L’Union soviétique dans le chaudron proche-oriental

Juin 1967, une guerre de six jours qui n’en finit pas · La guerre israélo-arabe de juin 1967 a été une dure épreuve pour la direction de l’Union soviétique prise entre son alliance avec l’Égypte et la Syrie et sa volonté d’éviter une confrontation majeure avec les États-Unis.

Le premier secrétaire du comité central du PCUS Nikita Khrouchtchev en visite en Egypte, aux côtés du président Gamal Abdel Nasser, mai 1964.

À la veille de la guerre de 1967, les dirigeants soviétiques étaient convaincus que, pendant les onze années écoulées depuis la guerre de 1956, et grâce à leur aide, les armées égyptienne et syrienne avaient été suffisamment préparées à tout conflit éventuel. Les estimations soviétiques de l’équilibre des forces — la quantité d’armements et la force numérique des deux armées, le potentiel démographique illimité du monde arabe et la conviction naïve et non démentie par les précédentes campagnes militaires d’Israël que les juifs « ne savaient pas mener des guerres » — ont favorisé une certaine désinvolture vis-à-vis du conflit militaire à venir : les Arabes ne seraient pas autorisés à détruire Israël, mais il ne serait pas inutile de les faire bouger un peu. Il valait mieux éviter la guerre, mais si elle devait commencer, elle devrait être limitée et ne pas conduire à la défaite des Arabes.

L’auteur de ces lignes a appris que les rapports du renseignement russe concernant la véritable préparation opérationnelle des armées ennemies et les plans d’Israël pour la campagne militaire avaient été simplement écartés comme livrant de fausses informations. Leur accorder un crédit serait revenu à douter de la sagesse et de la vision politique des dirigeants soviétiques, et à remettre en cause les nombreuses années de travail des agences militaires en Égypte et en Syrie juste au moment où Leonid Brejnev avait besoin du soutien du commandement militaire pour renforcer sa propre position. Un proverbe russe dit : « Un paysan ne s’énerve que lorsque le tonnerre gronde ». Et bien maintenant, il avait grondé.

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Une guerre pour quelques navires ?

Au début de 1967, la propagande anti-israélienne des Syriens, motivée en grande partie par des considérations de politique intérieure, est de plus en plus combinée à des parades militaires le long des lignes de cessez-le-feu1. La rhétorique anti-syrienne des dirigeants israéliens est elle aussi accompagnée de manœuvres militaires menaçantes (dont l’ampleur a été probablement exagérée par le renseignement syrien et les médias de masse soviétiques), et les dirigeants israéliens font une série de déclarations belliqueuses. Une source israélienne de haut rang est citée, qui affirme que si la Syrie continue sa campagne de sabotage en Israël, il y aura une action militaire immédiate pour renverser le régime syrien2.

Le 18 mai 1967, Gamal Abdel Nasser exige le retrait des troupes des Nations unies de la ligne de cessez-le-feu et du détroit de Tiran. Le 23 mai, il envoie là-bas les troupes égyptiennes et interdit aux navires israéliens de passer de la baie d’Aqaba à la mer Rouge, bloquant ainsi le port israélien d’Eilat. Comme le souligne Walter Laqueur, « les dirigeants soviétiques voulaient sans aucun doute une démonstration de la force égyptienne sur la frontière sud d’Israël, mais voulaient-ils la fermeture du détroit de Tiran et la guerre ? Les faits sont contradictoires... Nasser a fait le premier pas sans rien demander à l’Union soviétique. Et puis, à un certain moment, il est devenu impossible de reculer »3.

Rien ne permet de penser que les dirigeants soviétiques voulaient une guerre au Proche-Orient. Mais ils étaient obligés de soutenir les Arabes moralement et politiquement, et il ressort clairement de la déclaration du gouvernement soviétique du 23 mai 1967 que Moscou serait de leur côté s’ils étaient attaqués4. Néanmoins, Nasser pressent que l’Union soviétique ne soutiendra pas le lancement des hostilités contre Israël. Tout en épaulant politiquement le leader égyptien, la diplomatie soviétique cherche à élaborer une « solution mutuellement acceptable, juste et pacifique » à la crise5. Peu importe qui contrôle le détroit de Tiran et si les bateaux israéliens peuvent y naviguer : l’URSS est prête à soutenir toute solution de compromis, considérant qu’il n’est pas acceptable de commencer une guerre simplement parce que quelques navires ne peuvent pas naviguer d’Aqaba à la mer Rouge.

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Faire cesser l’agression israélienne

Pendant les deux premiers jours qui suivent le début de la guerre, la presse et la radio soviétiques diffusent des bulletins d’information préparés à l’avance qui indiquent que les troupes égyptiennes et syriennes avancent profondément dans le territoire israélien et que les forces aériennes arabes attaquent des cibles à l’intérieur d’Israël. Quand, dès le deuxième jour, il s’avère que ces mêmes forces aériennes arabes sont complètement détruites et que les troupes au sol subissent une défaite catastrophique, l’URSS n’est pas prête à intervenir militairement. Comme prévu, elle entame néanmoins des actions politiques et de propagande en soutien aux pays arabes. Dans une déclaration en date du 5 juin, le gouvernement soviétique dénonce « l’agression israélienne », déclare son « soutien résolu » aux gouvernements et peuples des pays arabes et invite Israël à « cesser immédiatement et inconditionnellement les hostilités, et à replacer ses troupes derrière la ligne de cessez-le-feu »6. Une déclaration du même ordre est proposée lors de la réunion d’urgence du Conseil de sécurité de l’ONU par le représentant russe Nikolaï Fedorenko, les représentants américain et britannique s’opposent toutefois à l’inclusion dans la résolution d’une clause concernant le retrait des troupes.

« En dépit du fait évident que l’Union soviétique et les États-Unis ont soutenu des partis opposés dans la guerre de 1967, les deux superpuissances ont cherché à empêcher que cette guerre se transforme en une confrontation mondiale », a écrit Evgueni Maximovitch Primakov. « Il y avait une hotline directe entre les dirigeants des deux pays »7

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— Le 6 juin, le Conseil de sécurité adopte à l’unanimité une résolution appelant tous les gouvernements concernés à prendre sans délai les mesures nécessaires pour un cessez-le-feu immédiat et la cessation des hostilités au Proche-Orient. Cependant, l’offensive israélienne continue.

— Le 7 juin, le Conseil de sécurité se réunit de nouveau, à la demande des représentants soviétiques, pour fixer l’heure exacte de la fin des hostilités en convenant à l’unanimité que ce devrait être à 8 h GMT le jour même. La Jordanie accepte la proposition le 7 juin et, le 8 juin, le gouvernement égyptien informe U Thant, le secrétaire général de l’ONU, qu’il a accepté un cessez-le-feu sous la condition que l’autre partie en fasse de même. Cet accord n’a toutefois pas de clause sur le retour au statu quo ante.

— Le 8 juin, le gouvernement soviétique publie un communiqué avertissant Israël qu’à moins que la demande d’un cessez-le-feu immédiat ne soit mise en œuvre comme l’exige l’ONU, l’URSS réexaminera ses relations avec Israël et verra s’il y a lieu de rompre ou non les relations diplomatiques8. (...) Mais bien que le Conseil de sécurité ait demandé pour la troisième fois que les hostilités cessent immédiatement, Israël poursuit son offensive dans le territoire syrien et bombarde également Damas.

Rupture des relations diplomatiques avec Israël

— Lors de la réunion du Conseil de sécurité du 10 juin, le représentant soviétique demande des mesures urgentes et fermes pour « stopper l’agresseur »9, néanmoins le représentant des États-Unis, bien que faisant appel aux deux parties pour un cessez-le-feu, est opposé à la condamnation d’Israël. L’URSS rompt ses relations diplomatiques avec Israël ce 10 juin. Le même jour, Israël cesse toute hostilité sur tous les fronts, trois heures après la réception de la note soviétique, les dirigeants du pays ayant accompli la tâche militaire et stratégique qu’ils s’étaient fixée.

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Dans quelle mesure Israël comptait-il sur le soutien des États-Unis en commençant cette guerre ? La décision a été prise par une direction israélienne confiante dans ses chances de succès ; elle misait toutefois sur Washington en cas de complications. Washington était pour sa part intéressé à porter un coup au prestige et aux positions de l’Union soviétique — résultat inévitable de la défaite de ses alliés et amis arabes — avec l’hypothèse qu’un tel résultat pourrait être suivi d’un changement de régime en Égypte et en Syrie. L’objectif d’évincer l’Union soviétique du Proche-Orient est resté à l’ordre du jour de la politique américaine.

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Il est facile, avec le recul, de soutenir que les dirigeants soviétiques ont eu tort de rompre les relations diplomatiques avec Israël. Ils auraient pu rappeler leur ambassadeur et réduire le niveau des relations, mais laisser un bureau de liaison en Israël sous un drapeau neutre (par exemple finlandais) afin de maintenir une chaîne de contacts permanents avec le gouvernement israélien et d’autres forces politiques, ce qui aurait facilité la participation soviétique à un processus de paix ultérieur. Le geste soviétique est généralement interprété par les universitaires occidentaux comme étant en faveur des Arabes. Un haut fonctionnaire du ministère soviétique des affaires étrangères en a donné une explication différente :

Haut fonctionnaire. – Il est arrivé que le ministère des affaires étrangères prenne des mesures qui se sont révélées nocives pour notre politique étrangère, comme la rupture des relations diplomatiques avec Israël en 1967. Clairement, cela a été une erreur qui nous a coûté un bras. Pourquoi l’avons-nous fait ? Je me souviens d’une histoire racontée par Lev Mendelvich qui, à l’époque, était au courant des décisions prises en la matière. Lors d’une réunion du Politburo, Andreï Gromyko, au dernier moment, a proposé la rupture avec Israël afin d’éviter de s’impliquer dans l’aventure militaire à grande échelle que voulaient nos « faucons ». C’était un moyen de les pacifier.

Auteur. – Qui faisait partie des faucons à cette époque ?

Haut fonctionnaire. — Mendelvitch n’a pas mentionné de noms… Gromyko avait peur que nous entrions en conflit avec les États-Unis et que la crise antimissile de 1962 se répète. La rupture des relations avec Israël a plus été un mouvement dans le jeu de la politique intérieure qu’un geste en faveur des Arabes.

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Sionisme réactionnaire contre progressisme arabe

Impuissante à épargner aux pays arabes la défaite dans ce combat, l’URSS a cependant réussi à les aider à échapper à un effondrement politique et stratégique. Peu de temps après la fin de la guerre, Moscou a expédié quantité d’armes et de matériels militaires en Égypte et en Syrie, et envoyé de nombreux conseillers dans ces deux pays, en plus d’une aide économique exceptionnelle. Les médias soviétiques se sont lancés dans une campagne anti-israélienne et antisioniste, accusant les Israéliens d’« actions barbares »10, tandis que la Pravda évoquait un « génocide »11.

Le ministre israélien de la défense Moshe Dayan a été baptisé « Moshe Adolfovitch », sous-entendant qu’il était le fils (spirituel) d’Adolf (Hitler)12, et le sionisme international dépeint selon les cas comme une bande de malfrats, un outil aux mains des banquiers de Wall Street, et parfois en contrôle de Wall Street. Le sionisme était conçu non comme une idéologie, mais comme une conspiration criminelle dirigée contre tous les peuples pacifiques. Inspiré par l’enseignement judaïque, il aurait toujours été une marque de racisme : son but était la domination du monde. Or, expliquaient les médias soviétiques, « l’agression israélienne » n’avait pas atteint son objectif principal car les régimes arabes « progressistes » n’avaient pas été renversés13.

La politique de l’URSS au Proche-Orient a été le sujet principal de la réunion plénière du comité central du Parti communiste de l’Union soviétique (PCUS) du 21 juin 1967, et la résolution qui en est issue déclarait que « l’agression israélienne » était « le résultat d’une conspiration des forces les plus réactionnaires de l’impérialisme mondial, au premier rang desquels les États-Unis, dirigée contre un détachement du mouvement de libération nationale, contre l’avant-garde des États arabes qui ont choisi la voie d’une transformation socio-économique progressive dans l’intérêt des masses laborieuses et qui poursuivent une politique anti-impérialiste »14. (...) Par la suite, ces théories et arguments ont été réitérés sans cesse par des intellectuels et des journalistes soviétiques. En 1990, nous en avons discuté avec Evgueni D. Pyrlin, ex-directeur adjoint du département Proche-Orient du ministère des affaires étrangères devenu chercheur :

Auteur. – Après tant d’années, pensez-vous toujours que les États-Unis avaient un intérêt dans la guerre de 1967 ?

Evgueni Pyrlin. — Très probablement. Il y avait une grande part de vérité dans ce que nous écrivions alors. Ils voulaient certainement embarrasser ou renverser Nasser et les baasistes syriens, soit l’un après l’autre soit les deux ensemble.

Auteur. – Pourtant, les chefs politiques comme les intellectuels israéliens affirment que leurs troupes n’étaient pas concentrées à la frontière syrienne.

Evgueni Pyrlin. — Israël pouvait mobiliser son armée en l’espace d’une journée. Pour entrer en guerre, les Israéliens n’avaient besoin que d’une décision politique, qui semblait avoir été déjà prise. Alors, Nasser leur a fourni un prétexte en exigeant le retrait des forces des Nations unies et en bloquant le détroit de Tiran. Nous aurions pu interférer et demander clairement à Nasser d’annuler sa décision. Mais nous n’avons pas osé, parce que nous avions peur de nous attirer son hostilité15.

Un prestige entamé mais toujours important

L’opinion publique arabe ainsi que de nombreux leaders politiques ont accusé l’Union soviétique d’avoir échoué à empêcher la défaite de ses amis arabes. Les échecs et les défaites sont la faute du destin (qadar), des impérialistes, de l’Union soviétique — n’importe quoi sauf les Arabes eux-mêmes. Pourtant, à ce moment-là, l’ampleur de la défaite militaire et l’humiliation arabes étaient telles qu’une vague d’autocritique a déferlé quelques mois plus tard, on n’y comptait néanmoins que très peu de voix d’intellectuels de gauche.

La presse soviétique a expliqué que les succès militaires d’Israël étaient dus à une attaque soudaine, à l’approvisionnement en armes par l’Occident, à sa coopération avec les États-Unis, au chauvinisme de sa population, etc., alors que Nasser aurait été trahi par l’élite — la « bourgeoisie » — militaire, en particulier par le commandement des forces aériennes. On soulignait que des slogans extrémistes anti-israéliens avaient causé d’énormes dommages à la cause arabe, et des allégations couraient selon lesquelles les régimes progressistes en Égypte et en Syrie avaient été vaincus parce qu’ils n’étaient pas assez progressistes. Pour devenir plus forts et pour retrouver leurs territoires perdus, les régimes devaient purger toutes les structures politiques et militaires des réactionnaires et des éléments antisoviétiques.

(...)

Bien que la défaite de ses alliés ait entamé son prestige, l’influence de l’Union soviétique dans la région, accumulée au cours de la décennie précédente, ne s’est pas effondrée à la suite de la guerre de 1967, bien au contraire. Les processus sociopolitiques qui avaient gagné en force dans les années 1950 et au début des années 1960 ont continué sur leur élan et ont même été accélérés par la guerre, l’opinion publique arabe la considérant comme « une agression d’Israël en collusion avec les États-Unis », ce qui était conforme à la version soviétique des événements. Le renforcement des sentiments anti-occidentaux (« anti-impérialistes ») a été propice à un nouveau coup d’État baasiste en Irak en juillet 1968, à un autre venu de la gauche radicale au Soudan en mai 1969 et à une révolution en Libye le 1er septembre 1969. L’attrait de nombreux éléments du modèle sociopolitique de l’Union soviétique ne s’était pas encore complètement évanoui. Les succès militaires et politiques du Vietnam et de Cuba n’avaient-ils pas démontré le potentiel de mobilisation des régimes de gauche radicaux ? Et l’Égypte, leader du monde arabe, n’allait-elle pas toujours plus loin dans cette voie ?

Un entre-deux diplomatique

La réalité était tout autre. Les dirigeants soviétiques avaient démontré qu’ils ne laissaient pas les régimes amis s’effondrer et qu’ils possédaient les moyens et les capacités nécessaires pour éviter une telle éventualité. L’Égypte et la Syrie ont reçu une aide militaire qui devait restaurer et accroître leur potentiel militaire. La mise en œuvre de grands projets — certains très importants, comme les barrages d’Assouan et de l’Euphrate, l’usine d’acier de Helwan, etc. – a continué avec la coopération soviétique. De plus en plus d’Égyptiens, de Syriens et d’Irakiens étaient éduqués en URSS. Cependant, d’autres tendances étaient en plein essor qui allaient dès la première moitié des années 1970 commencer à éroder l’influence soviétique au Proche-Orient. Ce n’était pas tant que les régimes autoritaires révolutionnaires n’étaient pas en mesure de résoudre leurs problèmes internes – ce qui était en partie vrai – mais qu’après tout, les échecs pouvaient être attribués aux « intrigues impérialistes et sionistes » et à l’état de guerre. Ces crises internes apparaîtront plus tard.

Le nœud du problème résidait dans la contradiction inhérente à l’attitude soviétique à l’égard du conflit. Tout en armant l’Égypte et la Syrie, l’URSS ne souhaitait ni ne prévoyait de solution militaire, de prépondérance décisive des Arabes ou de modification du statu quo. Tout d’abord, les dirigeants avaient peur d’une nouvelle défaite arabe. Deuxièmement, dans l’éventualité d’une défaite, l’URSS aurait dû augmenter le niveau de sa participation afin de sauver ses amis et ses investissements. Mais troisièmement, des actions de ce genre pouvaient provoquer une réaction des États-Unis et conduire à une confrontation. Quatrièmement, un accord aurait réduit la dépendance des pays arabes à l’égard de l’URSS. En fait, l’URSS était intéressée à maintenir une situation de « ni paix ni guerre », bien qu’officiellement sa diplomatie n’ait négligé aucun effort pour régler le conflit.

(…)

Nasser « dans la bonne direction »

La difficile confrontation avec Israël et l’Occident a contraint Nasser à poursuivre son rapprochement avec l’URSS. Pour l’Union soviétique, bien sûr, la coopération avec l’Égypte est restée la priorité absolue dans la région, et grâce à l’approvisionnement en armes soviétiques et à ses conseillers militaires, l’armée égyptienne est rapidement redevenue opérationnelle. Des délégations de haut niveau ont continué d’être échangées entre les deux pays, et la coopération de Nasser avec les gauchistes et les marxistes a créé l’illusion à Moscou selon laquelle l’Égypte continuait dans la « bonne » direction. Nous en avons discuté avec Boris Nikolayevich Ponomarev :

Boris N. Ponomarev. — Nasser était un leader progressiste, un ami de l’URSS. Il souhaitait que l’Égypte prenne le chemin du progrès social.

Auteur.Pour vous, le progrès social signifie un rapprochement graduel avec le modèle soviétique ?

Boris N. Ponomarev. — Oui, bien sûr. Il était évident que Nasser allait dans la bonne direction pour nous en se rapprochant de l’URSS, ainsi que de la lutte anti-impérialiste, de la lutte pour le socialisme. C’est ce que j’avais dit à nos autorités supérieures16.

Les armes soviétiques étaient également déversées en Syrie pour compenser les pertes matérielles de la guerre, et Andreï Antonovitch Grechko, le ministre de la défense, s’est rendu à Damas en mars 1968. L’une des causes de la défaite syrienne avait été le retrait du front de plusieurs unités de combat pour renforcer les dirigeants baasistes et la sécurité intérieure, car le leadership syrien avait plus peur des ennemis intérieurs que d’Israël. Cette politique a prouvé son efficacité et l’opposition est devenue faible et mal coordonnée. (...) Cependant, pour l’URSS, la Syrie restait un allié difficile dont les actions étaient hors de contrôle, souvent imprévisibles et la cause de complications. Les slogans ultra-gauchistes venus de Damas (comme une « guerre du peuple » contre Israël) n’ont pas été reçus avec beaucoup d’enthousiasme à Moscou.

La guerre d’usure (1969-1970)

Nasser a déclaré en avril 1970 : « grâce à l’aide soviétique, nous sommes parvenus à restaurer la capacité de défense de la République arabe unie (RAU)17 et nous sommes maintenant en position de répondre aux attaques d’Israël par des opérations de grande envergure »18. Peu de temps après, Israël, confiant dans la supériorité combattante de son armée, de son organisation militaire et dans sa suprématie aérienne, a décidé de pousser plus loin la « guerre d’usure » en territoire égyptien en attaquant des cibles militaires, économiques et civiles.

Les raids des forces aériennes israéliennes en Égypte ont atteint un sommet en décembre 1969, ce qui a aggravé la situation politique intérieure et porté atteinte au prestige de Nasser à un point tel qu’il a franchi le pas de demander à l’URSS, lors d’une visite secrète à Moscou le 22 janvier 1970, de lui envoyer des forces régulières de défense aérienne et ses avions militaires. Satisfaire à sa demande supposait d’outrepasser toutes les obligations antérieures de l’URSS, si bien que la décision devait être prise par tous les membres du bureau politique du comité central du PCUS et par le commandement des forces armées soviétiques19. Encore une fois, il ne s’agissait pas seulement de sauver le régime de Nasser, mais aussi les intérêts militaires et stratégiques de l’Union soviétique elle-même. C’est ce qui a déterminé la décision de la direction soviétique.

1Israël et les pays arabes avaient signé de simples accords d’armistice.

2Walter Laqueur, The Road to War 1967, Londres, Croom Helm, 1968 ; p. 75.

3Ibid., p. 82.

4La Pravda, 24 mai 1967.

5Y. M. Primakov, Konfidentsialno : Blizhnij Vostok na scene i za kulisami (vtoraja polovina XX – nachalo XXI veka), Moskva, 2012 ; p. 120, 122.

6Vneshnaia politika Sovetskogo Soiuza i mezhdunarodnie otnoshenia ; Sbornik documentov, Moscou, Mezhdunarodnye otnoshenia, 1067 ; p. 147-148.

7Op. cit.  ; p. 122.

8Vneshnaia politika Sovetskogo Soiuza..., op.cit., p. 148-149.

9Ob’edinennie Natsii, Doklad Soveta Bezopasnosti, 16.6.1966 po 15.7.1967 ; GA Ofitsial’nie otchety, XXII sessia. Dopolnenie N 2 (A/6702), N.Y. : 1967 ; p. 70.

10Izvestia, 10 juin 1967.

11Pravda, 16 juin 1967.

12NDT. En russe, le patronyme est dérivé du prénom du père, auquel on ajoute « ovitch » pour les hommes et « ovna » pour les femmes. Il est placé entre le prénom et le nom de famille, et signifie donc : « fils de ».

13Izvestia, 3 juillet 1967.

14Pravda, 22 juin 1967.

15Interview, mai 1990.

16Interview de juillet 1990.

17NDT. Nom de l’État éphémère (1958-1961) créé par l’union de l’Égypte et de la Syrie, puis, pendant une courte période, du Yémen. L’Égypte a continué à s’appeler ainsi jusqu’en 1971.

18Al-Ahram, 12 avril 1970.

19Mohammed Hassanein Heikal, The Road to Ramadan, London, Collins, 1975 ; p. 88.

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