Hisham Bustani, conteur de l’incertitude

Né en Jordanie en 1975, Hisham Bustani fait partie de la nouvelle génération d’écrivains arabes. Dès son premier recueil de nouvelles Ani l’hubbi wa l’mawt De l’amour et de la mort ») publié en 2008, l’écrivain affirme un style original, différent de ses articles politiques et culturels qu’il continue d’écrire par ailleurs, notamment pour la revue électronique 7iber, partenaire d’Orient XXI au sein du réseau des Médias indépendants sur le monde arabe.

Le style incisif de Hisham Bustani se confirme à travers Al-Fawda Rratiba lil wujud, (« Le monotone chaos de l’existence »), éditions Dar Al-Farabi, 2010, Ara l’mâana La perception du sens »), éditions Dar Al-Adâb, 2012, Muqaddimât lâ budda minha li fana’én mua’ajjal Prélude inévitable à une mort en sursis »), éditions Dar Al-Ayn li Nachr, 2014 et Chahîquon tawilon qabla ’an yantahi kullu chay’e Une longue inspiration avant que tout n’expire »), éditions Koutoub Khân, 2018. Aucun de ces recueils n’a encore été traduit en français.

Un univers onirique

Si ses récits partagent avec ses articles la même révolte contre l’ordre établi, la même quête de justice et de liberté, ils s’en démarquent nettement par une rupture avec le monde réel et la rationalité. Dans cet univers onirique, de plus en plus sombre au fur et à mesure de la déroute des printemps arabes, on observe peu de trouées de lumière. Et pourtant, il s’en dégage une indéfinissable poésie. La facture de ses textes est d’ailleurs plus proche des poèmes en prose que des nouvelles proprement dites. On n’y trouve pas d’histoire linéaire avec un début et une fin, et les personnages y sont versatiles, passent par de subtiles métamorphoses entre le « Je » et « l’Autre », changent de peau et traversent les miroirs.

Contes surréalistes ou fantastiques, ses écrits brisent les conventions, de forme comme de fond. Qu’il s’agisse des codes de l’histoire courte ou des codes sociaux, ceux de la pensée politique ou de l’art militant.

Dans ces courts récits, la mort est omniprésente, l’amour une grande illusion, et l’humanité sérieusement malmenée. Seule la nature semble échapper à la colère du poète. À elle seule il réserve sa tendresse, aux lacs menacés d’assèchement, aux arbres décapités, à la végétation cernée par l’urbanisation sauvage, aux animaux les moins avenants, les plus petits, les plus susceptibles d’être écrasés, comme cette fourmi dont il nous fait ressentir la terreur sous le pied qui s’abat sur elle.

La laideur du monde capitaliste

Ses contes participent d’un théâtre d’ombres qui nous pousse à tracer les forces occultes qui nous manipulent, comme dans le conte de la Saint-Valentin où les offrandes de roses coupées cachent le rituel morbide de la course au profit. L’auteur justifie la désespérance comme la recherche d’un « antidote à la torpeur de la conscience ». Une phrase de son recueil La perception du sens résume bien son culte de l’inquiétude : « Chaque fois qu’il souffre d’optimisme, il avale aussitôt un bulletin d’information, deux fois par jour. »

Si l’auteur se flatte sur son compte Twitter (@H_Bustani) d’être un « cynique », on peine à le croire tant est virulente sa dénonciation du despotisme, du « Leader-Dieu » qui jette son peuple dans les geôles ou sur les routes de l’exil, et cinglante sa condamnation d’une « civilisation » qui signifie la marchandisation des êtres. Totalement insensible à la pression du « politiquement correct », il ne ménage pas plus les femmes que les hommes. Il insiste sur le trait délibérément caricatural de ses personnages et le caractère provocateur de ses écrits, destinés à éveiller la conscience du lecteur. Sur la cruauté qui marque ses nouvelles, il rappelle que c’est la laideur du monde capitaliste qu’il met en scène et ses atrocités.

Une lancinante nostalgie

Dans cet univers déstabilisant, on peut se demander d’où peut venir le charme qui saisit le lecteur. Si le poète pousse loin son horreur de la sensiblerie, ses écrits restent marqués d’une lancinante nostalgie. Il y a dans sa rage de nier toute pureté, toute innocence, comme le deuil inconsolable d’une enfance perdue. Le dépaysement ressenti provient également de ses références culturelles, d’Orient et d’Occident, puisées dans des mondes aussi différents que ceux du cinéma, de la chanson moderne, de l’épopée grecque, ou des textes sacrés. Sa langue arabe, mélodieuse, porte l’empreinte de sa double culture chrétienne et musulmane.

Enfin, l’empathie qu’il suscite chez son lecteur vient de sa volonté affichée de vouloir créer avec celui-ci un « partenariat créatif ». Il y parvient par une sollicitation systématique des cinq sens, des emprunts au langage parlé, des questions qu’il semble directement lui adresser, de même que par un vocabulaire du mouvement, et enfin une mise en perspective des choses, observées toujours en devenir sur la trajectoire du temps. Une trajectoire parfois multiple, ouverte sur le champ des possibles.

On peut ne pas aimer certains de ses récits, les trouver trop crus ou trop cruels. On ne peut y rester indifférent. Et au moment où on s’y attend le moins, on est pris au piège. On est dans le monde de « l’Incertitude », l’un de ses concepts favoris, emprunté à la physique quantique.

Déjà connu du public arabe et dans le monde anglo-saxon où il a été primé, Hisham Bustani mériterait d’être connu aussi en France. Nous donnons à lire ici l’une de ses nouvelles que nous avons traduite de l’arabe, tirée de son avant-dernier recueil Prélude inévitable à une mort en sursis. L’évocation du poète Wilfried Owen et de la première guerre mondiale n’est pas sans rappeler l’univers de Guillaume Apollinaire.

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