menaçaient de se rebeller et de voter contre sa motion.

Dans les mois qui ont suivi, Keir Starmer a tenté de rétablir ses relations avec les communautés musulmanes en prévision des élections, le vote musulman pouvant faire basculer un certain nombre de circonscriptions, principalement dans les Midlands et le Nord de l’Angleterre. Mais ses appels au mieux timides à un cessez-le-feu sonnent creux à côté de son soutien au droit d’Israël à « l’autodéfense » et aux ventes d’armes britanniques contribuant aux massacres.

Lors des élections, au moins 18 indépendants se présentent contre des candidats travaillistes en mettant en avant un programme qui inclut le soutien à la Palestine, soit en tant qu’unique question, soit en tant qu’une des questions principales. C’est le cas évidemment de Jeremy Corbyn, mais aussi d’autres personnes qui ont été expulsées sans ménagement du parti en raison de leurs appels à un cessez-le-feu immédiat et à la condamnation du génocide en cours à Gaza. Andrew Feinstein, antisioniste actif et ancien député en Afrique du Sud, se présente contre Starmer dans sa propre circonscription. Parmi les autres candidats figure aussi Faiza Shaheen, qui se présente dans la circonscription de Chingford et Woodford Green. Après avoir été désinvestie alors que la campagne avait déjà débuté, elle a démissionné du Parti travailliste. Dans trois circonscriptions de Birmingham, des candidats pro-palestiniens se présentent contre des députés travaillistes en place : Kamel Hawwash et Akhmed Yakoob figurent en tant qu’indépendants. Jody McIntyre, partisan de longue date de la Palestine, a été investi par le parti renégat de George Galloway, le Workers Party of Britain (un groupuscule pro-palestinien bruyant, mais qui fait également l’apologie du président syrien Bachar Al-Assad et, auparavant, de l’ancien président irakien Saddam Hussein).

Marches populaires en faveur de Gaza

Certains de ces candidats pourraient bien remporter les sièges qu’ils briguent. Ils sont en tout cas très en phase avec l’opinion publique. Pour la première fois, des manifestations de masse contre la guerre et en faveur de la paix ont lieu chaque semaine dans tout le pays. Les principaux slogans sont : « Cessez-le-feu maintenant ! », « Libérez la Palestine », « Arrêtez d’armer Israël », « Nous sommes tous des Palestiniens ». Les manifestations locales dans tout le Royaume-Uni comprennent des piquets, des marches et des veillées de solidarité hebdomadaires. Quinze énormes manifestations nationales ont eu lieu à Londres depuis octobre 2023 : l’une d’entre elles a rassemblé 800 000 personnes dans les rues, et toutes ont compté plus de 100 000 manifestants. Même en 1968, les manifestations pro-vietnamiennes n’étaient pas aussi fréquentes, et la seule fois où plus d’un million de personnes ont manifesté à Londres, c’était en 2003, contre l’attaque imminente des États-Unis et du Royaume-Uni contre l’Irak.

Malgré la propagande officielle accusant les manifestants d’être des antisémites violents et, comme l’a dit un ministre conservateur, de participer à des « marches de la haine », la réalité est très différente et rappelle les marches de la Campagne pour le désarmement nucléaire (CND) de la fin des années 1950 et du début des années 1960. Les participants viennent avec des enfants, y compris des tout-petits dans des poussettes. De l’aide et du soutien sont fournis à celles et ceux qui sont moins capables de marcher, en fauteuils roulants, avec des cannes ou des béquilles. La plupart des interactions avec la police sont amicales, malgré le grand nombre de manifestants et de forces de l’ordre.

L’un des nombreux aspects intéressants de ces manifestations est leur composition sociale. Les participants viennent de tout le pays et comprennent des juifs qui s’identifient comme tels, y compris orthodoxes, soulignant qu’ils sont opposés aux actions israéliennes et solidaires des habitants de Gaza, et de nombreux musulmans. Quant à l’âge des manifestants, ce sont surtout beaucoup de jeunes adultes, mais de nombreux participants plus âgés pourraient bien avoir un long passé de marche depuis la CND et la période de lutte contre la guerre du Vietnam.

Contrairement à la majorité de ces mobilisations, le mouvement actuel, soutenu largement, ne semble pas structuré autour de la classe moyenne éduquée. On constate la forte présence de groupes autrement marginalisés, rarement vus dans des manifestations explicitement politiques. L’absence de bannières du Parti travailliste et des principaux syndicats est frappante, bien que quelques groupes locaux aient rompu avec les instructions de leur siège.

L’ampleur de la mobilisation contre l’assaut israélien sur Gaza est sans précédent au Royaume-Uni, et c’est la première fois qu’un mouvement de masse aussi déterminé et cohérent émerge, a fortiori sur une question internationale. Bien qu’elle ait peu de chances d’avoir une grande influence sur la politique pro-israélienne du gouvernement britannique actuel (ou futur), cette mobilisation pourrait bien amener quelques députés pro-palestiniens au Parlement. Elle pourrait également permettre à quelques membres de partis plus petits de se frayer un chemin à travers un vote travailliste divisé, réduisant ainsi l’écrasante majorité potentielle du Parti travailliste au Parlement. Cela pourrait ainsi avoir pour effet d’amener le gouvernement à être moins aligné sur l’agenda néolibéral et, espérons-le, moins partial en faveur d’Israël concernant la Palestine. Un enjeu qui se trouve de nouveau au premier plan.

1The Labour Files, Al Jazeera, septembre 2022.

2Tom Belger, « Poll : Two-thirds of Muslim voters plan to vote Labour in 51-point lead over Tories », LabourList, 11 juin 2024.

3« New poll shows sustained British public support for immediate ceasefire in Gaza and the suspension of UK arms sales to Israel », Medical Aid for Palestinians, 17 mai 2024.

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