Plan Trump. Des États arabes divisés peinent à riposter

Les réactions des gouvernants arabes au plan Trump ont oscillé entre intérêt circonspect, réserve prudente, puis retrouvailles pour rappeler des positions connues de longue date qui sont celles établies par la légalité internationale et qui n’ont pas été respectées.

Réunion d’urgence de la Ligue arabe au Caire, le 1er février 2020, pour discuter du plan Trump. De gauche à droite le secrétaire général de la Ligue Ahmed Aboul Gheit, le secrétaire général de l’OLP Saeb Erekat et Mahmoud Abbas comparant la Palestine historique, le plan de partage de 1947, les frontières de 1967 au plan de Trump actuel
Khaled Desouki/AFP

Le 28 janvier 2020, le président Donald Trump dévoilait sa « vision » des relations entre Israéliens et Palestiniens. Intitulée De la paix à la prospérité, cette vision se donne pour objectif « d’améliorer la vie des peuples palestinien et israélien ». On sait que cette « amélioration » prévoit l’annexion à Israël d’importantes zones de Cisjordanie et l’abandon de la référence aux lignes de 1967, qu’elle lui donne des frontières sur le Jourdain, qu’elle situe la capitale des Palestiniens à l’extérieur de Jérusalem, etc. Il aura fallu trois ans de gestation pour que la « vision » américaine exprime les intérêts israéliens, ne soit pas nourrie par la vision des Palestiniens et se trouve à cent lieues des concessions réciproques annoncées par l’administration américaine.

Les idées chimériques du président américain

En dévoilant « sa » vision, le président s’est dit confiant dans la volonté des États arabes de soutenir son plan et de jouer un rôle dans sa mise en œuvre. Et lorsqu’il indique au premier ministre Benyamin Nétanyahou qu’il « aura un soutien formidable de la part de ses voisins et au-delà même de ses voisins », peut-être a-t-il été convaincu par les premières déclarations d’intention favorables à ses vues des uns ou des autres1. Mais peut-être aussi a-t-il réagi à sa manière : frapper un grand coup, intimider, promettre la lune ou l’enfer, prendre ses désirs pour des réalités et passer en force.

Les méthodes diplomatiques de Trump ne sont pas différentes de ses méthodes commerciales habituelles : il entend imposer « son » texte et peu lui importe que ce soit d’autres qui l’aient conçu. Ce qu’il veut c’est que le produit qu’il a en main soit « acheté » par ses interlocuteurs. Sa nature d’homme d’affaires prend toujours le dessus. Le président fonctionne comme un négociant brutal, pas comme un négociateur habile. Son plan doit être accepté, point ! Il n’imagine pas d’autre issue. Il ne sait pas que c’est une chimère que de vouloir faire table rase du passé. Mais d’ici là, gare aux Palestiniens qui n’accepteront pas son produit. Les sanctions seront lourdes. Déjà, Trump vient de déclarer que les États-Unis cesseront d’accorder en 2021 des subsides à l’Autorité palestinienne pour ses services de sécurité. Ce serait une première depuis les accords d’Oslo de 1993. Il n’est pas certain que cette « punition » soit mise à exécution, tant il entre dans l’intérêt d’Israël que les Palestiniens disposent de services de sécurité efficaces.

Des décennies durant, la cause palestinienne a été ardemment mise en avant par les États arabes et au-delà dans la région, en Iran et en Turquie, soit avec le souci de la faire sienne soit par l’utilisation qu’ils en faisaient à des fins domestiques. C’était même l’un des sujets qui à lui seul cimentait l’unité des États, à domicile et entre eux.

Ce rassemblement autour de la cause palestinienne s’est relâché au fil des années lorsqu’il est devenu évident que le processus de paix ne menait à rien, que la colonisation des territoires palestiniens ne faiblissait pas, que le soutien des États-Unis à Israël restait indéfectible — que l’administration soit républicaine ou démocrate —, et que le rapport des forces en faveur d’Israël était irréversible. Les soulèvements arabes de 2011 ont contribué à la relégation de la cause palestinienne. Les responsables arabes ont donné la priorité à leurs propres affaires intérieures en matière de sécurité, de défense et d’économie. C’est sans surprise que le soutien arabe à la cause palestinienne a perdu de sa vigueur.

Les « mille non » de Mahmoud Abbas

Les Palestiniens avaient rejeté les options du président Trump bien avant la publication de son plan. L’affaire de Jérusalem en 2017 et le transfert de l’ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem (2018) leur avaient prouvé qu’ils ne devaient rien attendre de cette administration. Ils avaient d’ailleurs rompu les ponts avec elle. Sans surprise, ils ont donc récusé tout ce qui venait de Washington.

Le président palestinien, Mahmoud Abbas, aurait refusé de lire le plan, de prendre le président au téléphone et de recevoir tout courrier ou messager de sa part. Loin d’être perçu comme une opportunité « gagnant-gagnant » comme le clame Trump, ce plan a été considéré par les Palestiniens comme une conspiration israélo-américaine, voire israélo-israélienne, ourdie contre leur direction politique et contre leur peuple. Ils ne peuvent prendre pour argent comptant la conclusion de la « vision » américaine selon laquelle « l’histoire des Palestiniens ne s’arrête pas ici [et que] leur histoire vient juste de commencer à être écrite ». Au contraire, ils ont la conviction que Trump — et les idéologues qui l’entourent — cherchent à tracer un trait sur leur histoire et à leur assigner une destinée en dehors de leur volonté.

Le premier ministre Mohammad Shtayyeh a menacé de mettre un terme à tous les accords qui lient Palestiniens et Israéliens. Poussant la surenchère, le ministre des affaires civiles Hussein Al-Sheikh a indiqué que les Israéliens avaient été avertis que l’Autorité palestinienne considérait désormais comme nuls les accords passés avec leur gouvernement. La réaction initiale du président Abbas a été de dire : « Mille fois “non” au plan Trump ». S’il a indiqué au Caire, lors d’une allocution au siège de la Ligue arabe, qu’il envisageait de faire passer par profits et pertes la coordination sécuritaire avec Israël, il s’est repris plus tard en précisant qu’il ne s’agissait que d’une « option ».

S’il est confirmé, ce recul ne fera qu’accroître le discrédit d’un président dont aucun Palestinien ne peut croire qu’il va rompre avec Israël. Il existe trop d’intérêts croisés entre les services des deux pays pour qu’un dirigeant palestinien se prive des avantages qu’il tire de cette « coordination sécuritaire ». Si elle devait disparaître, ce serait à l’initiative — improbable — d’Israël.

Dès l’annonce du plan Trump, le Fatah et le Hamas se sont retrouvés pour une rencontre qui s’apparentait plus à de la propagande qu’à une prise de conscience forgée par les implications du plan américain. Comment croire à cette expression d’unité et de solidarité quand le Fatah reste engagé à poursuivre les partisans du Hamas pour le compte d’Israël ? La seule raison qui permettrait au Hamas de prendre langue avec le Fatah et d’autres factions palestiniennes pour imaginer l’avenir post-plan Trump serait le départ d’Abbas du pouvoir (par le jeu électoral, sa démission ou sa disparition). Seule cette perspective leur permettrait d’envisager conjointement une reconfiguration du paysage politique palestinien.

L’ennemi de mon ennemi est mon ami

Entre l’annonce du plan Trump et la réunion extraordinaire de la Ligue arabe, des dirigeants arabes ont réagi précautionneusement. Certains pays du Golfe n’ont pas souhaité s’aliéner le président américain, soucieux de préserver leur protecteur contre un Iran perçu comme une menace. Les dernières confrontations militaires entre l’Iran et les États-Unis les ont convaincus que Trump était un bouclier sûr. Ne plus mettre le destin de la Palestine au cœur de leurs préoccupations intérieures et panarabes est le prix que sont prêts à payer l’Arabie saoudite, Bahreïn ou les Émirats arabes unis pour s’assurer de la protection américaine, ce que concrétise le rapprochement avec Israël opéré depuis quelques années.

À Riyad, on a apprécié « les efforts américains et appelé à des négociations directes entre Israéliens et Palestiniens ». Par « négociations », il faut probablement entendre « discussions sur le fait accompli, le plan Trump ». On a aussi dû apprécier que la « vision » américaine ait fait référence à l’Initiative de paix arabe que le royaume avait portée en 20022.

Certains commentateurs saoudiens ont dénoncé les Palestiniens comme étant des « professionnels des occasions gâchées »3 et les Émiriens ont jugé que le plan Trump était « une initiative sérieuse », leur ambassadeur à Washington précisant que le plan « offre un important point de départ pour des négociations dans un cadre international conduit par les Américains ».

Précautionneuse Égypte

L’Égypte, qui a réuni la Ligue arabe en session extraordinaire, s’est contentée de rappeler les positions connues de la communauté internationale : « un État palestinien souverain en conformité avec les résolutions des Nations unies » tout en soulignant la validité du plan Abdallah de 2002. Le Caire a apprécié « les efforts continuels » de l’administration américaine. Rien qui puisse heurter Trump qui a récemment jugé qu’Abdel Fattah Al-Sissi était son « dictateur préféré »4 C’est rappeler que l’Égypte est l’un des plus importants bénéficiaires de l’aide américaine, essentiellement au bénéfice de ses militaires.

Ambiguïté marocaine

Alors que Tunis et Alger ont vertement critiqué l’initiative américaine, Rabat s’est montré prudent, chevauchant le plan Trump en équilibriste. Le royaume a pris soin de maintenir ses positions sur la question de Palestine tout en prenant garde à ne pas heurter le président américain. Il a loué « les efforts constructifs de paix de l’actuelle administration pour parvenir à une solution juste, durable et équitable au Moyen-Orient » et s’est promis « d’examiner en détail » le plan Trump. Plus ambigu, il a fait valoir que « l’acceptation par les parties [Israël et les Palestiniens] des différents éléments est fondamentale pour la mise en œuvre et la durabilité de ce plan » ».

On avait connu le Maroc plus allant sur la cause palestinienne. Il n’en fallait pas davantage pour que les dernières visites américaines à Rabat (Jared Kushner, puis Ivanka Trump, fille du président, et Mike Pompeo, secrétaire d’État américain, début décembre) soient perçues comme un jeu à plusieurs bandes dans lequel Washington pourrait reconnaître la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental en échange de quoi le royaume normaliserait ses relations avec Israël.

Une Ligue arabe et des États plus déterminés

Dans sa réunion du 1er février, la Ligue arabe a indiqué qu’elle « rejetait l’accord du siècle américano-israélien considérant qu’il ne respectait pas le minimum des droits et des aspirations du peuple palestinien ». Pour son secrétaire général, Ahmed Aboul Gheit, le plan américain « conduit à un statut qui n’est rien d’autre qu’une solution à un État qui comprendra deux catégories de citoyens, qu’on appelle l’apartheid, au sein duquel les Palestiniens seront des citoyens de seconde zone, privés des droits fondamentaux de tout citoyen ». Il a affirmé qu’aucun État arabe ne coopérerait avec l’administration américaine pour sa mise en œuvre.

La Tunisie5, l’Algérie, l’Irak ou la Jordanie ont fait montre de plus d’audace en réaction au plan Trump. De tous, c’est la Jordanie qui est la plus immédiatement concernée. Elle a mis en garde contre « les dangereuses conséquences des mesures unilatérales israéliennes comme l’annexion des territoires palestiniens ».

Sans chercher à contredire explicitement le plan Trump, Amman a longuement rappelé les principes qui prévalent depuis des décennies : le respect des lignes de 1967, Jérusalem-Est comme capitale d’un État palestinien indépendant, la centralité de la cause palestinienne, le respect du droit international, les droits des Palestiniens, etc.

La cause palestinienne est en exil

Le plan du président Trump est la concrétisation du sentiment de toute-puissance qui l’anime. Il concrétise aussi le rapport des forces, totalement déséquilibré, entre Israéliens et Palestiniens et l’adhésion totale de la présidence aux thèses israéliennes. Un trait est tiré sur quasiment toutes les résolutions onusiennes qui au fil des décennies ont patiemment tissé la toile de la légalité internationale sur la question de Palestine. Nétanyahou ne pourra plus juger que le processus d’Oslo est une menace mortelle pour Israël.

La cause palestinienne est en exil. Seuls ou presque, les Palestiniens n’ont pas la capacité de faire cesser cette relégation. La question est de savoir s’ils vont la rendre insupportable à ceux qui la leur infligent ou s’ils vont accepter le sort qui leur est fait.

1Seuls les ambassadeurs d’Oman, de Bahreïn et des Émirats arabes unis étaient présents à Washington lors de l’annonce du plan américain par le président américain.

2A l’initiative du prince héritier saoudien Abdallah, un sommet de la Ligue arabe avait proposé la paix avec Israël en échange de l’établissement d’un État palestinien indépendant sur les territoires occupés en 1967, avec Jérusalem-Est comme capitale.

3Ces commentateurs saoudiens reprennent ainsi l’esprit d’une formule d’Abba Eban, un ancien ministre des affaires étrangères israélien, selon laquelle « les Palestiniens n’ont jamais manqué une occasion de manquer des occasions ».

4Propos entendus et confirmés par plusieurs sources lors du Sommet du G7 à Biarritz en août 2019.

5La Constitution tunisienne de 2014 a cette particularité de promouvoir « la juste cause de tous les mouvements de libération, à leur tête le mouvement de libération de la Palestine ».

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