
Début mai 2025, une fumée blanche est apparue au-dessus du Vatican, la capitale des catholiques du monde. Quelques minutes après, la formule traditionnelle — « Je vous annonce une grande joie : nous avons un pape » —, a retenti, marquant la fin du pontificat du pape François et l’élection de l’Étatsunien Robert Francis Prevost, désormais pape Léon XIV. En Égypte, sa nationalité a suscité des regrets parmi des coptes catholiques qui auraient préféré voir leur plus haut chef spirituel issu d’un pays du Sud.
Décrite comme une « minorité dans la minorité » ou parfois comme une minorité « fabriquée »1 l’Église copte catholique ne compte que 200 000 fidèles — soit moins de 1 % de la population, contre 10 % pour les coptes orthodoxes. Malgré ce nombre relativement modeste, les réactions négatives à l’élection d’un pape étatsunien confirment le fait que cette communauté n’est pas isolée de son environnement, où l’hostilité à l’égard des États-Unis est forte.
Le photographe Roger Anis partage ces regrets, mais indique cependant être conscient de l’extrême difficulté qu’il y a à « succéder à un pape d’exception ». Né à Al-Minya, un gouvernorat décrit comme le principal foyer de violences confessionnelles entre musulmans et chrétiens, ce trentenaire a grandi dans un « milieu pluraliste et tolérant » : chacun de ses deux parents appartient à l’un des deux groupes coptes égyptiens. Pourtant, se souvient-il, il a déjà entendu un prêtre, lors d’une messe dans une église orthodoxe, dire que « celui qui ne suit pas cette Église ne sera pas béni ». Comme si les coptes catholiques en Égypte étaient assiégés de tous les côtés.
Schismes et missionnaires
Si les historiens divergent quelque peu sur le début de l’établissement du catholicisme en Égypte, il y a consensus sur le fait qu’au moment du « Grand schisme » au sein du christianisme entre l’Église catholique d’Occident et l’Église orthodoxe d’Orient (XIe siècle), une minorité de coptes rejoint le Vatican. Mais certaines sources2 indiquent que tout au long du Moyen Âge, les coptes étaient vus comme des « hérétiques » en raison de la division première au sein du christianisme sur la nature du Christ : des coptes, plus tard qualifiés d’orthodoxes, avaient rejeté les conclusions du concile de Chalcédoine en 451 définissant la doctrine du dyophysisme ou celle de la double nature du Christ, divine et humaine.
La présence catholique en Égypte se développe ensuite au XIIIe siècle avec l’arrivée des missions franciscaines3. Elle se renforce ensuite au XVIe siècle, lorsque le Vatican commence à s’intéresser à l’Orient. En 1741, le pape nomme ainsi un vicaire apostolique pour la petite communauté de coptes catholiques égyptiens, composée d’à peine 2 000 personnes.
La véritable transition a lieu au XIXe siècle, durant le règne de Mohammed Ali (1805-1848), gouverneur d’Égypte4, puis de celui du khédive Ismaïl Pacha (1863-1879), son petit-fils. Dans le cadre des efforts qu’ils déploient pour se rapprocher de l’Europe — avec le double objectif de moderniser le pays et de rechercher un soutien face à l’empire ottoman — la présence catholique bénéficie d’un appui affirmé de la part des deux hommes. Ils encouragent ainsi les chrétiens souhaitant se convertir et rejoindre l’Église catholique, et, en 1829, Mohammed Ali autorise les coptes catholiques à construire leurs propres églises.
Pour Mohammed Afifi, professeur d’histoire à l’Université du Caire :
L’idée n’était pas d’imposer de rejoindre l’Église catholique, mais sa politique d’ouverture a permis des migrations vers l’Égypte, dont celle de fidèles de l’Église catholique. Ce qui a fait de la conversion un acte de sociabilité, fruit de la proximité et du contact plutôt qu’un acte à caractère religieux.
Le choix du catholicisme
Selon l’historien, l’Égypte est, à cette période, un pôle d’attraction pour le prosélytisme catholique. Cependant, il note le succès limité des missions en raison de l’attachement des coptes à l’orthodoxie. En outre, « l’Église orthodoxe était catégoriquement opposée à la conversion de ses fidèles au catholicisme ».
Il souligne également qu’à cette époque, ceux qui entrent en interaction avec les missions catholiques sont essentiellement chrétiens. Bien que les missions évangéliques œuvrent principalement dans les milieux pauvres de Haute-Égypte, où se concentrent les coptes, Mohammed Afifi note qu’une majorité de ceux qui choisissent de rejoindre l’Église catholique appartiennent aux membres les plus riches et les plus ouverts d’esprit de leur communauté. La plupart ont fait leurs études à l’étranger et sont influencés par la civilisation européenne. D’autres fréquentent des gens venus travailler en Égypte, notamment pendant le creusement du canal de Suez (inauguré en 1869) et, auparavant, lors de la campagne française en Égypte en 1798. Ainsi, l’Église copte catholique incarne, selon le site de l’église copte catholique St Mary (Los Angeles), « un mélange unique entre le patrimoine chrétien égyptien et la tradition catholique romaine ». Si elle est rattachée au Vatican, son identité reste copte en matière de rituels et d’héritage.
La conversion de Maallem Ghali, un copte de haut rang travaillant au bureau de comptabilité de Mohammed Ali, est considérée comme la plus importante de l’époque. Pour Atef Najib, chercheur en histoire et ancien directeur du Musée copte du Caire, si elle répond à une demande de Mohammed Ali, elle s’explique aussi par l’influence de la culture européenne. Maallem Ghali et d’autres coptes aisés ont été séduits par le catholicisme lors d’un voyage à l’étranger ou au contact de catholiques vivant en Égypte : Italiens, Maltais ou Français arrivés en Égypte au XVIIIe siècle, Syriens chrétiens ayant fui les persécutions au XIXe siècle, notamment les Arméniens.
Dans son roman semi-autobiographique Un village à l’ouest du Nil (1996, non traduit) — vivement critiqué par l’Église orthodoxe —, le Père Yohanna Kolta évoque aussi des expériences de conversion de l’orthodoxie au catholicisme davantage liées à la situation sociale qu’à des choix doctrinaux. Par exemple, des convertis choisissent le catholicisme parce qu’ils se sentent plus à l’aise avec les moines catholiques qu’avec les moines orthodoxes.
Mohammed Afifi pointe également qu’un des grands défis des missionnaires catholiques est l’expansion des missions protestantes en Égypte au XIXe siècle :
Le prédicateur protestant ne portait pas d’habit ecclésiastique traditionnel, mais un costume de ville, et parlait de questions profanes plutôt que religieuses, ce qui était pour beaucoup un facteur d’attraction.
Il ajoute : « On dit que Hassan Al-Banna, le fondateur de la confrérie des Frères musulmans, a été influencé par les méthodes de prédication des missionnaires protestants. »
La dimension culturelle
Atef Najib souligne que le Musée copte égyptien ne compte aucun vestige d’une présence catholique en Égypte. Mais Dalia Mahmoud, une ancienne élève d’une école catholique en Égypte, rappelle l’existence d’un dépositaire de l’empreinte culturelle des catholiques égyptiens : le Centre catholique égyptien du cinéma, installé dans l’Église Saint-Joseph des franciscains au Caire. Début mai 2025 s’est tenue la 73e session de son festival, fondé en 1952. Il est considéré comme l’un des plus anciens en Égypte et au Proche-Orient. Son président, le Père Boutros Daniel, compte parmi les plus importantes personnalités culturelles du pays.
Roger Anis, de son côté, mentionne les « espaces culturels » que la présence catholique a créés en Égypte. Il évoque, notamment, le Centre culturel des Jésuites, où de nombreux enfants de sa génération ont étudié différentes variétés d’art et de culture, mais aussi la grande bibliothèque des Dominicains dans le quartier d’Al-Abbassiya au Caire. Spécialisée dans les études islamiques et celles des textes arabes, elle est partenaire de plusieurs institutions comme l’Université d’Al-Azhar, l’Institut français d’archéologie orientale (IFAO) et la Bibliothèque nationale de France (BNF).
Le photographe confie que le « nombre de catholiques assistant à la messe est en déclin ». Il attribue cette baisse à l’émigration depuis le milieu du XXe siècle, au vieillissement des fidèles et à la tendance des jeunes à ne fréquenter l’église que pour les fêtes. Mais il insiste sur le fait que « l’intérêt des instances catholiques en Égypte pour la culture est la chose la plus chère au cœur du catholique copte ».
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1Ana Carol Torres Gutiérrez, « The other Copts : Between sectarianism, nationalism and catholic Coptic activism in Minya. », The American University in Cairo, 2017.
2Site du Fellowship and Aid to the Christians of the East (Solidarité et aide aux chrétiens d’Orient), Londres.
3Voir le site web de l’église copte catholique St Mary, Los Angeles
4NDLR. L’empire ottoman donnait à Mohammed Ali le titre de wali, c’est-à-dire de gouverneur, mais lui se désignait comme khédive (suzerain, seigneur ou vice-roi en persan), même si ce titre n’a été officiellement reconnu qu’en 1867 à son petit-fils Ismaïl Pacha et la création d’un khédivat d’Égypte (1867-1914).