Essai

Palestine, la trahison de l’Union européenne

Le président François Hollande se rendra en Israël et en Palestine du 17 au 19 novembre. Il devrait réaffirmer les positions habituelles de la France (attachement à la création d’un État palestinien aux côtés de l’État d’Israël) et condamner la colonisation. Pourtant, ce discours n’aura pas une grande portée, tant que la France continuera à développer ses relations bilatérales avec Israël comme si ce pays n’était pas une puissance occupante. Cette pusillanimité est conforme à celle de l’Union européenne, ce que confirment deux ouvrages récemment parus.

Leïla Shahid, ambassadrice de la Palestine auprès de l’Union européenne, de la Belgique et du Luxembourg et Véronique De Keyser, députée européenne
lors de la visite d’une délégation d’enfants palestiniens au Parlement européen. Photo Véronique De Keyser, 25 juin 2013.

Il est inutile de présenter Stéphane Hessel, décédé en février 2013. Tout a été dit sur ses engagements, ses « indignations », son charisme, ses succès et ses détracteurs. Véronique De Keyser est députée européenne belge. Elle est membre de la commission des affaires étrangères et vice-présidente du groupe des socialistes et démocrates. Au Parlement européen, elle s’est toujours distinguée par son engagement en faveur de la paix au Proche-Orient et d’une Union européenne plus forte. Dans leur livre commun, Palestine, la trahison européenne, récemment publié chez Fayard, les deux auteurs sont très critiques, manifestant leurs regrets et leur amertume au sujet de l’impuissance européenne.

L’ouvrage témoigne de leurs convictions en faveur d’une Europe plus engagée et plus indépendante. Il couvre une période courte et riche en événements dramatiques, qui va de l’élection de Mahmoud Abbas (Abou Mazen) à la présidence de l’Autorité palestinienne en 2005 jusqu’au moment où la Palestine fait son entrée comme État non membre aux Nations unies, en 2012. Dès le début, le ton est donné : « L’Europe colle toujours comme un chewing-gum à la politique américaine ». L’introduction règle son compte à l’institution européenne qui « s’inquiète » de voir la colonisation des territoires palestiniens se poursuivre sans avoir le courage de la condamner. Stéphane Hessel et Véronique De Keyser donnent maints exemples des tergiversations et des faiblesses européennes. Le chapitre « La Palestine à l’ONU » en témoigne. Mahmoud Abbas avait dit sa volonté d’y demander son dû au nom de son peuple : un État pour les Palestiniens. Avant de solliciter le vote du Conseil de sécurité — auquel il a renoncé in fine sachant que le veto américain était inéluctable —, le président palestinien a fait campagne. Il a découvert, probablement sans surprise, que les Européens étaient divisés sur cette perspective. Il a dû écouter leurs « conseils », pour mieux dire leurs tentatives de le dissuader d’aller aux Nations unies chercher un État dont ni Israël ni Washington ne voulaient. Les arguments ont été les mêmes que ceux d’hier : c’est trop tôt, il faut d’abord négocier, n’espérer aucune mansuétude du Congrès américain qui n’hésitera pas à voter des « sanctions » contre l’Autorité palestinienne, etc.

Il a dû écouter les avertissements de ceux qui à Berlin en 1999 s’étaient accordés pour dire « leur disposition à considérer la reconnaissance d’un État palestinien le moment venu ». Pour Bruxelles, ce moment n’est, semble-t-il, pas encore venu. L’Europe n’aura pas su « protéger Abbas des pressions israéliennes et américaines qui l’ont transformé tantôt en mendiant, tantôt en marionnette », pas plus qu’elle n’aura su « protéger la belle idée d’État ». Elle aura manqué à sa responsabilité politique et historique.

David Cronin, journaliste, a rassemblé dans son livre Europe-Israël : une alliance contre-nature, les éléments qui le convainquent que, loin d’aider l’Autorité palestinienne à construire son État, l’Union européenne et ses États membres sont complices d’Israël dans la dépossession des Palestiniens et la déstructuration de leur société, comme en témoignent les investissements économiques et financiers européens dans les colonies, illégales au regard du droit international mais sources de profit pour des grandes compagnies du continent européen. En ce sens, le titre français de l’ouvrage aurait gagné à mieux coller au titre anglais, dont la traduction littérale est : « L’alliance européenne avec Israël : aider l’occupation » (« aider » dans le sens d’« être complice ») plutôt que d’évoquer une « alliance contre nature », expression plus ambiguë.

David Cronin ne fait pas dans la nuance. Il mesure l’implication des Européens à leur silence à couvrir les « crimes d’Israël », à leurs déclarations lénifiantes, à l’ouverture de leurs programmes de recherche et développement aux chercheurs israéliens qui ne sont que des « militaires camouflés en civil », à leur « prosternation devant l’Amérique néo-impérialiste », à leur « ingérence » dans la politique intérieure palestinienne et même israélienne, à leur « lâcheté », etc. Au final, déplore-t-il, Israël étant déjà quasiment membre de l’Union européenne, il n’est pas surprenant que l’Europe prenne le parti, discrètement ou pas, naïvement ou sciemment, de l’un de ses plus sûrs protégés et qu’elle contribue à enraciner l’idée qu’il existe une « exception israélienne » qui immunise Israël contre toute critique et toute référence à la légalité internationale.

L’ouvrage de Cronin renvoie plus au pamphlet qu’à l’analyse froide. Son livre est un appel à l’indignation et à l’action contre la politique israélienne et contre la politique des Européens. Il prône l’État binational (un seul État pour deux peuples), le boycott d’Israël pour le contraindre à infléchir sa politique mais aussi pour faire acte de solidarité avec ceux qui recherchent la justice. Une cause légitime mais qui lui permet de faire l’impasse sur la realpolitik qu’il ne mentionne que dans les dernières lignes de son ouvrage.

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