Syrie. L’avenir brouillé des combattants djihadistes

La victoire de Hayat Tahrir Al-Cham (HTC) sur le régime de Bachar Al-Assad a permis l’installation d’un nouveau pouvoir qui est confronté à des défis majeurs, comme l’ont montré les massacres de mars 2025 sur la côte ouest du pays. Une série d’entretiens menés avec des djihadistes permet de comprendre l’hétérogénéité de HTC et les différentes tendances qui cohabitent au sein de l’organisation.

Deux hommes assis sur un quad, l'un tenant une arme, l'autre un drapeau. En arrière-plan, un mur avec un grand drapeau portant des étoiles rouges sur fond vert et noir. L'ambiance semble militaire et tendue.
Damas, 18 janvier 2025. Des combattants de HTC garde le mausolée chiite de Sayyeda Rokayya, la fille de Hussein, dans la vieille ville de Damas.
Toutes les photos sont de © Julia Zimmermann

« Tout ce que je fais, je le fais pour mes enfants. Pour nous, c’est fini… C’est trop tard. On a perdu notre jeunesse », confie Abou Karim, un combattant de Hayat Tahrir Al-Cham (HTC) originaire d’Idlib. Il a perdu une fille lors des bombardements du régime de Bachar Al-Assad.

S’il existe un dénominateur commun aux combattants djihadistes de HTC, comme l’a révélé cette série d’entretiens, c’est leur expérience de la violence. Une violence inouïe, constante, produite par la répression du régime d’Al-Assad. À plusieurs reprises, un événement marquant semble être le déclencheur du passage de l’activisme politique à la lutte armée.

Abou Faysal, haut responsable au sein de l’administration des opérations militaires de HTC, partage une histoire similaire. Originaire d’Idlib et âgé d’une quarantaine d’années, il se souvient :

J’étais chauffeur de camion et je transportais des marchandises entre la Syrie et l’Irak. Un jour, j’ai été arrêté à un poste de contrôle militaire à Tartous. C’étaient des alaouites. Parce que j’étais d’Idlib, ils m’ont emprisonné. J’ai été torturé et humilié. Ce n’est que quelques jours plus tard que j’ai été libéré grâce à mon employeur, qui avait des connexions avec le régime.

C’est après cet événement qu’Abou Faysal dit avoir décidé de prendre les armes et de rejoindre une brigade d’insurgés de son quartier à Idlib, lancée en 2011 par un officier du régime d’Assad ayant fait défection.

Un glissement idéologique

Bien que le soulèvement populaire de 2011 ait d’abord été un mouvement pacifique et multicommunautaire, l’extrême violence de la riposte armée du régime d’Assad a conduit à la fragmentation, à l’exil et à la militarisation progressive de l’opposition. Certains des manifestants, en particulier ceux issus de milieux les plus modestes, ont pris les armes et sont devenus des combattants, s’engageant principalement dans l’Armée syrienne libre (ASL), tandis que d’autres rejoignaient des factions islamistes.

Les services de renseignements de Bachar Al-Assad ont ensuite méthodiquement ciblé et éliminé les factions les plus modérées de l’insurrection, tout en libérant de prison les djihadistes les plus radicaux. Beaucoup de ces djihadistes avaient été utilisés par Damas dans les années 1990 et 2000 pour déstabiliser le régime baathiste en Irak et attaquer les forces américaines après qu’elles ont envahi le pays en 2003 et destitué Saddam Hussein.

L'image montre quatre hommes marchant ensemble dans un couloir large et éclairé. Ils portent des uniformes militaires et semblent se diriger vers une sortie. Le sol est en marbre, et les murs sont ornés, créant une ambiance à la fois solennelle et majestueuse.
Damas, 19 janvier 2025. Des combattants de HTC dans la mosquée des Omeyyades.

Dans le même temps, la propagande du régime s’emploie à discréditer la rébellion en la présentant comme une menace terroriste sunnite, et en qualifiant ses membres de « takfiri »1 dans une tentative de l’homogénéiser et de la délégitimer. Pour accentuer cette fracture, l’État cherche à rallier les communautés dites « minoritaires » (chrétiens, druzes, alaouites). À chaque quartier, chaque ville, les services de renseignements et la direction militaire adaptent leur stratégie, s’appuyant sur des décennies de savoir sécuritaire. Le régime assiège, bombarde ou monte des milices civiles contre les quartiers rebelles, le plus souvent sunnites. Ce climat de violence favorise un glissement idéologique d’une partie de l’opposition récupéré par les factions les mieux organisées sur place, les factions islamistes : de simple combattant, on devient peu à peu djihadiste.

Dans ce contexte, Idlib, située dans le nord-ouest du pays, non loin de la frontière turque, est devenue un des centres névralgiques de l’insurrection rebelle et en particulier islamiste. Fusion de plusieurs groupes insurgés djihadistes, HTC et d’autres groupes de l’insurrection y forment le Gouvernement du salut syrien à partir de 2017 et dominent la région jusqu’à l’offensive sur Damas en décembre 2024 et la chute du régime d’Assad.

Les bombardements chimiques, gravés dans la mémoire

Abou Nassim, un jeune homme de 20 ans originaire d’Alep, témoigne : « Je vivais dans les quartiers est, encerclés par le régime et ses milices. Un jour, comme tant d’autres, nous avons été bombardés. Mon frère a été tué. » Son visage se crispe, ses yeux s’emplissent de larmes, et il peine à parler. Après 2018, sa famille a été déplacée à Idlib. Là, il dit qu’il était presque inévitable d’être associé à HTC :

Dès que vous entriez dans un quartier, vous étiez considéré comme un sympathisant. Il y avait le quartier général de l’organisation et la mosquée, tous deux sous l’autorité de l’émir local, Moukhtar Al-Turki. Un Turc.

Initialement recruté comme garde du chef local, Abou Nassim travaille désormais dans les services de renseignements militaires de HTC.

Dans le quartier de Jobar, à Damas, Abou Mohamed et Abou Omar montrent ce qu’il reste de leur maison. Dans ce district autrefois vibrant, majoritairement sunnite, il y avait ici une librairie, là un photographe. Maintenant, il n’y a plus rien. Le régime a assiégé le quartier pendant près de six ans et mené des bombardements intenses, y compris aux gaz chimiques et neurotoxiques.

L'image montre un homme en uniforme militaire se tenant debout dans un paysage de ruines, avec des bâtiments détruits en arrière-plan. Le sol est rempli de débris, et l'environnement est aride et désertique. L'homme porte un fusil et regarde vers l'horizon.
Damas, 21 janvier 2025. Abou Mohamed dans les ruines du cimetière de Jobar (banlieue de Damas)

Une scène, relative aux bombardements chimiques, est gravée dans la mémoire d’Abou Mohamed :

Pendant les premiers jours des attaques, on est sortis en courant, paniqués, ne sachant pas ce qui se passait. Une odeur étrange emplissait l’air. J’ai vu une personne inconsciente allongée sur le sol. Je l’ai soulevée, l’ai mise dans une voiture et me suis précipité vers l’hôpital le plus proche. Il y avait des corps de personnes décédées alignés au sol. En conduisant, ma vue a commencé à se brouiller et mes yeux brûlaient. La douleur est devenue insupportable — je pouvais à peine voir la route… et par accident, j’ai écrasé l’un des corps. Un homme en larmes m’a crié : « Tu es en train de rouler sur un cadavre ! » J’ai ressenti une immense culpabilité… qui ne m’a pas quitté.

Retour à Tadamon

En 2018, suite à un accord conclu entre le pouvoir syrien et le groupe HTC, tous les quartiers contrôlés par les rebelles ont été évacués, et leurs habitants, relocalisés dans la province d’Idlib. Dans beaucoup de ces zones, le régime a orchestré un changement démographique guidé par une logique confessionnelle, la majorité des populations implantées étant des chiites ou des alaouites.

À Tadamon, un district de Damas marqué par de violents affrontements, Abou Fahd, combattant de HTC, parcourt les principaux lieux de bataille.

Ici, le régime a installé des milices, les Forces de défense nationale. Ils répandaient la terreur : enlèvements, exécutions, bombardements, raids punitifs ciblant notre partie du quartier, qui était contrôlée par des rebelles. Ils ont commis des massacres. Dans ma famille, 28 personnes ont été tuées. Certains de ces miliciens étaient mes camarades de classe quand on était enfants.

Un homme en manteau noir lève le bras vers le ciel, tenant une colombe blanche. Le fond est un ciel bleu clair.
Damas, 20 janvier 2025. Abou Fahd sur son toit avec ses pigeons à Tadamon.

Tadamon est tristement célèbre pour les massacres de masse perpétrés par les milices loyalistes, qui capturaient des civils des quartiers rebelles, les forçant à creuser leurs propres fosses communes avant de les exécuter et de brûler les corps afin d’effacer toute trace de leur crime. « L’État a vendu des quartiers entiers à des divisions de l’armée ou à des groupes de miliciens. Ensuite, ces hommes pouvaient faire ce qu’ils voulaient aux civils : tuer, violer, voler, terroriser », déclare un résident âgé qui a perdu trois enfants.

Abou Fahd ne possède plus grand-chose ; son ancien appartement est maintenant occupé par une famille civile pauvre. Il n’a pas l’intention de les expulser. Sur le toit de son immeuble, il garde des pigeons qu’il relâche dans le paysage dévasté. Il les regarde voler longtemps. « Soubhanallah [Gloire à Dieu], c’est beau ». Il dit que cela lui rappelle le passé — sa vie, la simplicité et les jours paisibles révolus.

Armée nationale, vie civile ou djihad global ?

La chute du régime d’Al-Assad a entraîné un renversement des relations sociales et politiques, accordant davantage de pouvoir à des populations autrefois marginalisées. C’est en particulier le cas des populations sunnites du Nord (comme celles d’Idlib), longtemps reléguées à la marge socialement et spatialement, voire méprisées. Elles sont désormais propulsées sur le devant de la scène politique et militaire. De même, de nombreux hommes en provenance d’autres régions et déplacés vers Idlib ont pu se politiser et s’intégrer socialement grâce au djihad et à l’action militaire sous le commandement de HTC. Les victoires militaires et le succès de leurs troupes ont dans le même temps permis une forme de valorisation des combattants issus de ces populations, qui se posent désormais la question de leur avenir.

Au dire des personnes rencontrées dans le cadre de notre enquête, trois principales orientations se dessinent.

La majorité des combattants souhaite poursuivre une carrière militaire. Après des années de conflit, beaucoup espèrent en effet rejoindre l’armée nationale une fois qu’elle sera mise en place. De nombreux combattants sont déjà intégrés à l’administration des opérations militaires de HTC ou à des factions affiliées. « Je veux juste être soldat et retrouver une routine. La guerre est finie maintenant », explique un combattant posté au mausolée chiite de Sayyeda Rokayya, la fille de Hussein, dans la vieille ville de Damas.

Ces groupes disent vouloir opérer dans un cadre national, en respectant les frontières, le drapeau et les symboles de l’État-nation. À cet égard, ils ont des points communs avec d’autres mouvements islamistes-nationaux, comme le Hamas ou les talibans. Leur vision reste ancrée dans la souveraineté nationale, plutôt que dans un agenda internationaliste ou transnational.

L'image montre un homme en tenue militaire, appuyé contre un bâtiment en ruines. Le paysage est dévasté, avec des structures détruites et des débris partout, sous un ciel dégagé. L'ambiance semble tendue et tragique.
Damas, 21 janvier 2025. Abou Ahmed marchant dans les ruines de Jobar (banlieue de Damas)

La deuxième orientation consiste à retourner à la vie civile. « J’aimerais rouvrir ma boutique de téléphones, comme avant la révolution », dit Abou Fahd. D’autres, comme un chef de section surnommé « cheikh » par ses hommes, partagent cette aspiration : « Je n’aime pas les armes. On les a prises parce qu’on n’avait pas le choix. Mais dès qu’un gouvernement et un État stable seront en place, je serais le premier à les déposer, je le promets. »

Enfin, un dernier groupe reste déterminé à poursuivre le combat au-delà des frontières syriennes. Deux objectifs principaux : la Palestine et l’Iran. Pour Abou Nassim, le jeune Alépin, « la guerre n’est pas terminée. La prochaine étape, c’est la Palestine. » Pour d’autres, l’Iran, décrit comme l’ennemi « chiite », accusé d’intentions impérialistes et « anti-islamiques », est perçu comme l’adversaire principal — considéré comme un obstacle historique aux ambitions islamistes sunnites dans la région. Ces discours, répandus depuis le soutien iranien au régime baathiste syrien en 1980 et au gouvernement irakien post-2003, ont été amplifiés par le soutien massif de l’Iran au régime de Bachar Al-Assad, ainsi qu’aux milices chiites en Irak responsables de nombreuses exactions contre les populations sunnites.

Téhéran et ses milices ont également profité des conflits dans ces régions pour étendre leur prédation sur les ressources de la zone irako-syrienne. Abou Houdhayfa, un combattant tatar de 17 ans, originaire de Russie, déclare sans détour : « L’Iran est l’ennemi principal. Nous allons les combattre. » En 2016, sa famille quitte la Russie pour la Turquie, avant de migrer vers ce qu’ils considéraient comme une terre islamique : la poche d’Idlib. Une fois là-bas, son père et son oncle ont combattu les forces d’Assad aux côtés de factions djihadistes russophones et tatares.

D’autres combattants et militants adhèrent à une vision salafiste-djihadiste, plaidant pour un califat qui rejette l’État-nation, ses frontières héritées de l’ère coloniale, ses symboles, ainsi que le système présidentiel et les élections. Cette perspective est particulièrement répandue parmi les combattants étrangers, dont beaucoup adoptent une vision géopolitique plus large, embrassant l’idée de djihad global. Certaines régions, façonnées par les parcours et origines des combattants, sont considérées comme des objectifs clés pour étendre le djihad ou inciter des recrues à les rejoindre : l’Irak, le Turkestan (notamment les zones ouïghoures en Chine), les pays d’Asie centrale, le Kurdistan irakien et iranien entre autres. Cela conduit à des répercussions significatives sur le sol syrien, comme en témoigne l’assassinat d’un commandant ouïghour à Idlib, exécuté par des agents chinois sous couverture.

L’enjeu de la naturalisation

Dans une interview accordée à Syria TV le 14 décembre 2024, Ahmed Al-Charaa, le président par intérim de la Syrie depuis janvier 2025, a souligné la nécessité de passer d’une « mentalité révolutionnaire » à une approche de construction de l’État, mettant en avant l’importance de l’institutionnalisation et de l’engagement dans le domaine diplomatique international. Un aspect clé de cette transition est la formation d’une armée nationale et la consolidation du ministère de la défense, argue-t-il. Cependant, plusieurs défis ont déjà émergé, notamment en ce qui concerne le statut des combattants étrangers.

Un homme de dos se tient sur une rue pavée, il porte un gilet noir et porte une arme sur son épaule. En arrière-plan, on peut voir des bâtiments anciens et un minaret. L'atmosphère est calme, mais l'image dégage une certaine tension.
18 janvier 2025, Damas. Abou Houdhayfa, un combattant tatar de 17 ans, originaire de Russie. A l’âge de huit ans, sa famille — son père, sa mère et son oncle — a quitté la Russie pour la Turquie avant d’émigrer vers ce qu’ils considéraient comme une terre d’islam : l’enclave d’Idlib.

Des milliers d’entre eux ont en effet joué un rôle majeur dans le conflit, contribuant aux victoires des forces rebelles contre le régime. HTC a fortement compté sur eux, tirant profit de leur expérience sur le champ de bataille et de leur expertise acquise lors de conflits précédents.

À la mi-décembre, Ahmed Al-Charaa a évoqué la possibilité d’accorder la citoyenneté syrienne aux combattants étrangers sous certaines conditions, ce qui a d’ailleurs été réalisé pour de nombreux cadres. Cependant, cette proposition rencontre une forte opposition de la part de larges segments de la société civile et de plusieurs groupes armés. « Nous sommes complètement opposés à la naturalisation de ces étrangers. Ce pays appartient aux Syriens, et son armée aussi », a déclaré un commandant de la Brigade de la montagne, la deuxième plus grande milice druze du pays. D’autres soutiennent que la naturalisation pourrait offrir une stabilité à long terme à ces combattants et les empêcher de chercher de nouvelles zones de conflit.

Le risque d’un coup d’État

L’autre défi majeur, ce sont les tensions entre les cadres du gouvernement de transition et sa base idéologique et militaire. Le gouvernement d’Al-Charaa a en effet progressivement adopté une posture islamiste, où les sunnites occupent une place dominante — avec une administration largement contrôlée par des cadres de Hayat Tahrir Al-Cham et des membres influents des grandes familles sunnites urbaines. L’homme fort du pays, qui avait déjà cherché à « déradicaliser » son organisation lors de la gouvernance d’Idlib (2017-2024) a voulu dès décembre atteindre une reconnaissance internationale et une unité à l’intérieur des frontières, en s’appuyant notamment sur le nationalisme syrien. Cependant, cette orientation est grandement mise à l’épreuve par les pressions exercées par sa base. Comme l’explique le chercheur indépendant Felix Legrand :

Il existe une véritable opposition au sein de HTC et des factions affiliées, loyales ou indépendantes, qui critiquent Ahmed Al-Charaa pour son manque de rigueur dans l’application de la charia, ses trop nombreuses amnisties et son absence de réaction face à Israël. Beaucoup en Syrie redoutent qu’il soit assassiné par une branche plus radicale, qui prendrait alors le pouvoir à sa place.

À la suite d’embuscades organisées par d’anciens membres du régime, regroupés au sein de la Brigade du bouclier côtier, près de 300 morts ont été dénombrés dans les rangs gouvernementaux, selon Damas. En réponse, le président par intérim a ordonné une vaste mobilisation contre les insurgés de la montagne alaouite. Cependant, cette mobilisation des forces de sécurité, accompagnée d’autres groupes djihadistes, a conduit à une série d’exactions et de massacres de grande envergure visant la population civile alaouite. Bien que plusieurs vidéos attestent de la présence de factions anciennement membres de l’Armée nationale syrienne, proches de la Turquie et désormais fidèles à Damas, certaines montrent également des éléments en uniforme des forces de sécurité et du commandement des opérations militaires, désormais placés sous le contrôle des ministères de l’intérieur et de la défense syriens. Les ONG présentes sur place (le Réseau syrien pour les droits humains, l’Observatoire syrien des droits humains) parlent d’un millier de morts parmi les civils au 12 mars. Face à ces révélations, Ahmed Al-Charaa a annoncé la création d’un comité de justice, composé de membres de l’opposition non affiliés à HTC, chargé de collecter les preuves des crimes commis et de juger les responsables.

L’expansion du domaine des luttes

Des violences et des meurtres à caractère confessionnel ont déjà eu lieu auparavant, notamment contre les communautés alaouites et chiites, surtout à Homs. Ils sont souvent liés à des conflits fonciers et des représailles, et organisés par des groupes armés informels ou des factions autonomes pro-Damas. Mais l’implication à grande échelle des forces de sécurité constitue une nouveauté pour Ahmed Al-Charaa. Il se retrouve confronté à un dilemme : comment gérer ces événements sans risquer d’aliéner des factions cruciales et sa base militante ? De plus, la question de la collusion, dans ces exactions, entre l’administration et des cadres du gouvernement actuel reste posée. Une chose est sûre : le dirigeant syrien devra adopter une réponse ferme s’il veut préserver le soutien de nombreux citoyens, en particulier celui des minorités du pays.

L'image montre un soldat portant un uniforme militaire camouflage, une cagoule et tenant un fusil. Il se tient debout devant un bâtiment avec une porte en bois. Un siège en bois est visible à l'arrière-plan.
Damas, 19 janvier 2025. Combattant de HTC dans le souk Al-Hamidiyya.

Enfin, bien qu’Ahmed Al-Charaa affirme qu’il n’a pas l’intention d’exporter la révolution, il doit également composer avec des individus sur son territoire qui cherchent à mener ou à inciter à des actions à l’étranger. L’enquête sur le meurtre en France du professeur d’histoire Samuel Paty en 2020 avait révélé des liens entre l’assaillant et un combattant tadjik de HTC basé à Idlib. Le groupe rebelle a cependant nié toute implication, déclarant que l’individu avait agi de manière indépendante. Le 14 janvier, HTC a arrêté un combattant égyptien qui avait annoncé son intention de lancer un mouvement révolutionnaire islamiste en Égypte quelques jours auparavant.

Ces incidents mettent en lumière les efforts et défis persistants de ce gouvernement de transition dominé par HTC pour s’adapter dans la Syrie post-Assad, tout en redéfinissant sa position sur la scène internationale, ainsi que sa politique intérieure et son idéologie vis-à-vis de sa base militante et militaire.

1Le takfir est une posture doctrinale consistant à accuser un individu d’incroyance (koufr), ce qui peut entraîner son exclusion de la communauté musulmane, voire, pour certains groupes, sa mise à mort.

Soutenez Orient XXI

Orient XXI est un média indépendant, en libre accès et sans publicité.
Vous pouvez nous soutenir en faisant un don défiscalisé.